Paru dans Le Monde Diplomatique (juillet 2006)

L’ancien « Etat voyou » vu de l’intérieur

Quand la Libye se reconnecte au monde

Le 15 mai, le jour même où ils imposaient des sanctions contre le Venezuela, les Etats-Unis annonçaient la normalisation de leurs relations avec la Libye. Cet « Etat voyou », hier dénoncé pour ses violations des droits humains, est adoubé par Washington depuis qu’il a renoncé aux armes de destruction massive. La décision de Tripoli d’ouvrir une bourse confirme le « cours nouveau » pris par le colonel Mouammar Kadhafi.

Par Nathalie Gillet
Journaliste.

            Amateurs d’archéologie antique ou de peintures rupestres, si vous avez décidé de franchir la Méditerranée pour pénétrer en Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire, vous aurez peut-être la surprise d’entendre, posée par une jeune habitante dans une contrée inattendue, la question suivante : « Connaissez-vous la chanson Je suis malade ? » Quand, pour la troisième fois, vous entendrez fredonner cet air de Serge Lama dans la petite ville de Ghat, à l’extrême sud-ouest de la Libye, dont est originaire l’écrivain Ibrahim Al-Koni (1), vous comprennez que malgré l’aspect poussiéreux du paysage urbain, malgré les trottoirs défoncés et le délabrement de bâtiments sociaux dignes de la banlieue parisienne, quelque chose s’est passé.

Après dix années d’isolement international, la Libye se reconnecte au monde, un mouvement qui dépasse les simples rapprochements diplomatiques. Déjà, depuis trois ans, la population adolescente contribue à faire chuter l’audience de l’austère chaîne de télévision publique Libya, en suivant des chaînes satellitaires et parmi les émissions, celle de la « Star academy », version arabe sur la chaîne libanaise LBC. C’est en 2004 que Je suis malade, ce classique de la chanson française, avait été immortalisé jusque dans le désert libyen. Ici aussi, désormais, on zappe.

La généralisation de la parabole participe d’un nouveau bol d’air frais, malgré la fermeté du régime à l’intérieur des frontières. L’équipement satellite est désormais accessible à la majorité, au prix de 200 dinars (120 euros), contre 5 000 dinars auparavant. Le temps où l’on cachait les antennes dans de fausses réserves d’eau sur le toit des habitations est révolu. Partout, des cybercafés émergent à des tarifs compétitifs. Malgré la difficulté à conserver du matériel électronique dans un environnement dominé par le sable, l’ordinateur devient un équipement familier dans beaucoup de demeures. Et, depuis quelques mois, le haut débit y est entré.

Du reste, la population est généralement éduquée, et il existe un grand nombre d’universités et de diplômés. Le taux d’analphabétisme est inférieur à 14 % et ne concerne pas les jeunes générations. Mais l’enseignement des langues étrangères, disparu des programmes en 1984 pour des raisons politiques, n’est réapparu que récemment, et le niveau s’est dégradé.

Autre élément nouveau : les voyages (pour ceux qui en ont les moyens). De nombreuses compagnies aériennes desservent le pays, et les Libyens ne sont plus obligés de solliciter un visa pour quitter le territoire... L’astuce est donc d’arriver à se faire financer le séjour via les généreuses bourses d’études étatiques pour les chanceux (1 600 euros par mois, selon un professeur de français à Sebha), un stage de formation ou une mutation professionnelle au sein d’une grande entreprise nationale. « Je n’ai jamais vu un pays où les gens voyagent autant », affirme un entrepreneur français présent au Maghreb. Pour les Libyens, obtenir un visa européen est en outre moins problématique que pour les Algériens, la Libye n’étant pas un pays d’émigration. L’apparition de touristes occidentaux dans des contrées longtemps isolées du monde contribue également à cette reconnection, notamment pour ceux qui ne peuvent voyager.

Frénésie de consommation

En plus de cette ouverture sur l’extérieur – terme que récusent les responsables libyens, estimant que c’est l’extérieur qui s’est fermé à eux... – est engagé un processus de réformes économiques depuis trois ans, après plus de trente ans d’économie centralisée. Parler de secteur privé n’est plus un tabou depuis le démantèlement de la plupart des monopoles publics d’importation et surtout la baisse sensible des tarifs douaniers. « Partout, on casse des murs pour ouvrir son échoppe comme le voisin », rapporte un expatrié. Une classe d’hommes d’affaires émerge, certes encore dans les cercles proches du pouvoir.

Avec la libéralisation des importations, tout individu qui le souhaite peut ouvrir une ligne de crédit pour acheter des produits étrangers. On trouve de tout, derrière les vitrines des avenues de Gargaresh, Ben Achour ou au centre-ville de Tripoli : appareils électroniques ou électroménagers dernier cri, ameublement de qualité, vêtements de marque ou en provenance de Chine. L’époque où quelques débrouillards faisaient secrètement un saut à Malte ou en Tunisie, les valises vides, pour en revenir chargés de marchandises est donc révolue, même si l’exportation frauduleuse de produits locaux subventionnés par l’Etat n’a pas pris fin.

Après des années de privation, on assiste par conséquent à une frénésie de consommation. C’est en achetant des récepteurs satellites à Dubaï (Emirats arabes unis), puis en les revendant (ô combien facilement) dans les villes du sud de la Libye, qu’Omar, 37 ans, a pu financer son cybercafé à Sebha, construire son appartement au-dessus de celui de ses parents et, bien sûr, se marier — un luxe qui coûte la bagatelle de 8 000 dinars minimum (les fonctionnaires gagnent environ 200 dinars par mois).

Depuis plus d’un an, les banques proposent des crédits immobiliers avantageux, de l’ordre de 40 000 dinars en moyenne, à des taux défiant toute concurrence et sur un nombre de termes vertigineux — vingt ans, quarante ans, etc. Avec en outre un programme de construction de 350 000 logements dans les prochaines années, le secteur du bâtiment et des travaux publics connaît un boom, freiné par les pénuries de ciment.

Il est d’ailleurs plus aisé d’accéder au logement par la construction que par la location, destinée aux étrangers. Et pour cause. A la fin des années 1970, le principe de « la maison appartient à celui qui l’habite » avait conduit à l’expropriation de milliers de personnes de leurs résidences secondaires et au soutien de tout Libyen sans domicile qui s’y installait. Signe peut-être d’un changement d’époque, les autorités parlent de restituer les biens confisqués et de dédommager les occupants devenus illégaux. Mais la mise en œuvre de cette décision à forte charge symbolique ne semble pas pour demain.

Les Libyens apprennent à pousser le chariot au Méhari, l’un des trois supermarchés que compte la capitale depuis un an et demi. C’est le plus grand par la taille, encore qu’il ne dépasse pas les 400 m2 de surface, et surtout le seul à posséder un vrai parking. Et ce détail compte : le parc automobile (essentiellement d’origine sud-coréenne) grandit d’année en année et s’est récemment renouvelé de manière impressionnante. Considérée comme un droit humain fondamental dans le Livre vert (l’ouvrage publié par le colonel Mouammar Kadhafi en 1973 qui constitue la référence idéologique du régime), la possession de véhicules privatifs a été largement soutenue par des subventions étatiques, notamment pour certains fonctionnaires (médecins, militaires, agents de la sécurité). Les conducteurs bénéficient de prêts très avantageux. « Résultat, il est impossible de circuler correctement dans la ville depuis deux ou trois ans », proteste Nadjma, 33 ans, employée administrative dans une compagnie pétrolière, qui s’impatiente au milieu d’embouteillages quotidiens.

Faire ses emplettes, conduire sa voiture flambant neuve le soir le long des grandes avenues constituent les passe-temps favoris d’une jeunesse qui souvent s’ennuie et trouve peu de distractions, en dehors des visites entre amis et des fêtes familiales et religieuses. Rares sont les activités culturelles ou sportives organisées, à part le football (et encore les deux équipes nationales sont présidées par des fils du colonel Kadhafi). Créer une association non favorable aux principes de la révolution libyenne est d’ailleurs passible de... la peine capitale selon l’article 207 du code pénal.

Pourtant, de nouveaux lieux de socialisation apparaissent, tels les cafés branchés et des terrasses de restaurant dans les quartiers huppés de Tripoli, dans la vieille ville ou sur la place Verte. Le dernier en date de ces lieux est Iwan, cafétéria améliorée, ouverte il y a trois mois dans le quartier résidentiel de Ben Achour, avec une décoration design, de grands fauteuils en cuir rouge et un choix étendu de boissons (non alcoolisées, bien sûr). On voit un peu partout des jeunes gens habillés à la mode, du gel dans les cheveux, accrochés à leur téléphone portable. Le pays compte près de 3 millions de possesseurs de téléphone mobile, sur une population de 5,6 millions d’habitants. Et le réseau s’agrandit.

« Ce qui est tout à fait nouveau depuis trois ans, c’est que l’on voit des femmes dans les rues après la tombée de la nuit. Elles font leurs achats dans les nouvelles boutiques ouvertes jusqu’à minuit, vont au café », s’enthousiasme un expatrié algérien.

Mais la société conserve de fortes traditions et des normes sociales souvent en décalage avec les discours du colonel Kadhafi – dignes parfois de certaines féministes occidentales, lorsqu’il considère par exemple le port du voile comme « une création de Satan ». A côté des puissantes solidarités tribales, l’islam occupe par ailleurs une grande place dans la vie quotidienne des gens.

Latifa, 35 ans, travaille pour une compagnie aérienne, mais rêve de monter sa propre affaire. Sa passion : la confection de rideaux et la décoration d’intérieurs. Son souci : trouver des financements. Mais elle refuse d’emprunter à la banque, car « l’islam interdit les crédits rémunérés ». Si elle concrétise son projet, en outre, elle devra entrer seule dans la demeure d’inconnus, ce qui n’est pas bien vu. « Mais, comme ce sont souvent les femmes qui restent à la maison et décident ce genre de choses, elles m’ouvriraient plus facilement leur porte », dit-elle.

La séparation des sexes est encore fortement marquée, surtout dans les villes moyennes. Les écoles ne sont pas toutes mixtes, les mariages sont fêtés dans des tentes séparées, et les demeures disposent souvent de deux pièces communes, une pour les hommes et une pour les femmes, où chacun fait la sieste, déjeune, reçoit les visiteurs.

Farida, secrétaire comptable dans une compagnie étrangère, n’est pas voilée, ce qui est rare en Libye, mais elle précise que « ce n’est pas une bonne chose » : un jour, elle en aura le courage. Le mariage sans doute sera un déclencheur. Mais, comme ses deux sœurs, elle a dépassé la trentaine et n’est pas pressée de trouver un mari, trop habituée à son indépendance. Plusieurs de ses amies ont déjà divorcé et poursuivent leur vie professionnelle. « Le problème après un divorce, c’est qu’il faut se reloger. Il est mal vu d’habiter seule, et la solution est de retourner chez ses parents. Mais, en général, l’espace a été réoccupé par un frère fraîchement marié, et les retrouvailles ne sont pas toujours chaleureuses. »

Les femmes jouissent de droits importants comparés aux pays de la région, même si les tabous moraux ont la vie dure : interdiction pour certaines femmes de voyager seules ou d’étudier loin du foyer familial, nécessité de préserver la bonne réputation, agressions physiques en cas de relations sexuelles hors mariage, exclusion sociale lorsque les apparences ne sont plus sauves. Elles sont toutefois libres de choisir leur mari, et la réglementation du divorce leur est favorable (possibilité de le demander séparément, pension importante, disparition de la répudiation).

Le travail féminin est fortement encouragé par les dirigeants et, « depuis une dizaine d’années, les maternelles et les crèches se sont multipliées », explique Rabia, professeure de biologie dans le secondaire. Plus nombreuses dans les universités que les garçons, les femmes deviennent enseignantes, agentes administratives, secrétaires dans les sociétés étrangères, dentistes, médecins, ingénieurs, architectes... Toutefois, malgré les grands discours et leur niveau d’éducation, celles-ci ne sont encore que 26 % à travailler dans le secteur formel, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). A titre de comparaison, elles sont 22,4 % en Arabie saoudite ; 30,7 % au Liban ; 37,7 % en Tunisie.

Maintien du système redistributif

Généralement, les hommes observent l’évolution sociale de façon pragmatique. « Plus le ménage a d’argent et plus on peut emprunter pour construire. Et moins le divorce coûte cher... », affirme Abdallah, 46 ans, d’origine touarègue de la région de Sebha. Il a déjà deux femmes et... dix-huit enfants, qui vivent dans une maison à des étages différents. Sa seconde épouse, la première qu’il ait réellement choisie, est informaticienne. Comme son commerce de bétail se porte bien, il voudrait épouser une troisième femme.

Malgré les restrictions légales, la polygamie semble bien acceptée dans les villes du sud. L’argument-choc avancé est souvent le rapport démographique, qui serait d’un homme pour... quatre femmes. Compte tenu de la manière dont les jeunes gens conduisent, on peut effectivement se laisser tenter par l’hypothèse d’une hécatombe, mais le tout récent recensement de la population est formel : la Libye est l’un des rares pays au monde où les femmes sont moins nombreuses que les hommes.

Enfin, la consommation d’alcool est strictement interdite, et le touriste doit se préparer au sevrage durant toute la durée de son séjour – à moins de tester courageusement le « flash » local, un alcool de datte fabriqué maison, ou de se faire inviter chez un diplomate, seul habilité à stocker un quota de bouteilles, au grand dam des chefs d’entreprises internationales qui ne disposent pas de ce privilège. Dans le sud, en plus des heures de grande chaleur entre 14 et 17 heures, les magasins ferment aux heures de prières.

Tradition ou non, l’arrivée de nouveaux produits, dans ce pays qui ne fabrique quasiment rien, pose avec force la question du pouvoir d’achat. La baisse des tarifs douaniers a davantage augmenté les marges des importateurs qu’elle ne s’est répercutée sur les prix. Les produits chinois peu chers qui inondent le marché offrent une solution, mais les salaires du secteur public, gelés depuis plus de vingt ans, restent insuffisants. L’écart de revenus entre le privé et le public ne cesse d’augmenter. Abdelkader, 29 ans, fabrique des fenêtres et des portes dans son entreprise privée : « En période de travail en continu, je peux gagner 1 000 dinars en deux semaines. »

Pour s’en sortir, les employés du secteur public (900 000 – y compris les enseignants, le personnel médical, etc. – sur 1,7 million d’actifs, selon les derniers chiffres) multiplient les boulots. Certains conduisent un taxi. « Les chefs de service dans les hôpitaux vont tous à leur clinique privée l’après-midi, rapporte un connaisseur. Ils donnent des cours à la fac et font de l’importation de médicaments. » D’autres ouvrent des boutiques, tenues le matin par des membres de la famille ou des employés africains. Il est ainsi fréquent d’être interpellé en français dans les zones frontalières du sud par des Nigériens ou des Mauritaniens.

Mais les groupes d’immigrés africains, autrefois massés le long des routes dans l’attente d’un employeur, ont fondu depuis les émeutes racistes de 2000 (2) et les expulsions. Tous sont tenus d’avoir des papiers en règle, coopération avec l’Union européenne oblige. « Notre femme de ménage somalienne a disparu pendant trois mois, rapporte Mohamed, ingénieur informatique au Royaume-Uni, dont la famille vit à Tripoli. Interpellée par des policiers en descendant d’un bus, elle n’avait pu présenter de papiers et avait été embarquée illico presto dans un camp. »

Cependant, à côté des petits salaires, le système redistributif se maintient. L’ancien premier ministre libéral, M. Choukri Ghanem, s’était rendu très impopulaire en essayant de supprimer les subventions pour certains produits (le concentré de tomate, par exemple) avant de devoir faire machine arrière. Les aliments de base tels que le pain, le sucre ou l’huile sont donc toujours subventionnés ; l’accès à l’eau est généralisé jusque dans le sud et ne coûte presque rien. La couverture électrique du pays est proche de 100 %, à des tarifs peu élevés – généralement il n’y a même pas de compteur et, même quand il y en a, on évite souvent de payer à la compagnie publique car les risques de poursuites sont faibles.

Seule l’essence a augmenté de 30 %, mais un plein ne coûte pas plus de 7 dinars. Les Libyens peuvent également se faire soigner et aller à l’école gratuitement, même si la qualité de ces services les pousse souvent à privilégier le secteur privé émergent. Enfin, une indemnisation du chômage se met en place.

Résultat : la Libye figure au 58e rang mondial du classement du PNUD en termes d’indicateurs de développement humain, soit au 1er rang africain. Le taux de scolarisation est quasiment de 100 % et l’espérance de vie de 73,6 ans.

Dans ce pays, l’un des plus étendus d’Afrique pour seulement 5,6 millions d’habitants, les infrastructures, vieillies, se concentrent sur le littoral. Le réseau routier couvre un vaste territoire, mais sa qualité se dégrade sous l’effet du climat et du nombre grandissant de camions approvisionnant le sud. Les conducteurs empruntent souvent le même côté de la voie, quitte à en changer au dernier moment à l’arrivée d’un véhicule... Des cités du sud comme Sebha ou Ghat n’ont pas de transports en commun ni de réseaux de taxi. Et, dans les villes, mieux vaut porter de bonnes chaussures pour parcourir les rues accidentées et éviter les détritus – l’état de l’assainissement est déplorable.

Un mécontentement général se fait sentir, mais on se plaint encore en parcourant des yeux le trottoir d’en face. « La démocratie, c’est le contrôle du peuple par le peuple, comme dans le Livre vert », clame par exemple Ibrahim, guide touristique et professeur d’arabe. Son ardeur toute jamahiriyenne se comprend. Depuis trois ans, en lieu et place d’une activité d’enseignant dont il continue de percevoir le salaire, il est l’un des cinq sous-responsables de la sécurité d’une région du sud. « Tout le monde me connaît, je suis l’intermédiaire entre le peuple et l’Etat. Notre pays ressemble à un corps humain dont les éléments doivent être solidaires, sinon c’est le chaos ! Il y a les bras et les jambes, ce sont les policiers, il y a le cerveau [nous]. Les yeux, ce sont l’ensemble des citoyens. Quand il y a un problème de voisinage ou un mari qui bat son épouse, les gens me téléphonent, moi j’en informe mes autorités et l’on convoque les responsables. Tout le monde est solidaire, c’est ça la démocratie ! »

Les policiers que l’on croise en sa présence le saluent chaleureusement. « Ils savent que j’ai autorité sur eux », dit fièrement Ibrahim. Sa carte d’agent de la sécurité lui ouvre toutes les portes et, quand ses « informations » (en fait, de la délation) sont bonnes, la récompense est généreuse (voiture subventionnée, prêt immobilier, autorisations). « Mais quand mon école a besoin de moi, je dois être prêt. » Un vrai sacerdoce... « Et moi, je suis l’ami d’Ibrahim ! », plaisante son aide de camp.

A l’est du pays, à Benghazi, ancienne capitale, l’atmosphère est différente, la critique plus audacieuse, comme lors des manifestations de février dernier contre les caricatures du prophète Mahomet, qui se sont finalement retournées contre le régime. La ville éprouve un sentiment de frustration devant le développement de Tripoli. Bastion de la confrérie senoussie (ancien soutien de la monarchie), elle est la base d’une opposition islamiste sévèrement réprimée. Les solidarités tribales y sont prégnantes. « Peu de juges voudront se mettre à dos une tribu influente en se mêlant d’une vendetta ou d’un “crime d’honneur” », explique Hassan, 20 ans, de Benghazi.

Mais la contestation populaire ne dépasse pas vraiment l’expression d’une lassitude générale qui se traduit par la désertion des Congrès populaires de base (3), pourtant piliers du système jamahiriyen. Alors que les caisses de l’Etat se gonflent de recettes pétrolières records (30 milliards de dollars en 2005), le régime a les moyens pour un temps encore de s’acheter un consensus social par son système redistributif et ses grands projets d’infrastructures. Cependant, avec plus d’une centaine de chaînes satellitaires à leur disposition, les Libyens s’impatientent car ils situent plus justement leur pays dans la région. « Pourquoi ne nous sommes-nous pas développés comme les Emirats arabes unis, ce pays pétrolier qui n’était comme nous qu’un petit pays désertique dans les années 1970 ? » Telle est la nouvelle rengaine.

Nathalie Gillet.

 


(1) Ibrahim Al-Koni, l’un des plus grands écrivains contemporains de langue arabe, reste encore très méconnu en France. Seulement six de ses livres ont été traduits : Les Mages, Phébus, Paris, 2005 ; Poussière d’or, Gallimard, Paris, 1998 ; Le Saignement de la pierre, L’Esprit des péninsules, Paris, 1999 ; L’Herbe de la nuit, L’Esprit des péninsules, Paris, 2001 ; Un œil qui jamais ne se ferme, Alain Sèbe Images, Vidauban, 2001 ; L’Oasis cachée, Phébus, Paris, 2002.

(2) En septembre 2000, des émeutes contre les immigrés africains firent une centaine de victimes (officiellement, six morts). Leur nombre est passé depuis de 2,5 millions à l’époque à 600 000 aujourd’hui..

(3) il y en a plus de quatre cents ; ils sont la base du mécanisme inventé par M. Kadhafi pour réaliser la démocratie directe. Les citoyens âgés de plus de 18 ans sont censés y parler de ce qu’il faudrait améliorer, puis un comité de base transmet vers l’instance supérieure les « décisions » du peuple ; pendant les trois jours de séance, tous les magasins doivent baisser rideau ; mais ces congrès sont noyautés par les membres des Comités révolutionnaires, qui veillent au grain. Plus personne n’est dupe du fait que les décisions vont plutôt dans l’autre sens, du haut vers le bas. Plus grand monde ne s'y rend, à moins d’en attendre des bénéfices particuliers.



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Last update: january 2008

Série "Les Personnages influents en Afrique" :
Choukri Ghanem (Libye)

Jeune Afrique, Janvier 2008 (version originale de l'auteur)


Il n’y a d’hommes influents en Libye que le colonel Kadhafi ; tout autre personnage ne l'est qu'à un instant T et par la volonté du prince qui le place et le démet à sa guise. Cette règle s’applique aussi à Choukri Ghanem, 67 ans, l’homme des premières réformes économiques. Economiste formé aux Etats-Unis et expert pétrolier, il avait émergé au milieu des années 1990, comme l’une des voix prônant la libéralisation économique. Ancien vice-ministre du Pétrole puis administrateur de l’OPEP à Vienne, où il se lie d'amitié avec Seif el Islam Kadhafi, Chokri Ghanem prend en décembre 2001 le poste de ministre de l’Economie et du commerce extérieur.
Cet homme affable qui apprécie le contact de la presse a le soutien de Seif et devient Premier ministre en 2003. Sa mission : conduire la Libye vers une économie de marché. Mais elle le rend impopulaire auprès des Comités populaires hostiles aux privatisations, et surtout de la population qui redoute la suppression des subventions sur les produits de base. Remercié en mars 2006 il obtient toutefois la stratégique direction de la Compagnie nationale du pétrole, après avoir été l’artisan d’un nouveau type d’appels d’offres pétroliers baptisé Epsa IV.
Nathalie Gillet

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Le dur métier d’opposant en exil

23 décembre 2008, version originale de l'auteur

Durant sa visite en grande pompe à Paris, le Colonel Kadhafi aura pu compter sur la police française pour maintenir en veilleuse les opposants libyens en exil. La manifestation pacifique prévue le 10 décembre à Paris aura duré quelques minutes. « J’étais venu en France plus tôt pour faire ma demande auprès de la préfecture », raconte l’un des organisateurs Madghis Afulay, Berbère libyen en exil au Maroc. « On nous a d’abord proposé trois endroits possibles mais samedi à 17h, au dernier moment, un coup de fil m’a finalement annoncé que la manifestation était interdite. Au lieu d’une marche, nous avons donc décidé de faire un sit-in, parce que selon la loi française, cela ne nécessite pas d’autorisation ».
Mais il en fallu une, visiblement ce lundi-là… Les premiers arrivés ont été priés par des policiers équipés d’un canon à eau, de partir. « Ils nous ont quand-même laissé faire 15mn d’interviews avec la presse ». A la sortie de la station de métro Trocadero, les forces de l’ordre sont encore plus nombreuses. Après quelques interviews volées, tout ce beau monde est embarqué dans un bus durant 4h.
Le lendemain, cinq "irréductibles" insistent pour distribuer quelques tracts de protestation aux abords de l’Assemblée nationale. « En pleine interview, on nous a demandé de partir. J’étais très étonné de voir que la police pouvait entraver les medias comme ça en France », raconte Madghis. Ce dernier s'éloigne pour poursuivre son action. Mais la séance de tract tourne court. « Ils sont venus à 8 pour m’immobiliser », dit-il. « L’un d’entre eux me tenait les mains dans le dos et m’a demandé s’il me faisait mal. Je lui ai répondu que j’avais mal depuis 38 ans et que ce qu’il faisait ce n’était rien. Cela a eu visiblement un gros effet. Il m’a regardé avec étonnement et m’a relâché. Finalement ils ont aussi pris nos tracts et nous sommes restés dans le parc pour discuter avec les agents libyens que nous avions repérés - ils étaient partout dans les environs, dans des cafés, dans le parc près du kiosk à journaux, dans des voitures ! Nous leur avons parlé de droits humains et ils sont rapidement devenus agressifs. L’un d’entre eux m’a bousculé puis frappé dans le dos. En rendant les coups je me suis blessé à ce qui m’a clairement semblé être une arme. La police française est ensuite venue mais... pas pour arrêter pas les agents de Kadhafi, pour nous arrêter nous » !!
Le métier d'opposant en exil est décidément bien difficile...

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Fiche pays : Libye 2008

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique, Février 2008


Photo Source: http://syigimsharif.blogspot.ae/

Traité en paria pendant des décennies, le régime libyen a finalisé en 2007 les dernières étapes de son intégration internationale. En juillet, la dernière crise diplomatique a pris fin avec la libération des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus depuis 1999 et accusés à tort d’avoir volontairement inoculé le virus du sida à des enfants libyens. De l'aveu même de Seif el islam, le fils du colonel, les infirmières étaient des boucs émissaires, sorte de réponse au chantage qu’auraient subi les Libyens, selon eux dans les affaires Lockerbie et du DC10. Le récit des tortures subies et des procès rocambolesques successifs, relaté dans deux ouvrages publiés par les infirmières, donnent une image concrète de l’état de délabrement et d’arbitraire de la justice libyenne, dénoncé par Amnesty international.
C’est la face cachée de cette Libye en mouvement, celle que connaissent également les immigrés africains. De nombreuses allégations de recours à la torture et à des traitements inhumains et dégradants dans les centres de rétention pour migrants ont été rapportées par Human Rights Watch. Soucieuse de réglementer son marché du travail et peut-être aussi de répondre aux attentes européennes en matière de contrôle de ses frontières, la Libye expulse depuis le 16 janvier tous les migrants irréguliers présents sur son territoire. Sur 2 millions d’étrangers, 60 000 seulement sont en possession d’un permis de travail et de titres légaux. Mais les autorités semblent faire peu de différence entre les immigrants et les demandeurs d`asile, une catégorie inexistante en droit libyen.
Malgré le bilan désastreux en matière de droits de l'Homme, le Colonel Kadhafi est donc redevenu fréquentable, et a même obtenu un accueil en grande pompe à Paris, lors de sa visite d’Etat controversée de cinq jours, puis à Madrid. La visite effectuée début janvier aux Etats-Unis par le chef de la diplomatie libyenne, Abderrahamane Chalgham a définitivement scellé la normalisation des relations bilatérales entre Washington et Tripoli. Son homologue américaine, Condoleeza Rice a émi le souhait de se rendre en Libye prochainement, ce qui serait la première visite d'un secrétaire d'Etat américain depuis 1953.
Autre signe révélateur de cette nouvelle respectabilité : l’attribution à la Libye de la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU, en janvier 2008, après son élection comme membre non permanent pour deux ans !
La Libye réglemente peu à peu son passage vers une économie de marché. Très peu fiscalisée, les fortunes deviennent plus apparentes et l’initiative personnelle est impressionnante au niveau des petits commerces, qui changent le visage des villes libyennes. La capitale se transforme à vue d’œil. Dans chaque coin de rue on construit, profitant de crédits immobiliers à taux cassés. Des parcs et des pelouses font leur apparition.
Sans parler des investissements publics massifs dans les infrastructures : nouvel aéroport de Tripoli d’une capacité de 9 millions puis 20 millions de voyageurs (pour un milliard d’euros), contre 3 millions actuellement, extension des aéroports de B enghazi et Sebha, achat en 2007 d’une quarantaine d’Airbus par les deux compagnies aériennes, Libyan Airlines et Afriqiyah Airways, construction de ports en eau profonde, chemin de fer reliant les frontières tunisienne et égyptienne (à l’étude), nouvelles centrales électriques à cycle combiné, stations de dessalement d’eau de mer, extension des réseaux de téléphonie, réalisation d’une liaison dorsale en fibre optique de 7 000 km, autoroute Est-Ouest, usines de dessalement, réseau d’universités, équipements de défense, projet d’achat d’un réacteur nucléaire nouvelle génération, pour la production d’électricité et au dessalement.
Le budget d’investissement est passé de 8 à 12 milliards de dollars en 2007, ajouté à un plan 2008-2012 d’une enveloppe de plus de 150 milliards de dinars libyens (environ 130 milliards de dollars). A cela s’ajoutent les projets de méga-cités réalisés par de grands constructeurs émiratis, les nombreuses tours de bureau et hôtels de luxe et les appels d’offres dans les hydrocarbures. Le délai imposé pour la majorité des projets est le 1er septembre 2009, qui doit sacrer les 40 ans du coup d’état de Kadhafi. Les milliers de visiteurs attendus doivent tous trouver d’ici là à s’héberger.
Les consultants internationaux sont aux anges, à l’instar de Booz Allen Hamilton, CERA et surtout l’américain Monitor, qui accompagne la « Nouvelle stratégie économique » du pays. Le Monitor a notamment participé à la création en février du Libyan Economic Development Board, élaboré à l’image d’une institution du même nom à Singapour.
Forte de ces investissements que permettent les recettes pétrolières et les réserves en devises (plus de 60 milliards de dollars, soit près de 5 ans d’importations), la Libye a connu une croissance économique systématiquement supérieure à 5% depuis 2003. Celle-ci est estimée à 6,8% en 2007 et le FMI table sur 8,8% cette année. Mais l’augmentation des dépenses de l’Etat aurait également contribué à alimenter une inflation à deux chiffres, estimée à près de 11% en 2007.
La Libye se voit déjà comme un hub à l’instar de Dubaï mais l’économie est encore trop dépendante de ses hydrocarbures (95 % des exportations) et les indicateurs de la Banque mondiale témoignent d’une mauvaise gouvernance. La politique économique demeure floue, tandis que les luttes d’influences au sein du pouvoir opposent les chantres de l’économie libérale aux tenants du Livre Vert que l’on se refuse de désavouer.
La rapide dégradation de l'état de santé du Colonel Kadhafi, qui en deux ans a subi quatre accidents vasculaires cérébraux, pose en outre la question imminente de sa succession. Des purges auraient déjà été effectuées dans l'armée et les milieux universitaires, par anticipation. Les enfants Kadhafi du colonel accaparent déjà une partie des leviers du pouvoir. Seif el Islam qui veut apparaître comme le leader de la rupture, occupe le devant de la scène et sert de vitrine de modernité. Si Béchir Salah gère les actifs libyens en Afrique, Seif a la main sur les investissements en Europe et à l’intérieur du pays. Il réunit les acteurs, signe des chèques, a la capacité d'engager la Libye. Mais malgré les déclarations de bonne intention, la population libyenne, mieux informée, est lasse d'être dupée, tout comme elle le fut dans l'affaire des infirmières au nom d'un prétendu complot de la CIA et des Israéliens.
Seif joue en outre une partie serrée face au chef des renseignements militaires, Moussa Koussa, et a du mal à imposer ses nouveaux organes de presse et supports audiovisuels. Le poids de Seif varie d'un jour à l'autre. Certains spéculent sur un passage à témoin du père au fils durant les festivités du 40e anniversaire mais d’autres spéculent sur une succession bicéphale avec Seif comme « gouverneur civil » et son frère Motassem à la tête de la sécurité. Ce dernier, aussi ambitieux que Seif et aussi violent que Saadi, a pris en 2007 la tête du Conseil National de Sécurité. Associé à la nouvelle holding financière libyano-américain Phoenicia, il a également la confiance de son père et l'appui d’une partie de la vieille garde.
Saadi s'est vu confier la future Zone de libre échange de Zwara-Abu Kamash et commande, comme ses frères Hannibal et Khamis, une unité d'élite de l'armée. Aïcha Kadhafi (la fille), patronne de la Fondation Wattassimo, joue officiellement un rôle social mais participe aussi à de nombreux (et lucratifs) salons d'entreprises et conférences internationales.
Le gouvernement demeure un gouvernement écran, qui masque les véritables circuits décisionnaires. L’optimisme dans l’avenir n’empêche pas le mécontentement de la population, d’autant que les projets de construction entraînent de nombreuses expropriations et une spéculation sur le prix de l'immobilier. Les opposants sont toujours incarcérés et la presse toujours muselée.
Nathalie Gillet

ENCADRE
La stratégie des fonds souverains

Créés en août 2006, les fonds d’investissements souverains en Libye sont montés en puissance en 2007 et canalisent les relations économiques avec l’étranger. La Libyan Investment Corporation (LIC), dirigée par Mohamed Layas, et dotée d’une enveloppe évolutive de plusieurs dizaines de milliards de dollars est le holding de ces fonds, spécialisé dans l’investissement sur les marchés occidentaux. Il y a également le Libyan African Portfolio pour l’investissement, tourné vers l’Afrique et dirigé par Bechir Salah. Responsable de l’investissement domestique, le fond le plus puissant est le Fond de développement économique et social (ESDF), chargé entre autres de « privatiser » les entreprises libyennes au bénéfice de familles nécessiteuses. La majorité des grands projets d’investissement dans les infrastructures se fait via ce fonds, qui prend des parts dans beaucoup de projets et de sociétés créées avec les étrangers. Débordant de pétrodollars, ils s’imposent dans tous les contrats, même quand on ne les y invite pas. Ils possèdent des banques (Sahara Bank, Wahda Bank à plus de 70%), des compagnies d’assurances, des cimenteries
Les autorités appellent cela le « capitalisme populaire » ou, de manière abusive, « secteur privé », destiné à compenser les démantèlements opérés par ailleurs dans le système redistributif (suppression des subventions sur les produits de base, licenciement progressif de plus de 300 000 fonctionnaires). Les actions distribuées au peuple sont contrôlée pendant 3 ans par ESDF, qui gère l’argent pour le peuple, considéré encore comme insuffisamment mature. Reste à savoir si ces actions seront véritablement remises aux gens à échéance de 3 ans, avec les intérêts
NG

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Libye : Migrants contre armes

Aternatives Internationales, mars 2007

Pour sortir de son isolement international à la fin des années 1990, le Colonel Kadhafi avait ouvert grand les portes de la Libye à l'Afrique, entraînant un afflux massif de subsahariens en quête d'un avenir meilleur. Ce temps est révolu. Le visa est désormais obligatoire pour tous les citoyens du monde sans exception, a annoncé le ministre libyen de l'Intérieur le 31 janvier dernier. Accusés de tous les maux par la population (sida, drogue, prostitution), les immigrés africains ne sont plus vraiment les bienvenus et les regroupements de travailleurs attendant l'employeur providentiel le long des grandes avenues ont fondu depuis les émeutes racistes de septembre 2000.

L'heure en Libye est à la régulation des flux migratoires et de la main d'oeuvre. Après avoir imposé le visa à l’ensemble des pays (y compris arabes), les autorités libyennes ont prié les entrepreprises en début d'année de déclarer l’ensemble de leurs employés étrangers dans les plus brefs délais. Les travailleurs clandestins avaient jusqu’au 31 mars pour plier bagages. La présence de ces derniers reste pourtant tolérée sur cet immense territoire qui avec 5,3 millions d'habitants peine à trouver des bras pour s’équiper. Cafés, restaurants, petits commerces fermeraient leurs portes sans les employés nord-africains qui font tourner la boutique pendant que le propriétaire occupe son poste de fonctionnaire. Les champs agricoles aux abords de Sebha ont besoin de leurs fellahs égyptiens, tandis que le BTP, en plein boom, fait appel à une main d'œuvre subsaharienne bon marché. Employés dans un secteur privé en pleine croissance, les immigrés touchent parfois des salaires plus élevés que les fonctionnaires libyens, mais le plus souvent de manière informelle.

On ne connaît pas le nombre précis d'étrangers en Libye. Evalué à près de 2,5 millions fin des années 90, il serait passé à 700 000 aujourd'hui pour un nombre de clandestins estimé à plus de 1,5 million. Mais les ambassades aussi font leurs calculs : celle du Soudan compte 90 000 enregistrés mais évalue le nombre de ses ressortissants à 400 000, celle du Tchad à 500 000 (immigration de longue durée liée aux conflits régionaux).

Pays d'accueil qui attirerait près de 80% des migrants subsahariens accédant au Maghreb par le désert, la Libye est rapidement devenue un pays de transit. Ses 1 770 km de côtes sont aujourd'hui le point de départ vers Malte ou Lampedusa, petite île italienne située à 300 km des côtes libyennes. Cette dernière aurait reçu en 2006 plus de 18 000 immigrés clandestins venus de Libye (près de 40% de Marocains, 20% d'Egyptiens, beaucoup de Tunisiens et d'Erythréens, quelques Ghanéens, Nigérians, Ethiopiens. « Nigériens et Tchadiens sont parmi les plus nombreux en Libye mais ils ne traversent pas la Méditerranée, affirme Laurence Hart, représentant de l'Organisation internationale de la migration (OMI) qui a ouvert un bureau de liaison le 25 avril 2006 à Tripoli. Les Nigériens constituent une immigration de travail saisonnier avec des aller-retours, comme les Egyptiens, estimés à près d'un million...

Mais aujourd'hui les autorités libyennes expulsent : 145 000 personnes entre 2003 et 2005, essentiellement vers le Niger, le Ghana et le Nigeria, plus de 50 000 en 2006. Les étrangers interpelés sans papiers sont envoyés dans des camps de rétention, dont le nombre exact demeure confidentiel. « Il y a 2 types de centres, précise M. Hart, les centres de rétentions et ceux qui accueillent les volontaires au retour qui déclarent leur nationalité. Ce retour est alors organisé et ils reçoivent un petit pécule de $ 100 ».

Dans un rapport de 135 pages publié en septembre dernier sur le traitement des migrants par la Libye, Human Rights Watch dénonce les arrestations arbitraires, des maltraitances physiques dans les camps, les renvois dans des pays à risques (Erythrée, Somalie). Non signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, la Libye ne prévoit pas en effet de procédure de demande d’asile politique, malgré la présence du HCR depuis 1991.

"L'Union européenne qui a certes exprimé des réserves par rapport aux camps n'a pas été découragée pour autant d'une collaboration", regrette la chercheuse Delphine Perrin. Alors que Tripoli traîne des pieds pour intégrer le processus de Barcelone, le contrôle des flux migratoires constitue en effet l’un des deux seuls dossiers de coopération avec ce pays, à côté de celui de la santé (indirectement lié aux infirmières bulgares). Une nouvelle carte de négociation libyenne qui aura permis en octobre 2004 de faire lever les sanctions européennes sur la vente d’armes, condition préalable à l'acquisition de radars et hélicoptères de surveillance.

« Nous ne pouvons ni construire ni financer des centres en dehors de l’Europe », a déclaré Franco Frattini, Commissaire européen au moment de la Conférence ministérielle euro-africaine sur l’immigration clandestine, organisée à Tripoli les 22-23 novembre. « Mais nous pouvons aider au rapatriement en finançant des vols communs ». Touchée directement, l'Italie a également développé une coopération bilatérale active mais controversée avec Tripoli, expulsant plusieurs miliers de migrants entre 2004 et 2005, dont des réfugiés politiques qui ont été renvoyés ensuite par la Libye. Une pratique à laquelle a mis fin l'actuel gouvernement Prodi.

Malte et l’Italie souhaitent l'organisation par l'UE de patrouilles dans les eaux méditerrannéennes avec les autorités libyennes, ce que refusent ces dernières. La Libye considère avoir elle-même un problème d’immigration et que la priorité est d’agir sur sa frontière sud (4 000 km). Tripoli réclame une aide logistique (hélicoptères, 4X4, équipements radar) et de renseignement pour dénicher les réseaux de passeurs et un appel d’offres a déjà été lancé par l'UE dans ce sens.

Mais si la Libye renforce sa politique de régulation des flux « elle ne le fait pas du tout pour faire plaisir à l’Europe », précise M. Hart. « Elle le fait pour lutter contre une immigration clandestine massive qu'elle considère désormais comme un danger ». Les 40 millions d'euros promis par l'UE pour des projets de co-développement lors de la Conférence de Tripoli, assortis de conditions, font d'ailleurs bien sourire les Libyens qui disposent d’un fonds de plus de 5 milliards pour investir sur le continent.

Nathalie Gillet


Changement de visage à Tripoli

La Tribune de Genève, 17 juillet 2007

Il est 19h30, sur l’avenue Omar Mokhtar, au centre de Tripoli. Malgré la tombée de la nuit, de petits groupes de jeunes Libyennes flânent le long des grandes arcades illuminées, d’autres commentent en pouffant de rire les vitrines des magasins, ouverts jusqu’à 1h du matin. L’ambiance est détendue et si ces dames portent le voile dans leur majorité, elles veillent à l’assortir à la tunique ou à la minijupe qui coiffe un jean à la mode. Les jeunes gens aussi soignent désormais leur apparence malgré les sarcasmes des aînés : "Regardez ces cheveux plein de gel", s'exclame un vieux commerçant, "on dirait des femmes !". Plus loin, derrière le comptoir d’une pharmacie, deux employées en blouses blanche bavardent en regardant sur un écran de télévision les clips d’une chaîne câblée. Depuis la généralisation des antennes satellitaires, on zappe jusqu’au fin fond du désert.

L’ouverture économique initiée en 2003, essentiellement la libéralisation du commerce et du secteur privé, a transformé le visage des grandes villes. Partout, les propriétaires cassent les murs de leur maison pour faire comme le voisin. Partout des étages se rajoutent, profitant des crédits accordés depuis plus d'un an à taux bonifiés. Le BTP est en plein boom. Coupé du monde durant plus de 10 ans, ce pays de 1,76 million de km2 renouvelle ses infrastructures au moment même où ses recettes pétrolières record lui en donnent les moyens. Entre les appels d’offres pétroliers, l’extension des réseaux de GSM, la construction de 4 nouveaux aéroports, de centrales électrique et d’usines de dessalement, etc., les entreprises étrangères se bousculent au portillon. Un cabinet de conseil américain, Monitor, installé dans l’une des cinq tours du quartier d’affaires Dhat el Imad, participe même à la formulation de réformes dans la Libye révolutionnaire. Déroutant…

L’époque des files d’attente dans les magasins étatiques est donc révolue et les produits du monde entier sont disponibles : vêtements de marque, nouvelles technologies, électroménager dernier cri, automobiles. L’apparition de restaurants et cafétérias branchées dans les quartiers chics de Gargaresh ou Ben Achour, les terrasses en bord de mer, offre en outre de nouveaux lieux de socialisation.

Mais parallèlement à l’optimisme ambiant, les critiques se font aussi plus audacieuses. Avec la généralisation du téléphone portable, des voyages, des cybercafés ouverts 24h sur 24 et le retour des langues étrangères dans les écoles, les Libyens situent plus justement leur pays dans le monde. « Où va l’argent du pétrole ? Pourquoi n’avons-nous pas atteint le développement de Dubail ? », entend-on désormais. Les produits d'importations ont eu en outre pour effet de diminuer le pouvoir d'achat. Ouvrir sa propre affaire est devenu une nécessité car le système redistributif traditionnel fatigue : les produits alimentaires subventionnés le sont de moins en moins, la médecine gratuite n'est pas à niveau et les Libyens qui en ont les moyens vont se soigner en Europe ou dans les cliniques tunisiennes.

Enfin, malgré l’ouverture économique et le règlement des contentieux internationaux, le régime politique demeure le même, gardant pour référence le Livre vert. La surveillance policière s’est décontractée mais : « Nous gardons un torticolis permanent », note avec humour un homme d’affaire : « à force de regarder autour de soi avant de critiquer ». Un autre enchaîne de façon plus poétique : « Le tableau a changé mais c’est le même peintre qui tient le pinceau ; il a mis un peu plus de couleurs, c'est tout ».

Nathalie Gillet

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Juillet 2006

- Quand la Libye se reconnecte au monde  (3591 mots),

Le Monde Diplomatique, juillet 2006, (pseudonyme : Helène de Guerlache)

Amateurs d’archéologie antique ou de peintures rupestres, si vous avez décidé de franchir la Méditerranée pour pénétrer en Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire, vous aurez peut-être la surprise d’entendre, posée par une jeune habitante dans une contrée inattendue, la question suivante : « Connaissez-vous la chanson Je suis malade ?» Quand, pour la troisième fois, vous entendrez fredonner cet air de Serge Lama dans la petite ville de Ghat geo:lat=25.661333 geo:lon=12.678223, à l’extrême sud-ouest de la Libye, dont est originaire l’écrivain Ibrahim Al-Koni (1), vous comprendrez que, malgré l’aspect poussiéreux du paysage urbain, malgré les trottoirs défoncés et le délabrement de bâtiments sociaux dignes de la banlieue parisienne, quelque chose s’est passé.

Après dix années d’isolement international, la Libye se reconnecte au monde, un mouvement qui dépasse les simples rapprochements diplomatiques. Déjà, depuis trois ans, la population adolescente contribue à faire chuter l’audience de l’austère chaîne de télévision publique Libya, en suivant, parmi d’autres émissions, les rebondissements de la « Star academy ». La version arabe, évidemment, celle que diffuse la chaîne satellitaire libanaise LBC. C’est en 2004 que Je suis malade, ce classique de la chanson française, avait ainsi été immortalisé jusque dans le désert libyen. Ici aussi, désormais, on zappe. (...)
Lire la suite...
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Deutsche Fassung :   Was nicht im grünen Buch steht

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In Arabic
عندما تعيد ليبيا تواصلها مع العالم



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29 janvier 2007

La Libye en chantier

Jeune Afrique, 29 janvier 2007

Il est 10h du matin, les rues de Tripoli sont engorgées comme à toute heure du jour et de la nuit. Quelques magasins ont encore le rideau baissé mais l'activité est déjà débordante et les automobiles avancent au pas. La qualité du parc est impressionnante. Depuis la suspension puis la levée de l'embargo international en 2003 les Tripolitains se paient de belles voitures, coréennes, françaises, allemande et depuis peu américaines, acquises à prix préférentiel (encore subventionnées pour certaines). Fini les vieux taxi collectifs déglingués qui peuplaient le paysage urbain il y a 5 ans à peine et qui n'assurent plus que les gros trajets. L'heure est aux taxis privés importés en masse par une association de jeunes, et qui constituent à vue de nez près du quart des voitures en circulation dans la capitale.

Depuis la libéralisation des importations (baisse des droits de douane, suppression des monopoles publics), et les quelques réformes économiques initiées par l'ancien Premier ministre Choukri Ghanem en 2003, le nombre de commerces s'est multiplié à donner le tournis. Avec les taxis, ils constituent la nouvelle source de revenus des Libyens, qui compensent ainsi la faiblesse des salaires dans la fonction publique. Bloqués depuis plus de 25 ans (250 dinars pour un enseignant, soit 151 euros) ces derniers sont en cours de revalorisation.

Partout, les propriétaires de maisons cassent les murs pour faire comme le voisin. Partout des étages se rajoutent, profitant des prêts accordés depuis plus d'un an à taux bonifiés; le BTP est en plein boom. Sur un carrefour un peu éloigné du centre ville se construit le prochain hypermarché Mehari sur 6 étages, en lieu et place de l'un des 5 marchés publics de la capitale. Visibles de très loin, les grandes façades teintées en bleu ont remplacé les murs austères de l'ancien immeuble. Tout un symbole… A la grande époque de la Révolution du Colonel Kadhafi, ces marchés de produits subventionnés devaient remplacer définitivement le secteur privé, tickets de rationnement, pénuries, files d'attente et trafics en prime. "Le département achat était parfois confié à un bédouin sans éducation et on se retrouvait avec un choix de deux pantalons aux couleurs farfelues", se rappelle un commerçant.

Aux abords de l'avenue Gargaresh, à côté du magasin de fleurs qui s'est installé il y a un an, un autre centre commercial sur 3 étages vient d’ouvrir ses portes fin décembre : Babouabat Al Andalous, avec ses 237 espaces (vêtements en provenance d'Europe, montres Seiko, chaussures design, chocolats suédois, téléphones portables, etc), une galerie, une banque, deux cafétérias. Ailleurs dans la rue, s'alignent les cafés, les magasins d'électroménager, de chaînes hifi. Après des années de privation, tout est désormais disponible en Libye, des grandes marques aux produits chinois qui inondent le marché comme au Souk el Rachid "le plus grand marché de gros de toute l'Afrique du Nord", selon Ali, 30 ans : "L'Etat nous laisse enfin travailler et nous demande très peu de taxe." L'heure est à l'optimisme capitaliste et la promotion sociale a définitivement cessé de se faire par l'entrée dans les Comités révolutionnaires ou autres organes sécuritaires.

"Les magasins sont ouverts jusqu'à 1h du matin l'hivers et jusqu'à 3 heures l'été !", affirme Hassan, commerçant à Gargaresh. "Quand il fait bon, tout le monde, filles et garçons, se rend sur les nouvelles terrasses de café le soir au bord de la plage à quelques mètre de la route de Gargaresh. L'ambiance a changé en 6 mois ! Les filles aussi ont changé.. trop, je trouve…".

Des évolutions qui tranchent avec un certain conservatisme de la société et une séparation des sexes plus affirmée qu'ailleurs. Mais les Libyennes disposent de nombreux droits, notamment en matière de divorce. Elles travaillent, conduisent et sont plus nombreuses que les hommes dans les Universités et les administrations.

Alors que les mannequins des belles vitrines exposent leur chevelure abondante, les jeunes filles portent quasiment toutes le hijab, mais assorti à la minijupe qui coiffe le jean à la mode. "L'habit militaire dans les écoles a introduit le pantalon. Le passage du treillis au jean s'est fait tout naturellement en Libye", explique Hadia Gana, artiste francophone qui donne des cours de poterie à l'école des Beaux arts. "Les couples se mettent à faire des choses ensemble. Il y a 5 ans, c'était impensable de voir des femmes dans les cafés", poursuit Hadia. "Aujourd'hui on les voit garder des boutiques, une incongruité il y a un an à peine", affirme Karim, marocain et serveur.

Certaines jeunes femmes font leur jogging à l'hippodrome de Tripoli jusque tard dans la nuit. A Benghazi, les hommes ont baptisé de façon peu élégante El Bat ("les canards"), une route de 4 km sur laquelle des femmes bien portantes font leur marche quotidienne en fin de journée.

Depuis quelque temps, des abribus ont fait leur apparition ainsi que des parcs. "C'est à ce genre de détail que je vois que l'on s'occupe du paysage urbain et pour moi c'est encourageant", affirme Loay Burwais, jeune architecte qui a participé à l'organisation d'un festival d'art contemporain l'an dernier. Aujourd'hui il réalise un magasin Cartier entièrement en fer forgé, dans le quartier chic de Ben Achour. "Il faut que les Libyens se fassent confiance, soient créatifs, s'approprient l'avenir".

Les jeunes gens soignent leur apparence et essuient les sarcasmes de leurs aînés : "Regardez ces cheveux plein de gel", s'exclame un commerçant, "on dirait des femmes !". La population retrouve et apprécie le contact avec le monde extérieur, via les cafés internet ouverts 24h sur 24 à chaque coin de rue, le satellite, les voyages. Après des années d'interdiction, l’anglais est de retour depuis 2 ans dans les classes du secondaire. Deux centres culturels britannique et américain se sont ouverts l'an dernier, de gros bateaux de croisière font escale le long du littoral, tandis les entreprises étrangères s'installent pour saisir les juteux marchés d'infrastructures. Avec $ 34 milliards de recettes pétrolières prévues pour 2006 le pays a théoriquement les moyens financiers de son développement. "Le nouveau premier ministre Baghdadi, homme du système, est plus efficace que son prédécesseur car il pousse les banques à financer les projets d'infrastructure, l'acquisition d'équipements, etc.", estime un chef d'entreprise français.

"Mais les produits d'importations ont fait baisser le pouvoir d'achat général et créé de nouveaux besoins. Tout le monde doit maintenant travailler dans le privé. Résultat, la concurrence s'est durcie", se plaint un vendeur de luminaires à Benghazi. "La vie augmente de façon inimaginable ! ". De fait le système redistributif instauré par la Révolution montre des signes de fatigue. Les produits alimentaires subventionnés le sont de moins en moins. La médecine gratuite n'est pas à niveau et les Libyens qui en ont les moyens vont se soigner en Europe ou dans les cliniques offshore de Tunisie. Le problème de l'emploi des jeunes s'accentue.

"J'ai un diplôme en informatique mais pas de travail dans mon domaine. Mon taxi me rapporte 10 dinars par jour car je le loue à une compagnie privée. L'essence a augmenté et je vis encore chez mes parents", rapporte Ali, 30 ans. De leur côté, 400 000 fonctionnaires sur un million sont encouragés à démissionner et prendre des crédits garantis par le nouveau Fond économique et social pour le développement (doté de plusieurs milliards de dollars) pour monter leur propre business.

"La Libye c'est pour les étrangers qui viennent faire des affaires", entend-on de plus en plus fréquemment après les premiers commentaires enthousiastes. Mais pour les étrangers, l'arrivée récente d'une trentaine de nouveaux opérateurs pétroliers a poussé le prix des loyers de façon phénoménale. Tous les propriétaires veulent louer à des Américains", se plaint un expatrié maltais, qui cherche depuis 4 mois : "Aujourd'hui une maison coûte 4000 DL par mois, contre 2000 il y a deux ans ! Le loyer d'un 3 pièces classique est de 3500 DL !!"

Un jeune chauffeur de taxi proteste : il n'y a rien à faire ici à part travailler; on a la voiture, la musique et la consommation mais tout est cher. La moindre veste en jean me coûte 60 dinars!". Par soucis de voir l'ouverture du pays profiter aux nationaux, la législation évolue vers une libyanisation du personnel des compagnies étrangères, prônée par le ministre de l'Emploi Mohamed Maatoug, nouvelle bête noire des compagnies étrangères. "Les visas de travail pour les expats se raccourcissent" se plaint un chef d'entreprise.

Conscients de cette pression et de la rareté des compétences, les Libyens qualifiés font aujourd'hui jouer la concurrence pour revoir leurs salaires à la hausse ou se faire embaucher dans une compagnie pétrolière américaine. "Si l'analphabétisme a quasiment disparu du paysage, l'enseignement a besoin d'une réelle mise à niveau", témoigne un entrepreneur français.

Pour autant l'environnement politique n'a pas évolué; la référence demeure le Livre Vert, qui prône l'absence de partis et interdit toute association d'intérêts en dehors de ce cadre. La presse locale est l'une des plus fermées du monde arabe. "Mais le climat n'est pas crispé, les gens s'expriment assez ouvertement, si l'on évite certains sujets touchant au Colonel et à sa famille", nuance un diplomate : "on n'a pas non plus l'impression d'être surveillé; la sécurité est devenue très relaxe".

Optimiste mais sceptique, la population garde toutefois quelques vieux réflexes. "Nous Libyens, nous avons un torticolis permanent car nous regardons toujours autour de nous avant de parler", plaisante un entrepreneur de Benghazi. "Il y a quelques années nous n'aurions jamais parlé à deux devant vous !". En raison du cumul des postes, des réseaux d'influence informels, il est souvent difficile de savoir ce que fait exactement son interlocuteur. L'opacité des organigrammes officiels et officieux des entreprises et institutions publiques, incite à une discrétion, celle peut-être qui explique que les noms des ministres ne sont jamais mentionnés dans la presse ; "il est aussi de très mauvais goût de demander le nom de famille de quelqu'un qui ne vous l'a pas précisé de lui-même", avertit un jeune commerçant.

En attendant, le chiffre 37 qui orne la plupart des panneaux d'affichage de Tripoli, rappelle pour ceux qui l'auraient oublié que la Révolution du Colonel Kadhafi a 37 ans. En septembre prochain, ils seront mis à jour comme tous les ans. « Pour toi seul l’amour et la fidélité », peut-on lire à la sortie de l'aéroport, en légende d'un portrait du Guide. "Oui, le tableau du pays a bien changé mais c’est le même peintre qui tient le pinceau, il a mis un peu de couleurs, c'est tout", conclut en souriant un commerçant de la Medina de Tripoli.

Encadrés : Une « espionne » au Congrès populaire de base


Une fois par an, au moins, les compatriotes de Mouammar Kaddafi sont invités à se prononcer sur la politique du gouvernement et les problèmes de la vie quotidienne dans le cadre des Congrès populaires de base, ces organes consultatifs qui sont un peu le symbole de « démocratie directe » à la libyenne. Les réunions se tiennent chaque jour de 16 à 18 heures, une ou deux semaines durant.

Dans une école située derrière le Souk el-Rachid, à Tripoli, les responsables du quartier attendent leurs ouailles. Les femmes au rez-de-chaussée, les hommes au premier étage... Il est 16 h30 quand une femme ronde vêtue de noir s’assoit à la place de l’instituteur et entame la lecture à haute voix d’un rapport sur un projet de chemin de fer. Un quart d’heure plus tard, un journaliste fait son entrée et enregistre la séance. Assis à leurs tables d’écoliers, femmes et enfants écoutent studieusement, tandis que le journaliste regarde sa montre. « La discussion est ouverte », annonce l’oratrice. Deux mains se lèvent… Quelques brefs commentaires et l’on passe au vote, à main levée. Acquiescement général.

À l’étage, la séance a commencé plus tardivement. Les hommes, me dit-on, sont généralement moins assidus et ne remplissent qu’une seule salle. La plupart sont modestement vêtus. Ils ont l’air fatigués, usés. La moyenne d’âge doit avoisiner 60 ans. L’ordre du jour est des plus délicats : « 2 211 agents de l’État ont commis des actes illicites ; 1 727 d’entre eux ont conclu des contrats fictifs avec des sociétés, volé de l'argent, fait de fausses déclarations… » Des gens entrent, d’autres sortent. Imperturbable, le responsable de quartier poursuit : « Dans plusieurs universités, des employés ont menti au fisc… Des associations ont octroyé de faux permis pour récupérer du fer dans des usines d’État et le revendre au marché noir… »

Sous son kambous noir, le couvre-chef local, un vieil homme trépigne. Quand vient l’heure du débat, il explose : « Selon la loi n°10, les directeurs de sociétés publiques sont tenus de déclarer leur fortune et d’expliquer la manière dont ils l'ont acquise avant le 31 décembre 2006... » Son corps est malingre, mais sa voix ferme. Il enchaîne : « Le colonel Kaddafi a fait la Révolution pour le peuple, il en faut une autre pour punir les voleurs ! » Il brandit sa canne, tandis que son visage s’empourpre. Tonnerre d'applaudissements.

D’autres lui succèdent. « Nous avons des hôpitaux, dit l'un, mais leurs directeurs volent les équipements et les médicaments pour leurs cliniques privées ! Mon frère est allé se faire soigner en Tunisie : son médecin était libyen ! Il faut payer ces gens-là davantage pour qu’ils restent en Libye… »

Posément, le responsable reprend la parole. « L’État a octroyé des crédits aux jeunes et délivré des permis de construire : 40 000 logements sont prévus à Tripoli et Benghazi. » « On attend toujours ! l'interrompt quelqu'un. Beaucoup de gens construisent des maisons. D'où sortent-ils cet argent ? On veut savoir ! » Il est interrompu par la sonnerie de son portable. Le vieil homme du début enchaîne : « Le gouvernement vient d’accorder à l’Égypte une aide de 1 milliard, c’est le milliard du peuple ! » La discussion dure une demi-heure. Avant de partir, un homme interroge mon voisin en me regardant fixement : « C’est une espionne ? »

À l’extérieur, les commerçants du souk affectent l’indifférence. « Tout ça, c’est du bla-bla », tranche abruptement l’un d'eux. « Avant, on était obligés d'y aller et de donner son nom, ou alors, il fallait fournir une excellent excuse, se souvient Ali, 42 ans, marchand d’or dans la Médina. Aujourd’hui, c’est plus relax. De toute façon cela ne sert pas à grand chose de se déplacer : on parle, on parle et rien ne change, car tout est décidé en haut lieu. ». Ce qui n'empêche pas les prises de bec pour ceux qui font le déplacement N.G.

Encadré2 : Benghazi, frondeuse mais prospère

Le front de mer de la deuxième ville du pays, en Cyrénaïque, est bordé d’immeubles défraîchis datant de la colonisation italienne. Sur la plage comme sur la Corniche bordée de palmiers et de lampadaires, détritus et de gravats s’amoncellent. Benghazi « souffre d'un sentiment d’abandon et jalouse la capitale », affirme un diplomate européen. Moins nombreux qu'à Tripoli, les taxis y ressemblent généralement à des épaves ambulantes. Embarquer à bord de l’un d’eux revient parfois à défier l'Eternel.

En 1998, c’est ici qu’a éclaté l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien injustement accusés d’avoir transmis le virus du sida à 426 enfants. Ici aussi que, quelques mois auparavant, un groupe islamiste armé avait tenté d’assassiner Mouammar Kaddafi. Ici encore que, l’an dernier, une manifestation de protestation contre le port par un ministre italien d'un Tee-shirt arborant des caricatures du Prophète a gravement dégénéré (incendie du consulat d’Italie, plusieurs dizaines de morts et de blessés). Pour tenter d’apaiser les tensions de nombreux cadres régionaux ont depuis bénéficié de promotions…

Traditionnellement hostile au pouvoir, la Cyrénaïque est le berceau de la confrérie sénoussie, pilier de la défunte monarchie (renversée en 1969 par Kaddafi). Voisine de l’Égypte, elle est séparée de Tripoli par un désert. C’est le fief des Frères musulmans - avec lesquels le pouvoir a entrepris récemment de négocier - et des groupes islamistes armés, aujourd’hui réduits au silence. « Dans ce pays, l’opposition vient toujours de Benghazi, confirme un haut fonctionnaire. Même la Révolution a commencé ici. Kaddafi a d’ailleurs suivi les cours de l’école militaire de la ville. Même le roi Idriss craignait ses habitants ! », rapporte un homme d'affaires.

L’essor du secteur privé y est sensible. Sur la belle rue Dubaï comme sur la rue Ishrin, plus populaire, cafés et commerces se multiplient. « Les gens de Benghazi sont riches, commente un commerçant tripolitain. Ils font leur business dans la capitale et vont en Europe. Ils sont plus téméraires que nous en affaires. Chez eux, les solidarités tribales sont plus fortes. » Les vols du matin à destination de Tripoli sont pleins à craquer de passagers en costume cravate accrochés à leur téléphone portable. Dans les rues de la ville, des panneaux publicitaires vantent sans complexe telle ou telle marque de shampoing, de gel douche ou d’appareil électroménager. Rien à voir avec la ferveur « révolutionnaire » qui continue de prévaloir sur les panneaux de la capitale ! N.G.

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Du coût de la vie en Libye...

Jeune Afrique, 24 mars 2008

De l’ordre de 7% en 2007, avec une prévision de plus de 10% cette année, l’inflation touche l’ensemble des produits importés en Libye (acquis essentiellement en euros), le pays ne produisant quasiment rien en dehors du brut. Malgré l’absence de TVA et la faiblesse des tarifs douaniers, la hausse des prix a été nette et aura influencé le Congrès général du peuple (Parlement), qui entérine chaque année le budget du pays. Depuis sa session annuelle de mars et surtout le tonitruant discours du colonel Kadhafi à cette occasion, la Libye se trouve en plein chamboulement politique et économique, avec la suppression du gouvernement (4 ministères régaliens exceptés) et du poste de Premier ministre d’ici à décembre, au profit de commissions et d’autorités spécialisées.
A la faveur de ce changement, l’heure est officiellement à la redistribution directe de l’argent du pétrole ! Pour compenser en partie le désubventionnement progressif des produits de base (sucre, farine, huile, lait, etc.), les salaires des fonctionnaires, bloqués depuis plus de 25 ans autour d’une moyenne de 200 euros, avaient déjà connu une réévaluation l’an dernier. Mais on partait de très bas...
Pour compenser la cherté de la vie, les nouvelles règles édictées en mars prévoient désormais d’octroyer pas moins de 5000 dinars par famille (2670 euros !) ou 1000 dinars par personne (534 euros). Décidé par le colonel en personne, ce projet signerait à terme la fin du système de subventions, même des subventions déguisées (voitures, eau, électricité). L'essence aussi, toujours très abordable, certes, a subi une augmentation de 20% environ en février dernier. On revient par conséquent à une vérité des prix, assortie d’une augmentation des revenus.
Une hausse des salaires avait déjà été largement été constatée dans le secteur privé. Avec l’octroi ces dernières années de dizaines de permis d'exploration pétroliers, 42 opérateurs étrangers investissent aujourd'hui tous en même temps dans leurs champs et s’arrachent des personnels qualifiés. Ces derniers n'hésitent pas à jouer leur paie à la hausse et pour certains, à changer d’entreprises tous les 6 mois. Les entreprises de tous les secteurs observent, impuissantes, la fuite de leurs cadres pour de meilleurs horizons, formés pourtant à grands frais.
Avec des prévisions de croissance de 8,8% environ pour 2008 (après 6,8% en 2007), l’économie libyenne est en plein boom, forte de son pétrole et d’investissements massifs dans les infrastructures. Ajoutés à la conjoncture internationale ces facteurs internes alimentent largement la hausse actuelle des prix en Libye. Et vis versa.
Nathalie Gillet

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Fiche pays : Libye 2008
ENCADRE
La stratégie des fonds souverains

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique, Février 2008

Créés en août 2006, les fonds d’investissements souverains en Libye sont montés en puissance en 2007 et canalisent les relations économiques avec l’étranger. La Libyan Investment Corporation (LIC), dirigée par Mohamed Layas, et dotée d’une enveloppe évolutive de plusieurs dizaines de milliards de dollars est le holding de ces fonds, spécialisé dans l’investissement sur les marchés occidentaux. Il y a également le Libyan African Portfolio pour l’investissement, tourné vers l’Afrique et dirigé par Bechir Salah. Responsable de l’investissement domestique, le fond le plus puissant est le Fond de développement économique et social (ESDF), chargé entre autres de « privatiser » les entreprises libyennes au bénéfice de familles nécessiteuses. La majorité des grands projets d’investissement dans les infrastructures se fait via ce fonds, qui prend des parts dans beaucoup de projets et de sociétés créées avec les étrangers. Débordant de pétrodollars, ils s’imposent dans tous les contrats, même quand on ne les y invite pas. Ils possèdent des banques (Sahara Bank, Wahda Bank à plus de 70%), des compagnies d’assurances, des cimenteries
Les autorités appellent cela le « capitalisme populaire » ou, de manière abusive, « secteur privé », destiné à compenser les démantèlements opérés par ailleurs dans le système redistributif (suppression des subventions sur les produits de base, licenciement progressif de plus de 300 000 fonctionnaires). Les actions distribuées au peuple sont contrôlée pendant 3 ans par ESDF, qui gère l’argent pour le peuple, considéré encore comme insuffisamment mature. Reste à savoir si ces actions seront véritablement remises aux gens à échéance de 3 ans, avec les intérêts
Nathalie Gillet

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Interview
Ali Treki, ministre délégué aux Affaires étrangères, chargé des Affaires africaines

Quel est votre bilan du dernier Sommet UE-Afrique ?
C’était un sommet très important. Nous avions déjà entamé un dialogue il y a sept ans mais presque rien n’a été réalisé depuis. Cette fois-ci nous avons élaboré une feuille de route qui nous permettra de travailler ensemble. J’espère que nous allons l’appliquer. Les Africains désespéraient en vérité. Chaque année, il y avait soit un G8, soit une réunion européenne, avec une promesse de 50 milliards ou autres mais rien n’avançait véritablement pour l’Afrique. Cette fois-ci je crois que Européens et Africains sont plus sérieux. L’Afrique est un continent qui n’a pas besoin d’aide mais surtout d’investissements.

Etes-vous d’accord avec l’ensemble de cette feuille de route ?
Oui, je crois que nous sommes globalement d’accord. Nous pensons que nous aurions pu faire mieux. Certains chefs d’Etat ne sont pas très contents. Vous avez entendu le Président Wade, concernant le Nepad, il était désespéré de voir des promesses n’aboutir à rien. J’espère que cette fois ce sera différent, que les Européens feront leur devoir. L’Afrique est un continent riche qui a besoin de technologie et d’investissements.

Quels sont les dossiers prioritaires de la Libye en Afrique ?
La Libye est un pays africain, son histoire est liée au continent. Elle tient une place majeure dans la construction de l’Union africaine. Nous avons une coopération très importante et des investissements également importants. Au moment de l’embargo, l’Afrique nous a soutenus. Nous faisons partie de l’Afrique et voulons profiter de cette coopération euro-africaine pour trouver une solution à de nombreux problèmes, le sida, le sous-développement.

La Libye est non seulement une terre de transit mais aussi une terre d’immigration. Quelle évolution la Libye a engagée dans sa politique migratoire ?
Nous avons plusieurs millions de migrants sur notre territoire. Le problème est de relier le développement et l’immigration. Ces pays sont très pauvres, ils ont beaucoup de chômeurs. Il faut les aider, pour que ces gens qui risquent leur vie chaque année n’en aient plus envie. La police, la sécurité ou l’armée ne résoudra pas le problème. Il faut une aide efficace pour développer l’agriculture, l’industrie.

Où en est la coopération avec l’Union européenne en matière de flux migratoires ?
Nous avons surtout une coopération bilatérale avec l’Italie. Nous coopérons avec les pays d’origine comme le Niger, le Tchad, le Ghana, le Mali. Nous avons aussi une coopération en matière de refoulement, de répartition des migrants.

Les Africains doivent-il désormais présenter un passeport pour entrer en Libye ?
Bien sûr. Mais il est toujours difficile de contrôler le désert. On arrête des gens et les renvoie chez eux mais ils reviennent par le désert. Beaucoup y meurent ou meurent en mer. Le problème n’est pas de bloquer ces flux, le problème est celui du développement dans ces pays. La réunion des ministres africains et européens à Tripoli a fait un communiqué dans ce sens.

Que pensez-vous de l’idée d’Union méditerranéenne défendue par Nicolas Sarkozy ?
Nous sommes d’accord sur le principe. Mais il y a déjà la base des 5+5, actuellement la Libye propose un élargissement à 6+6, en incluant l’Egypte et la Grèce. Le Président Sarkozy propose un sommet au milieu de l’année prochaine. Ce sera l’occasion pour les chefs d’Etat d’étudier le projet. Avant il y avait des réunions régulières entre les deux rives de la Méditerranée. Nous pouvons nous réunir en plus sur l’initiative de M. Sarkozy car il y a beaucoup de choses à examiner: l’immigration, la pollution…

L’énergie nucléaire ?
Oui.

Quelle est la position de la Libye par rapport à l’action du président Mugabe au Zimbabwe ?
Notre position est une position africaine. Nous sommes contre la position des Allemands, contre les sanctions car nous ne pensons pas que ce soit une solution. Nous les avons subies nous-mêmes. Il faut avoir un dialogue. Que reproche-t-on au président Mugabe ? La nationalisation des terrains ? C’est leur droit. Nous l’avons aussi pratiquée après la révolution. Il y a eu un accord entre la Grande-Bretagne et le Zimbabwe à Lancaster, pour dédommager les blancs qui ont été spoliés. Mais en fait… c’étaient des terres africaines ! En Afrique du sud, 87% des terres appartiennent aux blancs… Cela ne peut pas durer, il faut trouver une solution.
Les Africains, les noirs, vont un jour se révolter alors il faut trouver une solution. Il est préférable évidemment de trouver une solution pacifique avec des dédommagements. On ne peut pas tout nationaliser immédiatement mais c’est une question très délicate. Le président Mugabe a fait une initiative pour la majorité noire

Mais aujourd’hui le développement du Zimbabwe est catastrophique
Mais on ne peut pas pour autant isoler le pays et refuser de l’aider. Dire que Mugabe ne doit pas assister à la réunion, l’Afrique ne va pas l’accepter… Sur le principe même, un pays africain ne peut pas être isolé. J’espère que la Grande-Bretagne et le Zimbabwe vont finir par discuter ensemble.
Propos recueillis le 13 décembre 2007 par Nathalie Gillet

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Folie de l'automobile en Jamahiriyah

L'Expansion, avril 2007

Depuis 3-4 ans, l'ambiance n'est plus la même dans les rues de Tripoli. La libéralisation des importations entamée en 2003 a entraîné la multiplication visible de nouveaux magasins le long des grandes avenues de la capitale libyenne, ouverts l'été jusqu'à 3h du matin. Mais la chaussée offre spectacle tout aussi saisissant : celui d'un parc automobile flambant neuf ! Depuis la fin de l'embargo, après des années de privation, les Libyens se ruent sur l'achat de berlines, essentiellement d'origine coréenne et japonaise mais aussi européenne, sans parler des copies chinoises aux sonorités insolites (Tayota, Isuzu, ...). Il n'est pas rare d'en voire 4 ou 5 par famille.

Résultat : à toute heure du jour et de la nuit, de la semaine ou du week-end, les routes de Tripoli sont engorgées, les voitures avancent au pas. La taille du parc national a largement dépassé les 500 000 véhicules mais certaines estimations osent le chiffre d'un million (pour 5,3 millions d'habitants), soit un taux de motorisation 3 fois plus élevé que la moyenne des pays arabes. Une véritable énigme sociale quand on sait qu'une voiture coûte entre 11 000 et 20 000 dinars (6500 à 11000 €) et que le revenu moyen dans la fonction publique tourne autour de 300 dinars...

« Les droits de douanes ont fondu fin 2005, je n'ai payé que 800 dinars de taxes pour ma Peugeot qui en valait 16 000 » triomphe Rachid, un commerçant de 35 ans. Mais ce n'est pas la seule explication. Outre les agents des grands constructeurs privés qui commercent aujourd'hui plus librement, il y a la concurrence d'un marché parallèle très actif. L'achat de véhicules est aussi indirectement subventionné par un jeu sur le taux de change. En outre, certains organismes publiques, syndicats ou associations importent des véhicules en masse et proposent depuis peu des facilités de crédits à taux zéro. L'inconvénient : « J'ai dû m'inscrire sur une liste d'attente et attendre presque 2 ans… Et à la fin je n'ai même pas eu le modèle que j'avais demandé ! » affirme Raja, une ingénieure de 32 ans. « Aujourd'hui, je viens de racheter la BMW d'un collègue expatrié. On dirait une voiture de ministre ! », s'exclame-t-elle, fièrement.

Les femmes sont les premières bénéficiaires de ce mouvement, vu la carence caracérisée des transports collectifs. Plus mobiles et autonomes elles se déplacent désormais volontiers le soir après le travail pour aller au café ou faire du shopping. L'automobile est surtout devenue une source de revenus pour les fonctionnaires qui s'improvisent chauffeurs de taxi privé. Ces véhicules noir et blanc constituent à vue de nez près du quart du parc roulant de Tripoli, remplaçant les vieilles Peugoet break où l'on s'entassait à 6. Conduire reste enfin le passe-temps favori d'une jeunesse qui s'ennuie : « Il n'y a rien à faire le soir, alors on s'amuse à dévaler les avenues à toute vitesse », affirme Ahmad, 25 ans.

Le contraste est donc frappant avec les vieux tacots qui sévissent encore à Benghazi, 2e ville du pays, un peu délaissée pour cause d'hostilité latente au régime. L'automobile a décidément encore de beau jours devant elle en Libye.

Nathalie Gillet

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Visite du Colonel Kadhafi à Paris
Interview
 de Mohamed Siala, Secrétaire d’Etat aux Relations extérieures et à la coopération internationale

Jeune Afrique (version complète de l'auteur), 20 décembre 2007

Mohammed Siala, ministre délégué aux Affaires étrangères en Libye, chargé des Relations extérieures et de la Coopération internationale, est un homme clé de la politique économique libyenne à l’étranger. Economiste de formation, discret, apprécié des milieux d’affaires occidentaux, il a occupé différents postes stratégiques et fondé notamment la Lafico. Connaissant par cœur les dossiers, il est de toutes les missions économiques à l’étranger et fut le seul membre du gouvernement, avec MM. Chalgam et Ali Triki, à avoir accompagné le colonel Kadhafi à Paris. C’est lui notamment qui répondait pour le « Guide » aux questions des patrons français, lui encore qui signait plusieurs accords de coopération.

Jeune Afrique : Qu’attendiez-vous de cette visite en France ?
Mohammed Siala :
Nous attendons de la France qu’elle devienne un partenaire économique majeur en Libye. Leurs entreprises sont les bienvenues. Les grandes sont déjà sur la route mais nous visons également les PME, pour qu’elles établissent des partenariats avec le secteur privé et produisent. Nous avons de l'énergie vraiment à bas coût, une main d’œuvre qualifiée et pour ce qui est de la main d’œuvre classique, nous avons derrière nous tous nos travailleurs africains. Le fait de créer des emplois pour eux, permet d'ailleurs aussi de lutter contre l’immigration clandestine. Les produits peuvent avoir accès à l'ensemble du marché arabe. Nous avons une facilité de zone franche en trois endroits. Nous sommes aussi membres de l’UMA, les produits libyens et français peuvent donc aller au Maghreb. Nous sommes membre du Comesa, dont les marchés nous sont donc accessibles sans droits de douanes.

Quelle est votre appréciation de la présence des entreprises françaises en Libye ?
Elles travaillent vraiment bien et comme le Guide l’a mentionné devant la communauté d’affaires, elles sont transparentes et ne prennent pas part à la corruption. Nous avons déjà signé deux accords importants, l’un sur l’encouragement et la garantie des investissements, l’autre sur la non double imposition. Cela leur permettra d’être plus compétitives par rapport aux autres. 

Le fait qu’un grand nombre de consultants en Libye soient américains influence-t-il désormais les relations d’affaires ?
Ils essaient mais leurs compagnies ne sont pas assez offensives. Et les Américains n’ont pas signé d’accords cadre avec la Libye. Nous allons commencer les négociations dans ce sens d’ici à deux mois. Nous nous sommes entendus sur le principe. Nous encourageons donc les entreprises françaises à se dépêcher...

Concernant le contrat de coopération nucléaire qui viennent d'être signés avec la France, en quoi diffère-t-il de celui signé signé en juillet.
Le précédent était un accord de principe, un mémorandum d’accord (MOU). Le texte actuel est plus détaillé. Ce que nous avons signé maintenant c’est un texte qui indique que la France est disposée à construire un réacteur nucléaire destiné à la génération d’électricité. Bien sûr cet accord doit être présenté par la France à l’Euratom pour approbation. Après, nous arriverons à une 3e phase qui sera la signature d’un contrat avec Areva pour l’achat d’un réacteur.

Il s’agit donc là d’une deuxième étape avant une 3e qui serait l’étape commerciale ?
Oui. Et ce que nous achèterons, ce sera un réacteur de la nouvelle génération.

Y a-t-il également un accord d’exploration du sous-sol libyen à la recherche de gisements d’uranium ?
Non. Mais si notre coopération se développe, nous serions prêts à le faire, bien sûr. Nous nous mettrions à rechercher tous les minerais du pays.

Quelles sont les priorités de la politique économique en Libye pour les prochaines années ?
Nous examinons un plan sur 4 ans pour 2008-2011. Notre priorité numéro un est la réhabilitation des infrastructures que nous avons construites après la révolution, parce qu’elles se sont détériorées durant les sanctions. Nous allons y ajouter de nombreuses routes, notamment une autoroute Est-Ouest allant de la frontière égyptienne à la frontière tunisienne ; nous augmentons actuellement notre capacité de génération d’électricité et faisons passer notre réseau de 220 à 400 KW ; nous construisons un nouveau port à Sirte, avec un tirant d’eau de 21 mètres. Ce port pourra donc accueillir de gros navires d’un quart de million de tonnes qui transporteront des céréales d’Amérique latine peut-être, d’Europe. Nous voulons faire de la Libye un hub vers l’Afrique, pour relier ce continent à l’Europe et à l’Amérique latine. Nous allons étendre également le port de Gas Rahmad à Misurata et celui de Ras Lanuf. Ces trois ports situés au milieu du pays seront utilisés pour le commerce avec l’Afrique.
Nous allons également construire des routes qui seront connectées aux réseaux africains. Il y a déjà celle qui relie al-Qatrun (au sud de Sebha) à Toum sur la frontière nigérienne et nous prévoyons d’en construire une autre de 1500km vers Agadez reliée elle aussi au réseau africain.
Nous allons construire un nouvel aéroport à Tripoli d’une capacité de 20 millions de passagers et de transport cargo. Ce sera le principal aéroport de cargo vers l’Afrique. Nous allons construire une nouvelle aérogare à l’aéroport de Benghazi, ainsi qu’à Ghadamès et à Sebha. Nous avons également acheté 37 Airbus et acquerrons peut-être aussi des Boeings dans l’avenir car nos flottes se sont détériorées durant l’embargo.
En bref, nous nous concentrons sur les aéroports, les ports, les routes, les transports, mais nous mettons également la priorité sur le réseau d’universités, afin de développer nos ressources humaines. Nous ne voulons pas d’un développement uniquement matériel. Nous ouvrons les cursus aux langues étrangères, y compris, au français, à l’espagnol et à l’italien. Il y a des projets de rénovation d’hôpitaux. Comme vous le savez, la France va fournir l’équipement du nouvel hôpital de Benghazi. C’est un grand hôpital d’environ 1000 lit, qui coûtera entre 100 et 150 euros. Il y a également des projets dans le tourisme.
Concernant nos champs pétroliers, nous y attachons une grande importance parce que nous exportions dans le passé 3 millions de barils jour (bj) environ. Or notre capacité actuelle n’est plus que de 1,7 million. Notre objectif est donc d’atteindre 2 millions d’ici au milieu de l’année 2008, puis 3 millions d’ici à 2010-11. C’est pourquoi nous avons lancé autant d’appels d’offres dans les hydrocarbures.

Quel est le budget prévu pour tous les projets mentionnés ?
Pour le programme de 2008-2011, le budget prévu s’élève à 180 milliards de dollars. Environ 65% de ce programme porte sur les infrastructures.

Tous les projets dont vous avez parlé feront-ils l’objet d’appels d’offres ?
Oui enfin c’est-à-dire pas tous car pour certains nous sommes plus pressés et voulons les inaugurer durant le festival des 40 ans de la révolution en septembre 2009. il ne nous reste donc que deux ans, c’est pourquoi nous avons aussi mené des négociations de gré à gré. Vinci est l’une de ces entreprises avec succès. Ils ont participé à la Grande rivière et maintenant ils le font sur l’aéroport. Maintenant ils construisent un grand hôtel 5 étoiles.

Que pensez-vous du dernier round gazier ?
Il a été à 100% transparent. Nous avons diffusé toutes les données durant les data rooms.

Mais pourquoi 4 permis seulement ont-ils été octroyés ?
Nous voulons des accords justes. Il y a plusieurs critères : la prime d’entrée, la part de production laissée à la NOC. Si les chiffres proposés sur ces deux critères ne sont pas satisfaisants, nous devons recommencer. Et ce fut le cas.

Quel est le minimum requis ?
Dans les contrats pétroliers nous considérons que la compagnie étrangère doit laisser au moins 88% à la NOC et garder 12. Nous visons quelque chose de semblable dans le gaz. Mais comme nous ne nous étions jamais concentrés sur le gaz avant, les compagnies n’ont pas été très agressives dans la compétition.

Où en est le programme de réforme de la fonction publique ?
Nous encourageons les fonctionnaires à partir au moyen de crédits à taux extrêmement bas, qu’ils ne commencent à rembourser que lorsque leurs projets leur rapportent des revenus. Les salaires ont été réévalués. Nous les avons augmentés de 25 à 30%, plus dans les universités et les hôpitaux. Les gens sont satisfaits.

Pouvez-vous m’expliquer votre nouveau système de fonds d'investissements créés à l'été 2006 ?
C’est très important. Nous avons beaucoup d’excédents de revenus en raison de nos recettes pétrolières. Nous avons donc créé ces fonds. Certains ne sont pas nouveaux et datent de 1981 mais beaucoup d’argent y est déposé. Nous l’investissons à l’étranger. Le premier président de la Libyan Arab Foreign Investment Company (LAFICO) créée en 1981 fait toujours partie du board de la LIC. L’un de ces fonds investit à l’intérieur du pays. Nous donnons quelques actions aux familles à revenus limités. Il s’agit du Social Economic Development Fund. Ils distribuent ces actions gratuitement, soit environ un million d’action au prix total de 30 000 LD, diversifiée dans la banque, l’industrie.

Ces familles peuvent-elles les revendre ?
Elles ont une obligation de les garder durant 3 ans. Nous ne voulons pas les encourager à les liquider comme cela. S’ils les gardent durant 3 ans, nous sommes quasiment surs qu’ils ne vont pas les vendre. Ces titres vont dégager de très bons revenus pour eux. Mais au bout de 3 ans ils seront libres de vendre quand-même.

Cela vaut-il aussi pour les autres fonds ? Les titres sont-ils accessibles à l’achat et à la vente ?
Oui c’est possible. Beaucoup de Libyens l’ont fait par exemple dans le capital de Sahara Bank et ce avant BNP-Paribas. Les Libyens ont acheté environ 50% de la banque. La banque française est ensuite entrée dans le capital en achetant 20% avec la possibilité d’arriver à 50% en augmentant le capital.

Qui a autorité sur ces fonds ?
Nous avons ce que nous appelons un board de gouverneurs, dirigé par le Premier ministre et 5 ministres et le gouverneur de la Banque centrale, ainsi que 5 intellectuels choisis pour leurs compétences et dont je suis. Ensuite il y a le board de directeurs qui dirigent la politique des gouverneurs et nous avons un directeur exécutif qui était M. Layas, ancien président de la LFB...

Où en est la réforme bancaire ?
Nous suivons les nouvelles tendances bancaires en cours, en luttant pour plus de transparence. L’Etat possède 5 banques commerciales, toutes les cinq sont à privatiser ! Nous avons commencé avec Sahara. Pour Wahda Bank, des Français sont également en lice, à côté d’Italiens et autres. Ensuite deux banques sont en train de fusionner, Jumhuriya et Umma. La dernière sera peut-être rachetée par l’un des fonds d’investissement pour les redistribuer aux familles libyennes. Mais d’ici un an, il n’y aura plus de banque commerciale entre les mains de l’Etat.

A quand la modernisation des moyens de paiement ?
Vous connaissez les problèmes que les Américains nous ont causés. Pour moderniser une banque, vous avez besoin d’utiliser le transfert électronique, c’est-à-dire le système SWIFT, dont la technologie est détenue par les Américains, qui nous ont boycottés. Mais maintenant le problème est réglé. Nous sommes en train de relier le software et le hardware. D’ici à 3 mois, toutes les banques vont utiliser le transfert électronique via SWIFT. Les cartes bancaires sont déjà là. Il y a désormais le système Visa et Mastercard. Moi j’utilise une carte de crédit libyenne Visa.

Qu’en est-il des privatisations en général ? Quelles sont celles qui seront-ouvertes aux entreprises étrangères ?
Nous avons commencé par inscrire 360 entreprises publiques sur la liste des privatisables. Aujourd’hui, la moitié de cette liste est passée aux mains du secteur privé. En fait, nous avons 3 scénarios. Le premier concerne des PME qui bénéficient aux investisseurs nationaux. Certaines petites entreprises sont réservées à leur personnel. La troisième configuration s’adresse aux investisseurs étrangers ; ce sont de plus grosses entités comme des usines sidérurgiques, des cimenteries, qui intéressent Lafarge Cement, déjà présent en Algérie et en Egypte. Nous nous leur disons, ne vous intéressez pas aux vieux projets, concentrez-vous sur des projets neufs. Notre production est d’environ 5 millions de tonnes et il y a un besoin de 5 millions supplémentaires, que pour le moment nous importons. Il y a donc une bonne marge de progression. Nous avons la matière première, le personnel qualifié. Je pense qu’il est préférable pour eux de contribuer à l’augmentation de la capacité plutôt que de se concentrer sur les privatisations.

Quid des opérateurs téléphoniques ? Sont-ils ouverts aux entreprises étrangères ?
Pas encore. Nous n’en avons que deux : Al Madar et Libyana. Ils ont été privatisés à 30% au profit de particuliers libyens mais nous allons aller plus loin dans une seconde phase. Car nous jetons également un œil sur la réaction du marché et celle-ci a été très faible. Certains pensent qu’il y a un manque de confiance. D’autres que l’épargne est faible parce que les salaires sont faibles. Cela s’explique parce que les gens reçoivent beaucoup de services gratuits de la part de l’Etat : éducation, santé.

Propos recueillis par Nathalie Gillet

Biographie :
Formation : Economie et finances à l’Université Garyounes de Benghazi
- 1981 : fonde la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico)
- Années 1990 : Président du Bureau de l’Import-Export (autrefois monopole du commerce international), conseiller financier dans différents ministères, membre du bureau mixte franco-libyen (jusqu’à aujourd’hui) jus
- 2003 : Secrétaire d’Etat à la Coopération (rattaché au ministre des Affaires étrangères)
- 2006 : Ministre délégué aux Affaires étrangères, chargé des Relations extérieures et de la Coopération internationale
NG

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Interview:
Bachir Salah, Chef du Cabinet du Colonel Kadhafi et grand patron des intérêts libyens en Afrique

Les Afriques, 15 décembre 2007

Les Afriques : Comment s’organisent aujourd’hui les investissements libyens en Afrique ? 
Bachir Salah : Nous avons un fonds qui s’appelle Libyan African Portfolio pour l’investissement. Ce fond dispose d’un capital de 5 milliards de dollars en cash. Il possède des sociétés dans beaucoup de domaines qui représentent presque 3 milliards de dollars : la LAICO dont nous avons renouvelé la structure pour y réinjecter également du capital (800 millions de dollars aujourd’hui), Afriqiya, qui a acquis près de 30 Airbus, Oil Libya (ex-Tamoil Africa), la Banque saharo-sahélienne de développement dont nous possédons 51% du capital, à côté d’autres pays africains, Green network (communications). Le total du capital disponible s’élève donc à 8 milliards et il ne s’agit là que d’un commencement.
Nous avons pris plus de 60% de participation dans Rascom (dont 32% de la LAP), le satellite africain que nous allons lancer avec Arianespace le 20 décembre de cette année en Guyane. Après le lancement par Arianespace en Guyane, les essais commenceront en janvier et au mois de mars il sera opérationnel. Il y aura des milliers de stations dans toute l’Afrique. Avec ce projet, nous avons vraiment réalisé une grande étape pour le développement du continent africain. Ce satellite va en effet couvrir tous les domaines de la communication: internet, les indications, la téléphonie, la signalisation. Il sera possible dans le moindre village africain de téléphoner, d’avoir accès à internet. Cela aura coûté presque un milliard de dollars. Beaucoup de pays africains ont participé dans le capital de Rascom, mais c'est la Libye qui en a pris la grande majorité.

Quelles seront vos priorités dans les années à venir ?
Nous voulons trouver des partenaires pour réaliser de très grands projets en Afrique, et développer les secteurs de l’énergie, des mines et autres. Avant toute chose, nous cherchons à créer de la valeur ajoutée sur nos investissements et à utiliser les matières premières dont dispose l'Afrique. La valeur ajoutée est très très importante pour le continent.

Vous pensez déjà à quelques partenaires précis ?
En France par exemple nous cherchons à discuter avec Lafarge mais aussi d’autres sociétés de construction ou des mines. Nous sommes ouverts à toutes les participations, françaises, américaines, anglaises, pour des investissements à long terme. Nous voulons réaliser des projets vraiment utiles pour l’Afrique mais aussi des projets rentables.

Qu’attendez-vous de la visite en France ?
Je suis là pour créer des partenariats avec des entreprises françaises, trouver le moyen de travailler ensemble en Afrique. Avec Lafarge, par exemple, nous pourrions élaborer des programmes d’usines en Libye et en Afrique. Je pense à l’ouest de l’Afrique, à la Guinée Conakry, la Guinée Bissau le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso. Nous sommes en train d’étudier un grand projet de développement de cette région : la construction d'un chemin de fer jusqu’au Mali. Tous les pays en bénéficieraient. Nous visons dans ce cadre tout particulièrement les mines, celles de bauxite mais aussi d'autres. Nous allons y consacrer au minimum 3 milliards de dollars. Il s'agit là d'un très grand projet de développement qui vise aussi à ce que les Africains restent en Afrique. Il ne faut pas qu’ils partent chercher de l’argent en Europe. C’est le genre de projets à encourager, et qui permettra aussi à l’Europe de se débarrasser de l’immigration illégale.

Qui fait la politique économique aujourd’hui en Libye ?
En Libye, c’est très clair, il y a les Congrès populaires qui décident, les Comités populaires qui exécutent. C’est tout à fait populaire, ce sont des décisions collectives. Nous sommes très satisfaits de ce système.

Hormis les télécommunications quels sont les secteurs phares de votre action ?
Notre fond travaille dans tous les domaines : l'énergie, communication, tourisme, hôtellerie, mines, banques, on investit directement de l’argent dans des banques. Via Oil Libya (800 millions de dollars de capital), nous disposons aujourd’hui de 1000 stations de distribution de produits pétroliers sur tout le continent. En 2012 il y aura 3000 stations avec beaucoup d’usines, de dépôts. Et nous allons aussi participer dans l’exploration, en Libye, au Tchad, au Soudan, au Bénin. Il y a aussi le tourisme, avec une quarantaine d’hôtels en Afrique. Nous allons en acheter et en construire beaucoup d'autres dans tous les pays africains.
Propos recueillis par Nathalie Gillet

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Contrats libyens : miracle ou mirage ?

Jeune Afrique, 23 septembre 2007 (version originale de l'auteur)

La libération récente des infirmières bulgares lève les derniers scrupules des entreprises étrangères attirées par le marché libyen. La plupart n’ont d’ailleurs pas attendu les accords diplomatiques pour profiter des juteux appels d’offres qui depuis quelques mois se ramassent à la pelle. Dans tous les secteurs la Libye renouvelle ses infrastructures et en a largement les moyens, avec des réserves dépassant $ 60 milliards (près de 5 ans d’importations !!) et un budget d'investissement passé de 8 à $ 12 milliards cette année. Et une pression sur la plupart des projets : finir au 1er septembre 2009, date du 40ème anniversaire de la « révolution » libyenne.
C’est à cette date que doit s’achever la première phase du nouvel aéroport de Tripoli dont la capacité passera de 3 à 9 millions de voyageurs (20 millions à terme). Ce sont le turc TAV et le brésilien Odebrecht (adjudicataire également du nouveau périphérique de Tripoli) qui réaliseront les aérogares. Le reste des travaux a été confié à Vinci (France), Strabag (Allemagne) et Taisei (Japon). Les aéroports de Benghazi et Sebha ont été attribués tandis de nouveaux ports et un chemin de fer sont à l’étude. Les autorités feraient bien Tripoli un hub aérien appuyé sur des compagnies aériennes qui viennent d’acheter une quarantaine d’Airbus. Afriquiyah notamment mène une politique agressive de prix vers l’Afrique.
La capitale change de visage, avec des parcs et des pelouses. Les Libyens, qui depuis deux ans peuvent emprunter à taux cassés, construisent des maisons. Poussés par la libéralisation des importations, une faible taxation et des tarifs douaniers ridicules, ils ouvrent leurs propres commerces un peu partout. Les besoins en électricité montent en flèche, d’où le lancement de grandes centrales à cycle combiné (deux d’entre elles attribuées au Coréen Daewoo). L’extension des réseaux de téléphonie est presque achevée tout comme la connexion internet du pays, tandis que le français Alcatel et l’italien Sirti ont remporté l’an dernier la réalisation d’une dorsale de 7000 km en fibre optique. Sans parler des usines de dessalement (Sidem) et des contrats… d’armement (EADS).
Compte tenu de la vitesse à laquelle sortent les projets, une tendance se dessine : le recours massif aux consultants étrangers : coréens pour l’électricité, américain, comme Booz Allen Hamilton (eau) et surtout l'équipe du cabinet américain Monitor, invitée par Seif el islam Kadhafi, qui accompagne la « Nouvelle stratégie économique » du pays et a élu domicile dans l'une des 5 tours du quartier d'affaires de Dhat el Imad. Le Monitor a participé à la création en février du Libyan Economic Development Board, chargé de réformer le pays. On parle déjà d’un « rouleau compresseur anglo-saxon ».
C’est d’ailleurs l’américain Dow Chemicals qui a remporté en avril dernier la modernisation du complexe pétrochimique de Ras Lanouf ($ 100 millions) en partenariat avec NOC, et le fonds américain Colony Capital qui a racheté la compagnie de distribution pétrolière Tamoil pour $ 5,4 milliards. British Petroleum a signé un gros contrat en juin dernier après 33 ans d’absence. Les IDE se concentrent d’ailleurs sur les hydrocarbures et 35 compagnies internationales ont été présélectionnées pour un 4e appel d’offres pétrolier consacré cette fois exclusivement au gaz. Ouverture des plis en décembre prochain.

La Libye est-elle pour autant le nouvel eldorado des entreprises et investisseurs étrangers ? Prudence, répondent les opérateurs. L'économie est encore largement centralisée, dépendante de ses hydrocarbures (95% des exportations), avec un secteur bancaire archaïque. L'instabilité législative décourage plus d’un investisseur. Sur le plan commercial, on constate de fréquents retards de paiement mais toutefois peu d’impayés. Malgré la solidité financière du pays, la notation Coface ne décolle pas d’un faible « C » tandis que les indicateurs de la Banque Mondiale témoignent d'une faible gouvernance qui handicape le développement du pays.
La prise de décision est également un problème majeur à tous les échelons, tant il est difficile d’identifier les responsabilités. « Dans une entreprise, le vrai décideur n’est pas nécessairement le PDG », affirme un entrepreneur français. Les directeurs et interlocuteurs changent régulièrement à la manière d’un jeu de chaises musicales.
Sur le plan de la politique économique, les luttes d’influences au sein du pouvoir opposent en outre les chantres de l’économie libérale aux tenants du Livre Vert que l’on se refuse encore de désavouer.
A côté du Vice-Premier ministre M. Zlitni (ancien ministre du Plan), le nouveau chef d’orchestre des grands projets semble un fond d’investissements publics créé l’an dernier : la Libyan Investment Corporation, dirigée par Hamed Arabi El Houderi, et dotée d’une enveloppe évolutive de plusieurs dizaines de milliards de dollars. La LIC est elle-même un holding chapeautant d’autres fonds spécialisés qui canalisent la coopération avec l’étranger.
Parmi les plus significatifs, il y a le Fond économique et social de développement, chargé entre autres de « privatiser » au bénéfice de familles libyennes nécessiteuses. Les autorités libyennes appellent cela le « capitalisme populaire », qui compense des démantèlements par ailleurs (désubvention des produits de base, licenciement prévu de 300 000 fonctionnaires). Les privatisations doivent donc essentiellement profiter aux Libyens et la cession au français BNP-Paribas de 19% du capital de Sahara Bank (2e banque du pays) en juillet dernier relève de l’exception.
L’une des grandes tendances actuelles est la « libyanisation », qui se traduit aussi par une réglementation du travail plus stricte et des contraintes en matière d’embauche. Tout exportateur étranger doit par ailleurs désigner un agent de nationalité libyenne. Depuis quelques mois un décret oblige les entreprises étrangères soumissionnaire aux grands contrats publics, à constituer des sociétés mixtes avec un partenaire libyen – dans les fait, généralement l’un des nouveaux fonds d’investissement.
Autre contrainte de taille : la disponibilité des ressources humaines. L’arrivée d’une trentaine de nouveaux opérateurs pétroliers, tous pressés de réaliser leurs travaux dans les temps, avec des permis de recherche qui ne courent que sur 5 ans a fait monter les enchères. Tous s'arrachent les quelques cadres qualifiés polyglottes, tandis qu’une bonne secrétaire se rémunère désormais 2000 à 2500 DL (1400 euros), contre 250 DL dans la fonction publique.
Enfin, l’obtention de visas d'affaires restent un parcours du combattant, sans parler des visas de… "sortie" de Libye et des dizaines d'enregistrements à renouveler sans cesse. « Il y a également l'impossibilité pour des étrangers d'être propriétaires d'immobilier ou de terrain. Dans les sociétés mixtes, c'est le partenaire local qui signe les actes de propriété », explique un industriel français. "En bref, on se méfie encore beaucoup de la société étrangère ici", conclut un autre.
Malgré tout, les choses évoluent. Les langues étrangères ont refait leur apparition dans les écoles. Les projets avancent. Mieux informés qu’avant, les Libyens se montrent aussi plus critiques envers le régime, mais leur nouvelle soif de consommation, leur dynamisme manifeste d’entreprendre, ajouté à l’achèvement (enfin) des maisons longtemps laissées en construction, témoignent d’un début d’optimisme pour l’avenir.
Nathalie Gillet


ENCADRE

Dix premiers exportateurs en Libye 2005

Rang Pays exportateur Valeur en millions DL % du total
1 Italie 947 11,9
2 Allemagne 743 9,3
3 Corée 568 7,2
4 France 414 5,2
5 Chine 320 4,0
6 Egypte 295 3,7
7 Royaume Uni 274 3,4
8 Japon 248 3,1
9 Etats-Unis 237 3,0
10 Inde 233 2,9
Sources libyennes : General Authority for Information

Pour des raisons historiques, l’Italie demeure le premier partenaire commercial de la Libye, présent dans tous les secteurs liés aux contrats signés, mais aussi dans le prêt-à-porter, l’électroménager. Sa part de marché a baissé de 18,3% à près de 12% dans les importations libyennes. En deuxième position arrive l’Allemagne, qui a obtenu de nombreux contrats dans le BTP, la chimie. La France se classe 4e en 2005, bien présente dans les équipements électrique, les télécoms, mais devrait se voir rattrapée par la Chine en 2006, qui progresse d’année en année (prêt-à-porter, télécoms, BTP, exploration pétrolière).

NG


La Libye régule ses flux migratoire et sa main d'oeuvre étrangère

Aternatives Internationales, mars 2007

Pour sortir de son isolement international à la fin des années 1990, le Colonel Kadhafi avait ouvert grand les portes de la Libye à l'Afrique, entraînant un afflux massif de subsahariens en quête d'un avenir meilleur. Ce temps est révolu. Le visa est désormais obligatoire pour tous les citoyens du monde sans exception, a annoncé le ministre libyen de l'Intérieur le 31 janvier dernier. Accusés de tous les maux par la population (sida, drogue, prostitution), les immigrés africains ne sont plus vraiment les bienvenus et les regroupements de travailleurs attendant l'employeur providentiel le long des grandes avenues ont fondu depuis les émeutes racistes de septembre 2000.

L'heure en Libye est à la régulation des flux migratoires et de la main d'oeuvre. Après avoir imposé le visa à l’ensemble des pays (y compris arabes), les autorités libyennes ont prié les entrepreprises en début d'année de déclarer l’ensemble de leurs employés étrangers dans les plus brefs délais. Les travailleurs clandestins avaient jusqu’au 31 mars pour plier bagages. La présence de ces derniers reste pourtant tolérée sur cet immense territoire qui avec 5,3 millions d'habitants peine à trouver des bras pour s’équiper. Cafés, restaurants, petits commerces fermeraient leurs portes sans les employés nord-africains qui font tourner la boutique pendant que le propriétaire occupe son poste de fonctionnaire. Les champs agricoles aux abords de Sebha ont besoin de leurs fellahs égyptiens, tandis que le BTP, en plein boom, fait appel à une main d'œuvre subsaharienne bon marché. Employés dans un secteur privé en pleine croissance, les immigrés touchent parfois des salaires plus élevés que les fonctionnaires libyens, mais le plus souvent de manière informelle.

On ne connaît pas le nombre précis d'étrangers en Libye. Evalué à près de 2,5 millions fin des années 90, il serait passé à 700 000 aujourd'hui pour un nombre de clandestins estimé à plus de 1,5 million. Mais les ambassades aussi font leurs calculs : celle du Soudan compte 90 000 enregistrés mais évalue le nombre de ses ressortissants à 400 000, celle du Tchad à 500 000 (immigration de longue durée liée aux conflits régionaux).

Pays d'accueil qui attirerait près de 80% des migrants subsahariens accédant au Maghreb par le désert, la Libye est rapidement devenue un pays de transit. Ses 1 770 km de côtes sont aujourd'hui le point de départ vers Malte ou Lampedusa, petite île italienne située à 300 km des côtes libyennes. Cette dernière aurait reçu en 2006 plus de 18 000 immigrés clandestins venus de Libye (près de 40% de Marocains, 20% d'Egyptiens, beaucoup de Tunisiens et d'Erythréens, quelques Ghanéens, Nigérians, Ethiopiens. « Nigériens et Tchadiens sont parmi les plus nombreux en Libye mais ils ne traversent pas la Méditerranée, affirme Laurence Hart, représentant de l'Organisation internationale de la migration (OMI) qui a ouvert un bureau de liaison le 25 avril 2006 à Tripoli. Les Nigériens constituent une immigration de travail saisonnier avec des aller-retours, comme les Egyptiens, estimés à près d'un million...

Mais aujourd'hui les autorités libyennes expulsent : 145 000 personnes entre 2003 et 2005, essentiellement vers le Niger, le Ghana et le Nigeria, plus de 50 000 en 2006. Les étrangers interpelés sans papiers sont envoyés dans des camps de rétention, dont le nombre exact demeure confidentiel. « Il y a 2 types de centres, précise M. Hart, les centres de rétentions et ceux qui accueillent les volontaires au retour qui déclarent leur nationalité. Ce retour est alors organisé et ils reçoivent un petit pécule de $ 100 ».

Dans un rapport de 135 pages publié en septembre dernier sur le traitement des migrants par la Libye, Human Rights Watch dénonce les arrestations arbitraires, des maltraitances physiques dans les camps, les renvois dans des pays à risques (Erythrée, Somalie). Non signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, la Libye ne prévoit pas en effet de procédure de demande d’asile politique, malgré la présence du HCR depuis 1991.

"L'Union européenne qui a certes exprimé des réserves par rapport aux camps n'a pas été découragée pour autant d'une collaboration", regrette la chercheuse Delphine Perrin. Alors que Tripoli traîne des pieds pour intégrer le processus de Barcelone, le contrôle des flux migratoires constitue en effet l’un des deux seuls dossiers de coopération avec ce pays, à côté de celui de la santé (indirectement lié aux infirmières bulgares). Une nouvelle carte de négociation libyenne qui aura permis en octobre 2004 de faire lever les sanctions européennes sur la vente d’armes, condition préalable à l'acquisition de radars et hélicoptères de surveillance.

« Nous ne pouvons ni construire ni financer des centres en dehors de l’Europe », a déclaré Franco Frattini, Commissaire européen au moment de la Conférence ministérielle euro-africaine sur l’immigration clandestine, organisée à Tripoli les 22-23 novembre. « Mais nous pouvons aider au rapatriement en finançant des vols communs ». Touchée directement, l'Italie a également développé une coopération bilatérale active mais controversée avec Tripoli, expulsant plusieurs miliers de migrants entre 2004 et 2005, dont des réfugiés politiques qui ont été renvoyés ensuite par la Libye. Une pratique à laquelle a mis fin l'actuel gouvernement Prodi.

Malte et l’Italie souhaitent l'organisation par l'UE de patrouilles dans les eaux méditerrannéennes avec les autorités libyennes, ce que refusent ces dernières. La Libye considère avoir elle-même un problème d’immigration et que la priorité est d’agir sur sa frontière sud (4 000 km). Tripoli réclame une aide logistique (hélicoptères, 4X4, équipements radar) et de renseignement pour dénicher les réseaux de passeurs et un appel d’offres a déjà été lancé par l'UE dans ce sens.

Mais si la Libye renforce sa politique de régulation des flux « elle ne le fait pas du tout pour faire plaisir à l’Europe », précise M. Hart. « Elle le fait pour lutter contre une immigration clandestine massive qu'elle considère désormais comme un danger ». Les 40 millions d'euros promis par l'UE pour des projets de co-développement lors de la Conférence de Tripoli, assortis de conditions, font d'ailleurs bien sourire les Libyens qui disposent d’un fonds de plus de 5 milliards pour investir sur le continent.

Nathalie Gillet 



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Libye : première privatisation bancaire

Jeune Afrique, Septembre 2007

C’est le 18 septembre que BNP Paribas procédera au closing officiel de sa nouvelle acquisition : 19% du capital de la banque publique libyenne Sahara Bank, pour un montant de 145 millions d’euros. Quatre administrateurs de Sahara Bank sur 7 en sus du directeur général et son adjoint seront ainsi remplacés par des cadres issus des rangs de BNP-Paribas.

Le français avait dû affronter une brochette de 5 autres banques internationale et pas des moindres : Société Générale, Arab Bank, ABC., Standard Chartered et HSBC. « Au 1er tour nous n’étions pas parmi les mieux positionnés, ajoute-t-il. Notre image et notre expérience ont probablement contribué à la décision mais au final c’est notre offre, située dans la tranche plutôt haute qui a fait la décision » affirme Roger Decot, Responsable-adjoint Marchés émergents à BNP-Paribas. La banque ne détiendra qu’une part minoritaire mais elle a obtenu le contrôle immédiat du management et signé une option d’achat de 32% supplémentaires qui lui permet théoriquement de détenir la majorité effective dans les 3 à 5 ans, sur la base du prix acquitté pour les 19% (majoré d'un intérêt fixe). « Cela nous donnera le temps de voir comment évolue l’activité et de mieux comprendre le fonctionnement du secteur », poursuit M. Decot.

BNP-Paribas est donc la première banque étrangère depuis plusieurs décennies à acquérir des parts dans une banque publique et se lancer dans l’activité retail en Libye. Mais avec moins de 6 millions d’habitants (dont près de la moitié à moins de 18 ans), le marché est particulièrement limité sur ce créneau. Quant aux montages financiers, Calyon présent depuis février 2006 a démontré qu’un bureau de représentation agréé par la banque centrale peut être très efficace. Certains observateurs peinent en outre à voir dans cette privatisation de 19% seulement (sans restructuration préalable de la banque), une volonté réelle de réformer un secteur bancaire parmi les plus archaïques de la région. Un processus de réforme a été lancé en tous les cas, notamment sur les moyens de paiement.

Dans ce pays pétrolier qui renouvelle ses infrastructures (et en a largement les moyens !), le nouvel arrivé français espère sans doute se positionner plus avantageusement pour les financements de projets à venir. L'acquisition de Sahara Bank lui permet en tous les cas de renforcer son profil méditerranéen, la Libye étant le dernier maillon manquant de son dispositif dans la région : Maroc (203 agences avec BMCI), Algérie (31 agences), Tunisie (87 agences, UBCI), Egypte (31 agences), Israël (1 agence depuis 2006), Liban (5 agences), Turquie (233 agences).

Première banque privatisée, Sahari Bank compte pour sa part un réseau de 48 agences et emploie 1 500 personnes. C’est la deuxième banque universelle du pays sur 5 en termes d’actifs (cf. tableau). Elle totalise 22% des dépôts et 17% des crédits pour une clientèle est composée de grandes entreprises publiques et privées (libyennes et étrangères) et de 300 000 particuliers et professions libérales.

Le nouvel actionnaire minoritaire aura-t-il cependant la capacité réelle d’en réformer le mode de fonctionnement ? Contrôle opérationnel ou non, il ne s’en trouvera pas moins confronté au mastodonte étatique chaque grande décision. Réponse dans les prochaines années.

Nathalie Gillet

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ENCADRE : Un secteur dominé par les banques publiques

Le secteur bancaire libyen est dominé par 5 banques commerciales publiques, qui totalisent actuellement 90%, en sus des banques publiques spécialisées. Toutes appartiennent à la Banque centrale et sont d’anciennes banques étrangères nationalisées en 1971. La première de la liste, Jamahiriya Bank, était une filiale de Barclay’s. La Libye a procédé en 2005 la recapitalisation de 3 banques publiques. L'émergence depuis 2004 de banques privées libyennes booste la modernisation des moyens de paiement : Bank of Commerce & Development a lancé sa carte à puces locale Kanzen et noué un partenariat avec Visa et Western Union; Aman Bank (née en 2004) a un accord avec MasterCard et MoneyGram. NG

Chiffres des banques commerciales en Libye à fin 2006

Banques

Actifs

(en milliards dinars)

Dépôts

Crédits

Nombre d’agences

Jamahiriya Bank

5,2

4,2

1,8

88

Sahari Bank

4,6

3,4

1,1

48

National Commercial Bank

4

3,1

1,2

64

Wahda Bank

3,5

2,4

1,4

70

Umma Bank

3,2

2,3

1,2

58

Source : rapports annuels des banques

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Gros projets aéroportuaires en Libye

Les Afriques, septembre 2007

La Libye vient de lancer fin aout les travaux de construction d’un nouvel aéroport à Tripoli, sous la supervision d’ADPi, filiale étude du français Aéroports de Paris. Cette denière avait déjà remporté en mai, pour 12 millions, d’euros un contrat d’études de plans sur les terminaux passager et cargo de 3 nouveaux aéroports : Tripoli, Benghazi et Sebha. Contrat qui a évolué sur le volet Tripoli vers la gestion du projet et la supervision des travaux, jusqu’à l’ouverture prévue dans 2 ans, portant le montant total à 80 millions d’euros.

L’aéroport de Tripoli verra sa capacité passer de 3 à 10 millions de passagers d’ici 2009, puis 20 millions à terme. La nouvelle structure fera 360 000 m2, avec une aire de stationnement et d'entretien d'avions d'une capacité de 100 appareils, un parking autos de 4400 véhicules, deux aérogares passagers (175 000 m2 chacune environ), un terminal cargo d’une capacité de 150 000 tonnes (10 000 m2 environ), une tour de contrôle de 65 mètres, un pavillon présidentiel et un important espace duty free.
Cinq entreprises de construction ont été présélectionnées mais le seul contrat confirmé pour le moment est celui du groupement formé notamment par le turc Tepe-Akfen-Vie (TAV) et le brésilien Odebrecht, pour la construction des aérogares passagers. Le montant du contrat avoisine 1,2 milliard d’euros.
Les entreprises pressenties pour la réalisation des autres travaux sont : le français Vinci (tour de contrôle et pavillon présidentiel), l’allemand Strabag (routes et travaux horizontaux), le japonais Taisei (cargo et hangar de maintenance). Vinci et Strabag retiennent leur souffle pour l’option de construction d’une 2e piste parallèle. Ces contrats n’ont pas encore été officiellement signés mais les entreprises qui attendent leur lettre de notification sont quasiment sures d’être désignées.
Une enveloppe supplémentaire de 2 milliards d’euros a également été officiellement annoncée pour la modernisation d’autres aéroports. « Concernant celui de Benghazi, nous avons remporté la conception mais sommes en négociation pour des prestations additionnelles », indique Jean Assice, responsable commercial Afrique chez ADPi. Même chose pour Sebha, 3e ville du pays (sud). C’est le canadien SNC Lavalin Nexacor qui semble favori pour la partie construction : un terminal passager d’une capacité de 5 millions de voyageurs par an, avec 20 portes d'embarquement, un terminal cargo (150 000 tonnes par an) et des pistes d'atterrissage (45 avions par heure). Le tout pour près de 400 million d’euro. Le résultat de l’appel d’offres est attendu pour septembre.
Nathalie Gillet

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Juteux marché libyen...

La Tribune de Genève, 24 août 2007 (version de l'auteur)

Après le règlement du dernier contentieux international, plus rien ne freine désormais la reconnexion économique de la Libye avec le reste du monde. Grâce au pétrole, les réserves atteignent $ 60 milliards (près de 5 ans d’importations) et le budget d'investissement est passé de 8 à $ 12 milliards cette année. Mais les entreprises étrangères n’ont pas attendu les accords diplomatiques pour commercer ou profiter des juteux marchés d’infrastructures, notamment dans les secteurs pétroliers, des télécommunications, de l’électricité et de l’eau.
Pour des raisons historiques, l’Italie demeure le premier partenaire commercial de la Libye avec plus de 20% de part de marché dans les importations libyennes, devant l’Allemagne (plus de 10%), la Tunisie (7%), le Royaume Uni (5,5%), la Turquie (5,5%), la France (environ 5,2%) et la Chine, qui progresse d’année en année forte de ses contrats dans les télécoms, le BTP, l’exploration pétrolière.
Les investissements se concentrent sur les hydrocarbures dans ce pays qui offre plus de 3% des réserves mondiales. Depuis janvier 2005, la Libye, a lancé 3 appels d’offres internationaux. Les compagnies américaines ont largement bénéficié du 1er (11 périmètres d’exploration sur 15), et négocié leur retour sur les beaux champs en production du bassin de Murzuk. Le 2e round a favorisé les compagnies asiatiques et européennes et le 3e donné la part belle aux Russes (Tatneft et Gazprom) en décembre dernier (4 permis sur 10). Une quarantaine de compagnies pétrolières opèrent donc aujourd’hui sur le territoire, contre une vingtaine il y a 3 ans. Libye vient par ailleurs de lancer son 4e appel d’offres pour l’attribution en décembre prochain d’une douzaine de contrats d’exploration dans le secteur gazier. British Petroleum a signé son retour en juin après 33 ans d’absence, avec un contrat d’exploration de $900 millions, tandis que Royal Dutch Shell a remporté le gros contrat d’exploration et de liquéfaction de gaz naturel dans le bassin de Sirte. La compagnie pétrolière ENI premier opérateur en 2006, devant Repsol, Wintershall et Total, a achevé la construction du gazoduc Western Libyan Gas Project (8 milliards de m3 exportés par an) et remporté le contrat de construction d’un complexe gazier à Mellitah.
Dans le secteur du dessalement de l’eau de mer le français Sidem tire son épingle du jeu (contrat de 3 usines de dessalement d'eau de mer en 2006 pour 400 millions d'euros), mais aussi l’américain Ionix et à plus petite échelle l’allemand Tawa. Le secteur des télécoms a explosé ces dernières années avec l’extension de réseaux de GSM et de téléphone fixes, que se partagent Alcatel, Siemens, Ericsson et surtout les chinois ZTE et Huawei, tandis que le français Arianespace lancera le satellite de télécommunications RASCOM pour $ 70 millions.
Le projet pharaonique de « Grande Rivière artificielle » acheminant l’eau des nappes phréatiques du sud vers les villes du littoral, a profité au coréen Dong Ah, au français Vinci, à l’américain Halliburton et déjà coûté $ 25 milliards. Dans l’aéronautique c’est le français Airbus qui a vendu ces derniers mois plus d’une trentaine d’Airbus aux compagnies aériennes libyennes (plus de $ 4 milliards). La construction de logement profite aux compagnies chinoises et turques, tandis que la Libye prévoit de développer de nouveaux ports, aéroports, routes et chemin de fer. Même le secteur bancaire a permis au français BNP--Paribas de racheter 19% de la première banque publique, Sahara Bank ce mois-ci.
La conclusion du dossier de Lockerbie a permis le retour sans complexe des entreprises américaines, qui ont organisé en novembre dernier leur 1ère foire d’entreprises (Project Libya). C’est l’américain Dow Chemicals qui a remporté en avril dernier le contrat de modernisation du complexe pétrochimique libyen de Ras Lanouf ($ 100 millions) et le fonds américain Colony Capital qui a racheté la compagnie de distribution pétrolière Tamoil (3000 stations service en Europe) pour $ 5,4 milliards. Invités par Seif el Islam Kadhafi, des cabinet de consulting anglo-saxon participent même à l’élaboration d’une nouvelle stratégie économique de la Libye tandis qu’un féroce bataille s’engage avec la France sur le développement du nucléaire civil. On croit rêver.
Nathalie Gillet

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Aéronautique : La Libye prend son envol

Jeune Afrique, 16 juillet 2007

"Après des années d'embargo, le renouvellement de la vieillissante flotte aérienne en Libye était très attendu par les constructeurs. La commande de 26 appareils par les deux compagnies publiques en juin a confirmé le potentiel de ce marché : 15 Airbus pour Libyan Airlines (quatre longs courriers A 350-800 XWB, quatre A 330-200 et sept A 320) et 11 pour Afriqiyah Airways (six A 350 + cinq A320 confirmant les options de l'an dernier). Montant total des transactions : 3,6 milliards de dollars. A cela s'ajoutent les commandes fermes de 12 Airbus déjà commandés par Afriqiyah en juillet 2006 et les 3 Bombardiers de Libyan Airlines attendus en septembre et octobre prochains. Grosse déception, donc, pour Boeing".

« La flotte n’est pas assez grande pour une diversification des fournisseurs », justifie le capitaine Sabri S. Abdallah, PDG d’Afriqiyah. « Et si les relations avec les Etats-Unis s’améliorent, nous rencontrons toujours des problèmes de visa. Nous avons donc pensé à la logistique et la formation de nos pilotes. Airbus en outre nous a proposé le meilleur package », poursuit-il.

Afriqiyah a démarré ses activités en force dès sa création fin 2001, en ouvrant de nombreuses escales en Afrique de l’ouest via des Airbus en leasing, tandis que l’opérateur historique, Libyan Airlines, se débattait avec une flotte obsolète et mal entretenue pendant l’embargo. Rapidement, la première a ouvert la destination Paris en 2002, alors que la seconde également en attend toujours l’autorisation.

La commande en bloc de l’an dernier a donc été une véritable déclaration de guerre d’Afriqiyah. Jouant sur son profil panafricain avec des prix cassés (Abidjan, Accra, Bamako, Bangui, Cotonou, Douala, Kano, Khartoum, Lagos, Le Caire, Lomé, Niamey, N'Djamena et Ouagadougou), imposant Tripoli comme hub, la compagnie occupe avec Air Sénégal International une place laissée vacante par Air Afrique mais sert aussi de relais entre le continent et l’Europe de l’Ouest. Outre Paris elle dessert en effet Bruxelles, Genève, Londres, depuis 2006 Amsterdam, Rome et Djedda, et d’ici fin 2007 Düsseldorf, Beyrouth, Istanbul et Dakar. Elle devrait même ouvrir des escales régionales très bientôt avec notamment Marseille et Bordeaux ! Les longs courriers assureront en outre des vols sur Pékin, Shanghai, Bombai, mais aussi New York et Houston à l’horizon 2010.

Mais la vieille dame n’est pas morte comme le montre le récent achat de Libyan. Si avant l’embargo elle transportait près de 2 millions de personnes, elle garde toujours une bonne longueur d’avance avec 850 000 passagers en 2006, contre 400 000 pour sa concurrente.

Mais le nombre d’aéronefs, actuellement équivalent dans les faits, devrait mathématiquement pousser Afriqiyah au premier rang. Libyan Airlines prévoit certes de louer 4 A320 en attendant ses premières livraisons en 2011 mais le patron d’Afriqiyah assure qu’il aura accueilli d’ici là la majorité de ses aéronefs, puis les A 350 à l’horizon 2017. « Nous espérons 600 000 passagers en 2007 et 1 million en 2009 », assure-t-il, indiquant un chiffre d’affaires de 120 millions de dollars pour 2006.

« Mais nos nouveaux avions aussi nous permettront d'ajouter des vols sur l’Extrême-Orient : Inde, Thaïlande et Chine », insiste pour sa part Abdallah Amed, directeur commercial de Libyan Airlines. La compagnie historique opère actuellement sur les lignes internes (contrairement à Afriqiyah) et dessert l'Afrique du Nord (Casablanca, Alger, Tunis, Le Caire, Alexandrie), le Moyen-Orient (Aman, Damas, Djedda, Dubaï et Istanbul) ainsi que Malte, Rome, Milan, Londres, Manchester, Vienne et Frankfort.

Cette concurrence entre deux pavillons nationaux pose néanmoins question. Un partage de trafic serait déjà attendu pour la rentrée. « L'option d'une seule compagnie publique est examinée de près », avance Sabri qui espère bien être en position de force : « A défaut, il pourrait y avoir une compagnie faisant du long courrier et une autre opérant les vols intérieurs et régionaux ».

Quoiqu’il en soit, les deux compagnies peuvent compter sur l’expansion de l’aéroport de Tripoli qui va accueillir 10 millions de passagers (contre 3 millions actuellement) après la phase 1 des travaux en 2009 et 20 millions à terme. Les travaux ont été confiés en juin à cinq sociétés internationales (Brésil, Turquie, France, Allemagne et Japon) pour 1,3 milliard de dollars et doivent commencer en août. Au programme : une aérogare passagers, un salon VIP, une aire de stationnement, une piste d'atterrissage, des routes, des hangars de maintenance, un terminal cargo et une tour de contrôle. La partie conseil a été attribuée à Aéroports de Paris (ADP) qui devrait bientôt désigné maître d'œuvre du projet.

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Encadré:

Les concurrents

Outre les deux compagnies publiques, une privée libyenne s'impose peu à peu : Buraq Air, fondée en 2001 et dirigée par le capitaine Mohamed Bubeida. La compagnie a acheté trois Boeing 737-800 en 2005 et possède aujourd'hui 12 avions. Elle effectue essentiellement des vols domestiques et régionaux (Alep, Alexandrie, Istanbul, et Rabat). D’autres petites compagnies apparaissent - et disparaissent ! – mais Buraq est la seule privée à effectuer des vols réguliers. Des difficultés l'ont toutefois contrainte à louer à Afriqiyah l'un de ses deux Boeing 737 livrés. Plusieurs compagnies étrangères desservent aujourd'hui la Libye : British Airways, Lufthansa, KLM, Austrian Airlines, Alitalia, Air Malta, Royal Air Maroc, Air Algérie, Tunisair, Royal Jordanian Airlines, Emirates, Qatar Airways, et Egyptair. NG

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Libye, le chantier permanent

Jeune Afrique, 16 juillet 2007

Riche de son pétrole, la Libye multiplie les projets. Le dernier en date est la construction d’un nouveau quartier gouvernemental à Tripoli, remplaçant les annexes ministérielles éparpillées dans la capitale. Le siège actuel, construit dans les années 80, se trouve à Sirte (400 km à l’Est de la capitale). C’est le cabinet d'architectes berlinois Léon Wohlhage Wernik qui a remporté le marché contre 8 autres concurrents (dont le français Atelier Lion). Coût du projet : de 2,5 à 3 milliards d'euros, pour des travaux qui s’étendront sur 10 ans. Il comprendra 30 bâtiments alignés autour d'un parc rectangulaire d’une longueur de 1 km, un centre de conférences, une mosquée, un hôtel 5 étoiles de 140 mètres de haut. L'ensemble, situé sur 230 ha entre l'aéroport international et le centre de Tripoli, doit rappeler la ville de Brasilia telle que l'avait conçue Oscar Niemeyer dans les années 1950.

Le gouvernement vient également d’approuver deux gros projets de centrales thermiques, l’une de 14 000 mégawatts (MW) située à l’ouest de Tripoli (890 millions d’euros) et l’autre à Al Khalij (1 milliard d’euros). Elles s’ajoutent donc aux deux autres centrales prévues à Misurata et à Benghazi, pour environ 590 millions d’euros. Toujours dans les infrastructures, la construction de 105 km de route reliant Sabratha à la frontière tunisienne a également été approuvée, tout comme le recrutement de consultants pour la construction d’un port commercial à Sirte

Il faut dire que ce ne sont pas les financements qui manquent : la Libye vient de lancer le 8 juillet son 4e appel d’offre international d'exploration d'hydrocarbures, consacré pour la première fois au gaz. Une douzaine de contrats seront ainsi attribués pour l’exploration de 41 blocs gaziers, dont la moitié en offshore, le reste réparti dans les bassins de Syrte, de Ghadamès, Mourzouk et Cyrénaïque (Est), sur une surface totale de 72 500 km2. Les périmètres seront présentés le 8 août à Tripoli, le 15 à Londres et l’ouverture des plis se fera le 9 décembre. Fin mai, c’est la compagnie pétrolière britannique BP qui signait son retour dans le pays avec un accord de $ 900 millions pour des opérations d'exploration d'hydrocarbures. Les réserves de gaz naturel de la Libye sont estimées à 1 314 milliards de m3, les réserves pétrolières prouvées à 36 milliards de barils.

Nathalie Gillet

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Libye : Airbus remporte le gros lot

Marchés tropicaux et méditerranéens, 30 juin 2007

L’avionneur européen Airbus ne sera pas venu pour rien au salon du Bourget. Parmi les 425 commandes fermes d’appareils commerciaux et 303 intentions d'achat (soit $ 100 milliards aux prix catalogue), il a remporté le gros lot en Libye en signant deux contrats avec les compagnies publiques du pays, avides de moderniser leur flotte après des années d’isolement. Libyan Airlines a signé le 20 juin un protocole d’accord avec Airbus pour l’achat de 15 avions : quatre A350-800 XWB, quatre A330-200 et sept A320. Montant de la facture : près de $ 2 milliards au prix catalogue. Les A350 XWB, destinés à développer le réseau long-courrier devraient arriver à partir de 2017, tandis que les A330-200 desserviront de nouvelles destinations asiatiques à moyen terme. Les A320 pour leur part seront placés sur les lignes intérieures et celles à destination de l’Europe et du Moyen-Orient.
La compagnie a également commandé 3 avions Bombardiers destinés au réseau régional mais rien, pour le moment au principal concurrent d’Airbus, l’américain Boeing, qui espérait profiter d’une diversification.
La seconde compagnie étatique libyenne, Afriqiyah, a pour sa part signé une intention d'achat le même jour pour 6 long-courriers A350, ainsi qu'une commande ferme pour 5 monocouloirs A320. Le montant de la transaction, au prix catalogue, s'élève à $ 1,6 milliard. C’est la deuxième grosse commande d’avions qu’Afriqiyah effectue auprès d’Airbus, après celle de l’été 2006 portant sur 20 appareils (dont 12 commandes fermes). La compagnie devrait recevoir sa première livraison en septembre prochain et accueillir un nouvel appareil au moins par an.
Si la présence de deux grandes compagnies nationales ambitieuse est redondante, une division du travail s’opère peu à peu entre elles malgré les chevauchements : Afriqiyah se concentrant sur l’Afrique et quelques destinations internationales, occupant avec Air Sénégal International la place laissée vacante par Air Afrique, et Libyan Airlines, opérateur historique, desservant davantage les lignes domestiques, l’Europe de l’Ouest et le trafic régional. La première se donne davantage l’image d’une compagnie panafricaine mais dessert également l'Europe, dont Paris en direct. A cela s’ajoute l’ambitieuse compagnie privée Buraq Air, plus portée sur Boeing.
Nathalie Gillet


Libyanisation et fonds d'investissement

Le Moniteur du commerce international (MOCI), mai 2007

Ses immenses façades vitrées aux reflets bleu attirent le regard à des centaines de mètres. Impossible à Tripoli de manquer le futur centre commercial du groupe Mehari, fort de 6 étages. « Nous avons fait venir des dizaines de palmiers pour décorer les abords du parking » claironne Mustafa Tayar, directeur de Mehari, qui avait déjà ouvert le 1er supermarché du pays il y a 3 ans. Si dans tous les quartiers de la capitale, des centres ouvrent à tour de bras, frolant aujourd'hui la saturation, celui-ci a une forte charge symbolique. C'est en effet sur les ruines mêmes de l'un des 5 fameux « marchés publics » de Tripoli qu'il a été érigé ! Les murs austères de l'ancien bâtiments ont disparu et avec eux, la grande époque du dirigisme économique, des produits subventionnés, des tickets de rationnement, des pénuries et files d'attente (trafics en prime). L'inauguration récente d'une bijouterie Cartier flambant neuve dans le quartier chic de Ben Achour, construite entièrement en fer forgé par Loay Burwais, un jeune artiste et architecte libyen, est un symbole de plus.

La Libye change de visage économique depuis la libéralisation des importations et un début d'ouverture, même si l'arrivée de produits du monde entier et la nouvelle soif de consommation accentuent l'inadaptation croissante des revenus aux besoins individuels. Quoi qu'il en soit, après des années d'isolement, le pays cumule gros besoins en infrastructures et gros moyens financiers pour les satisfaire. Grâce au pétrole, les caisses sont pleines de $ 60 milliards de réserves - près de 5 ans d’importations ! Le budget d'investissement est passé de 8 à 12 milliards cette année. Electricité, BTP, éducation, télécoms, tourisme (qui intéressent déjà Accor, Kempinski et le Club Med), hydrocarbures (avec un prochain 4e appel d'offres international et un autre sur le gaz) : les opportunités d'affaires sont réelles.

Mais attention aux embuches et autres problèmes de visas (cf. notre article du 25 mai 2006). La libéralisation se fait en outre « à la libyenne » (cf encadré), le régime refusant de renier ouvertement les principes du Livre vert. Toujours est-il que le tropisme anglo-saxon de Seif el Islam Kadhafi (fils de son père) chantre des réformes libérales, a ouvert les portes depuis 2 ans aux consultants... américains et britanniques, qui accompagnent la « Nouvelle stratégie économique » du pays. L'équipe du cabinet Monitor a élu domicile dans l'une des 5 tours du quartier d'affaires de Dhat el Imad et ne compte pas en déloger de sitôt. Après son rapport de 200 pages sur la compétivité de la Libye, elle a poussé à la création récente du Libyan Economic Development Board, chargé de réformer le pays. Il est encore trop tôt pour savoir s'il s'agit d'un « machin » mais certains parlent déjà de « rouleau compresseur américano-britannique ». « En dépit des succès accumulés, je sens l'influence française décroître », avertit pour sa part Robin Brocker du Lys, qui a créé « Alpha », une JV destinée à faciliter l’implantation des sociétés étrangères en Libye.

Autre tendance : la montée en puissance depuis un an des nouveaux fonds d'investissement publics dotés de milliards de dollars et chargés entre autres de « privatiser ». A côté des nouveaux petits commerces florissants, le secteur privé s'organise également, même si de récentes interpellations visant plusieurs membre du Libyan Businessmen Council (sorte de Medef émergeant) au nom d'enquêtes fiscales, incitent à la prudence. Les contradictions demeurent, tout comme les luttes internes entre réformistes et révolutionnaires. « On a du mal à voir un plan directeur », estime un homme d'affaires aguerri. « Mais un véritable changement générationnel se profile  », observe un autre, « avec des gens qui ont étudié à l'étranger, soif de changement, envie de se légitimer auprès de leurs familles en décrochant des marchés, et qui malgré leur jeune âge ont accès à des capitaux d'Etat importants ». Mais c'est l'évolution des nouveaux fonds d'investissement qu'il faudra désormais surveiller, si l'on ne veut pas manquer les prochains marchés.

Nathalie Gillet

Encadré 1 : Foire internationale en perte de vitesse

La Foire internationale de Tripoli (2 au 12 avril 2007) connaît un repli. Devant la multiplication des salons spécialisés en Libye, beaucoup d'entreprises étrangères préfèrent aujourd'hui mieux cibler leurs démarches en privilégiant ceux-ci : BTP (Libyabuild, 21-24 mai 2007), pétrole (Libya Oil & Gas, 21-25 mai), agroalimentaire (Agrolibya, 25-28 juin), télécoms (Salon Tacnia, 17-20 juillet), santé (19-20 septembre), aéronautique (Lavex, 29-31 octobre), automobile (24-29 novembre 2007), BTP-infrastructures-pétrole (Project Libya, 10-13 décembre). Sans parler des conférence thématiques internationales, comme celle, plusieurs fois reportée, du secteur bancaire et financier, prévue les 19 et 20 juin prochains.

La Foire internationale multi-secteurs, ouverte au grand public sur 10 jours perd de son pouvoir d'attraction. Même le pavillon italien, qui habituellement occupe deux étages, s'est limité cette année au réz-de-chaussée. L'exception à la règle a été les entreprises turques et leurs 2 pavillons (produits électro-ménagers, prêt-à-porter). Le pavillon français a donc suivi la tendance générale, avec un handicap en prime : Agrolibya prend son envol et se tiendra séparément cette année en s'internationalisant. Résultat, moins de 40 entreprises françaises étaient présentes, contre près de 130 en 2006. « Certaines PME ont également trouvé leurs partenaires les années passées et n'ont donc plus besoin d'exposer, d'autres se sont découragées devant la lenteur des décisions en Libye », explique Christian Valery de BOI, organisateur du pavillon français et d'Agrolibya : « Mais pour une PME, la Foire demeure une bonne vitrine de première approche et certaines parviennent même à signer des contrats la 1ère année, comme Promanu ou Boisset ».

NG

Libyanisation et capitalisme populaire

Deux grandes tendances se dessinent en Libye depuis un an : la constitution d'un « capitalisme populaire » (sorte de rééquilibrage redistributif) et la « libyanisation » de l'économie. La privatisation annoncée des deux sociétés de GSM se fera par l'octroi de 25% du capital à des Libyens nécessiteux. Si l'Etat désubventionne les produits de base et annonce le licenciement de 300 000 fonctionnaires, il promet des crédits à taux quasi-nul, des dons à destination de 100 000 familles pauvres et crée de nouvelles allocations sociales. C'est le « capitalisme populaire ». Les privatisations sont essentiellement réservées aux Libyens, même si celle de Sahara Bank, menée par la Banque de Rothschild, a permis la pré-sélection de 6 banques internationales (dont BNP-Paribas et Société Générale). Tout exportateur étranger doit par ailleurs désigner un agent libyen. Les sociétés étrangères qui veulent soumissionner aux grands contrats publics doivent désormais constituer des sociétés mixtes avec un partenaire libyen. Certaines ont déjà avancé dans les (Vinci Construction, Sidem), mais on ne peut pas encore parler de précipitation. C'est la « libyanisation ». Elle se traduit en outre par une réglementation du travail plus sévère.

NG

Quelques beaux contrats pour la France en 2006

Les exportations française vers la Libye se sont renforcés (+43,6% en 2006, à 432 millions d'euros), sans pour autant se traduire par l'implantation de nouvelles entreprises (hormis le bureau de représentation de Calyon), ni empêcher un creusement du déficit (1490 millions d'euros) lié à la facture pétrolière. Se positionnent en tête, les traditionnels Italiens, Allemands, avec une forte montée en puissance de la Tunisie (passée peut-être devant la France cette année en termes) et selon les livraisons de voitures, l'extrême-Orient. Les Britanniques renforcent également leur position. La France arrive en 7e position.

Quelques beaux contrats cependant ont été signés : vente en juillet 2006 d'une vingtaine d'Airbus à la compagnie Afriqiyah ($ 1,7 milliard); fourniture par Sidem, filiale de Véolia, de 3 usines de dessalement de l'eau de mer et des réseaux d’adduction d’eau (environ 400 millions d'euros), installation de 4000 km de fibres optiques (près de 100 millions d'euros) et enfin le montage financier réalisé par Calyon pour l'achat de 3 tankers pétroliers. C'est aussi sur les marchés classiques de la Défense qu'une coopération franco-libyenne se dessine, avec entre autres le contrat de remise en vol de 12 vieux mirages et les actuelles négociations sur la vente de l'avion Rafale. Cette année, ADPi, filiale étude d'Aéroports de Paris, a remporté le contrat d''étude et de développement de 3 aérogares (Tripoli, Benghazi et Sebha) pour 12 millions d'euros, Arianespace vient de remporter le contrat de lancement du satellite de télécommunications RASCOM, résistant à la concurrence chinoise.

NG

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Libye (Fiche pays 2006-07)

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique, février 2007

Le remaniement ministériel de janvier dernier, après celui de mars 2006 qui avait remercié le Premier ministre réformateur Choukri Ghanem, ne devrait pas entraîner de bouleversements majeurs. Mais les portefeuiles économiques et le poste de Vice-Premier ministre ont été attribués des cadres dans la ligne réformiste, attentifs aux conseils des cabinets anglo-saxons actuellement en Libye. Les mesures de libéralisation initiées par M. Ghanem en 2003 concernent essentiellement les importations : suppression des licences et monopoles publics, ouverture généralisée de lettres de crédit au secteur privé et réduction des tarifs douaniers à la portion congrue et un récent renforcement de la tranparence des règles du commerce, en vue d’une future adhésion à l’OMC. Le foisonnement de petits commerces et l’accès à tous les biens de consommation a transformé le paysage urbain.

Forte de la bonne tenue des cours du pétrole, qui ont par moment dépassé $ 70 le baril en 2006, la conjoncture affiche de bons indicateurs macroéconomiques. Les exportations composées à 97% d’hydrocarbures devraient dépasser 34 milliards de dollars en 2006, contre 29,2 milliards en 2005. Un chiffre voué à gonfler avec le temps : en décembre dernier, la Compagnie nationale de pétrole (NOC) a conclu son 3e appel d’offre international de permis d’exploration (après ceux de janvier et octobre 2005) distribuant 10 nouveaux blocs dont 4 à des compagnies russes. Les réserves en devises sont estimées à plus de 52 milliards de dollars, pour une dette extérieure inférieure à 4 milliards. Résultat, le budget pour l’année 2007 a augmenté de 60%, passant à l’équivalent de 24,8 milliards de dollars, dont plus de 14 milliards seront consacrés aux infrastructures (notamment sociales cette année : santé et éducation) et à l’encouragement du secteur privé.

Mais la transition vers une logique de marché est difficile et les résistances sont dures pour préserver les circuits de rente habituels. Les quelques privatisations qui ont eu lieu pour le moment n’ont profité qu’aux investisseurs libyens. L’arrivée de compagnies étrangères et de produits d’importation s’est surtout révélé une aubaine pour les intermédiaires libyens, métier en pleine expansion.

Parallèlement, les tentatives de démantèlement du système redistributif jamahiriyen se poursuivent avec le désubventionnement progressif des produits alimentaires de base et surtout le projet annoncé en janvier de licencier 400 000 fonctionnaires, soit 40% de la masse salariale du secteur public ! La Libye compte près d’un million de fonctionnaires pour une population totale de 5,3 millions… Si le programme prévu est appliqué, les volontaires pourraient toucher leur salaire pendant 3 ans et bénéficier de crédits pour monter leur propre affaire. Le niveau de vie des fonctionnaires reste actuellement très faible et les salaires bloqués depuis 25 ans autour de 250 dinars par mois en moyenne attendent la revalorisation promise depuis des mois.

Mieux informée grâce aux chaines satellitaires, la population exprime plus ouvertement son impatience et exige une redistribution visible des revenus pétroliers. Un ensemble de fonds de développement, doté d’un total de 15 milliards de dollars, a donc été créé l’an dernier pour financer les infrastructures et palier l’impact des changements sur les plus pauvres. Les allocations sociales ont été réévaluées en novembre et les diplômés sans emploi peuvent en bénéficier. En janvier, un salaire minimum de 250 dinars a été imposé au secteur privé, tandis que les sociétés étrangères sont priées d’embaucher plus de personnels libyens.

Avec un taux de scolarisation de quasiment 100 % et une espérance de vie de 73,8 ans, la Libye figure toutefois au 64e rang mondial en termes de développement humain, soit au 1er rang africain. C’est mieux que l’Arabie Saoudite (76e) mais beaucoup moins bien que le Koweit (33e) et les autres pays du Golfe.

Sur le plan politique, le Colonel Kadhafi maintient son revirement diplomatique au profit des pays occidentaux, monnayant pétrole, expertise terroriste et contrôle migratoire, la nouvelle préoccupation européenne. Sa visite en France est attendue pour cette année. La dernière tache d’huile dans cette nouvelle image que tente de se donner le régime demeure cependant le triste dossier des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Accusés d’avoir injecté volontairement le virus du sida à plus de 400 enfants ils ont été une nouvelle fois condamnés à mort en décembre dernier, après deux procès bâclés et des aveux arrachés sous la torture en 1999. La Cour suprême devrait statuer en dernière instance cette année. Jaloux de sa souveraineté, le régime se braque devant les pressions internationales et tente de marchander pour sauver les apparances.

En interne en revanche peu de changements structurels à l’horizon. Le gouvernement a certes autorisé la venue d’enquêteurs d’Amnesty International et de Human Rights Watch, puis en septembre dernier de Reporters sans frontières mais la presse reste muselée et la critique du Livre Vert interdite. Alors que le régime invite actuellement les opposants en exil à retourner dans leur pays, certains ont eu le tort de tenter l’expérience, comme le médecin Driss Boufayed, arrêté début novembre au lendemain de son retour de Suisse. Les opposant en exil et tentent depuis juin 2005 d'unir leurs forces à Londres en dehors de la composante libyenne des Frères musulmans qui a choisi d’accepter le dialogue avec le régime.

Sur fonds de spéculations autour de l’état de santé du Colonel Kadhafi, l’année 2006 aura été aussi celle d’un positionnement plus visible de ses enfants sur le terrain politique et économique. Seif el Islam a marqué la jeunesse libyenne l’été dernier par des propositions de réformes et des critiques sévères à l’encontre des cadres du régime. Son travail de légitimation politique se poursuit via sa Fondation Kadhafi pour le développement, véritable diplomatie parallèle pro-occidentale. Saadi, frère de Seif, a annoncé la création d’une nouvelle zone franche près de la frontière tunisienne et signé un protocole d’accord avec la sérieuse société émiratie Emaar. La compagnie libyenne que dirige Mohamed multiplie les projets de dévelopement. Enfin, un Conseil national de sécurité a été mis en place en octobre et entériné en janvier, pour définir la stratégie sécuritaire et de défense, voire orienter la politique extérieure du pays. Son directeur n’est autre que Moatassem, un autre fils en rivalité croissante avec son frère Seif el Islam. Tous s’intéressent au parrainage de salons d’entreprise.

De réelles tensions opposent aujourd’hui les chantres du libéralisme économique et de la bonne gouvernance, soutenus par Seif el Islam, et la vieille garde révolutionnaire attachée au système, qui se regroupe désormais autour de Moatassem. Au-dessus de la mêlée, le « Guide », qui n'exerce pas de fonction officielle, approuve les uns ou les aux autres. L’évolution « libérale » du régime n’est pas forcément linéaire.

Nathalie Gillet


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Les questions migratoires au coeur du dévelopement

Marchés tropicaux et méditerranéens, 04/12/2006

La rencontre de Tripoli aura permis de mettre à plat les divergences de vues entre Afrique et Europe sur la question de l'immigration. Une chose est sûre : la question migratoire est désormais solidement inscrite au cœur des politiques de coopération.

« Migration accompagnée, oui. Migration choisie, non ! ». Louis Michel, Commissaire européen au Développement, a été clair durant la conférence euroafricaine sur l'immigration et le développement à Tripoli. Réunis les 22 et 23 novembre à l'intérieur d'une gigantesque tente installée en front de mer sur le parking du quartier d'affaires Dhat el Imad, une quarantaine de ministres des deux continents ont planché laborieusement sur une nouvelle déclaration conjointe. Jalouses du succès de la conférence de Rabat sur le même thème en juillet dernier, les institutions (Commission européenne et plus discrètement Commission africaine) ont pris le relais des pays, en couvrant cette fois l'ensemble du continent africain.

Pour le Commissaire européen, il faut réguler le phénomène migratoire pour ne pas être contraint à gérer des flux massifs, mais pas le stopper. « Il faut positiver ce phénomène naturel, pas le criminaliser au nom de postures politiques ». Les Européens, décidés à prévenir un déferlement d'immigrés clandestins, demandent la collaboration des Africains, qui acceptent désormais d'en discuter. Mais la démarche est ambiguë : comment solliciter le soutien des pays originaires des flux sans véhiculer un vexant message de rejet, comment filtrer les flux sans pour autant piller les précieuses ressources humaines qualifiées de l'Afrique ? L'argument humanitaire asséné tout au long de la conférence a difficilement caché les motivations plus économiques de l'Europe. Reste que plus personne ne conteste le lien entre pauvreté, insécurité et migrations.

De fait, les pays Africains y voient un intérêt politique. Devenu un important pays de transit de l'immigration sub-saharienne, la Libye a su jouer de la question pour faire lever l'embargo européen sur les armes qui l'empêchait d'acquérir les radars et autres matériels nécessaires à la surveillance des frontières. La présence d'immigrés clandestins « menace la structure démographique de notre pays ainsi que son tissu culturel » a estimé le ministre des Affaires étrangères libyen Abderrahman Chalgam. Le problème est aussi intra africain...

Plusieurs pays africains en ont appelé à la créa­tion d'un fonds spécial issu du FED pour gérer le phénomène migratoire - idée qui fait bondir Louis Michel : « Si c'est pour appeler autrement un fonds qui existe déjà, ça n'a pas de sens ! Je suis d'accord pour en étudier les modalités mais avec de l'argent additionnel ! Et puis il est toujours très dif­ficile de vérifier la bonne utilisation des financements. Un fonds commence par utiliser de l'argent pour financer de la bureaucratie complémentaire ». Pas de création d'un fonds, donc, au grand regret de la Libye, qui aurait pu couronner par un symbole fort la première grande conférence internationale qu'elle organisait depuis l'embargo. Mais les pays s'engagent à « examiner la possibilité de [le] mettre en place ».

Autre pomme de discorde, la « réadmission » des clandestins figure déjà dans l'article 13 des accords de Cotonou. Plusieurs pays africains, Afrique du Sud et Nigeria en tête, ont freiné des quatre fers pour ne pas inclure le concept dans la déclaration. Les accords de Cotonou ont toute­fois été réaffirmés dans le préambule de la Déclaration finale, qui énumère une liste d'engagements et de mesures générales proches de celles de Rabat. Parmi les thèmes : le rôle des migrants dans le développement de leur pays d'origine, la nécessité d'une cohérence régionale, de faciliter la mobilité des travailleurs africains qualifiés ou des travailleurs saisonniers, la réalisation d'études statistiques.

Reste à mettre en place des actions concrètes avec les € 40 millions que prévoit l'UE dans son budget de développement. Louis Michel propose la création dans certains pays d'une Agence d'émigration, pouvant « offrir des informations aux candidats migrants, de la formation, de l'accès à du petit capital à risque pour installer de petites entreprises, réguler en fonction de l'offre d'emploi tout en veillant à ne pas déraper dans le brain drain ». L'agence pourrait promouvoir sur place des projets à haute intensité de main-d'œuvre. Le Mali s'est déclaré candidat, le Sénégal pourrait suivre.

Mais attention, a rappelé le vice-président de la Commission européenne, Franco Frattini, « lorsqu'un Etat en Afrique s'engage dans un tel projet pilote, il prend la responsabilité de récupérer ses citoyens lorsque la période des travailleurs saisonniers est écoulée ». Côté européens, « des quotas continueront d'être fixés sur le plan national », a-t-il dé­claré. La ministre française préfère elle parler « d'émigration choisie».

Nathalie Gillet

ENTRETIEN AVEC BRIGITTE GIRARDIN

La ministre française déléguée à la Coopération, au développement et à la francophonie, était seule à représenter la France au niveau ministériel (contre 5 ministres à Rabat).

MTM : Quelle est pour vous l'importance de la conférence de Tripoli, après celle de Rabat ? Brigitte Girardin : A Rabat, le phénomène migratoire est devenu un sujet de débat entre pays originaires des flux, pays de transit et pays destinataires. Ils ont accepté d'en discuter sans tabou. La politique migratoire n'est plus seulement perçue sous un angle sécuritaire mais aussi sous celui du développement. Il y a une prise de conscience qu'on ne réglera pas les choses sous le seul angle répressif et qu'il faut traiter le problème à la source. La difficulté est de faire en sorte que cela profite à tout le monde. Le fait que les ministres se soient retrouvés est très important. Rabat a été une première et Tripoli en est une amplification, qui s'inscrit à l'échelle du continent. Ce type de conférences génère toujours des déclarations mais derrière cela il y a de vraies actions concrètes et la France est en pointe dans ce domaine.

Tous les pays partagent-il le même intérêt pour ces questions ?

Tous ne se sentent pas concernés de la même manière, ni en Europe ni en Afrique mais les images de Ceuta et Melila ont frappé la communauté internationale dans son entier. Du côté des pays africains, on sent également une volonté de traiter de la question car il y a beaucoup de migrants voyageant à l'intérieur du continent. Il faut donc intégrer le phénomène migratoire dans la politique de coopération, sans oublier le problème de la fuite des cerveaux. D'où l'idée du co-développement.

Propos recueillis par Nathalie Gillet

 

Dow Chemicals signe une JV sur le complexe de Ras Lanouf

Marchés tropicaux et méditerranéens, 27 avril 2007

C'est avec le géant américain Dow Chemicals que la compagnie nationale libyenne des hydrocarbures (NOC) a signé le 19 avril 2007 un protocole d'accord pour la création d'une joint-venture, dont la mission sera de développer et moderniser le grand complexe pétrochimique libyen de Ras Lanouf, situé à 600 km à l'Est de la capitale. Les travaux se dérouleront en deux phases, dont la première portera sur l'existant : le craqueur de naphte, la modernisation de 2 unités de production de polyethylene avec leurs infrastructures. Si le groupe américain refuse pour le moment de communiquer le montant des investissements, les experts évoquent une fourchette de 100 à $ 200 millions. La seconde phase portera sur la construction d'un craqueur d'éthane, des unités de production supplémentaires de polyethylene and polypropylene, la construction d'unités de plastique et de produits chimiques liés au gaz naturel. Le marché comporte également un important volet formation.
Construit dans les années 1980, ce complexe chimique est le plus important du pays. Le craqueur de naphte actuel produit officiellement 330 000 tonnes d'éthylène par an. Dow Chemicals pour sa part enregistre un chiffre d'affaires annuel de $ 49 milliards et emploie 43 000 personnes dans le monde. C'est la première société étrangère à remporter un contrat dans l'industrie pétrochimique en Libye, à un moment où le pays ambitionne de développer sa filière aval. « Ce qui nous intéresse, c'est l'extraordinaire position géographique du complexe. Nous regardons nos investissements futurs, nous avons déjà des actifs en Afrique du Nord. Cela nous permettra d'approvisionner les croissants marchés européens et surtout de réduire nos coûts en énergie », explique Chris Huntley de la compagnie. Le niveau exact de la participation demeure toutefois confidentiel jusqu'à la fin de l'année, après la signature définitive de l'accord. « Il s'agit de moins de 50% mais nous avons une option permettant de porter notre part à 50% dans l'avenir », assure M. Huntley. Dow a également des opérations au Koweit, en Malaysie, à Oman et négocie actuellement avec l'Arabie Saoudite.

Nathalie Gillet

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« Privatisation » de la téléphonie mobile

Jeune Afrique, 23 avril 2007
Comme l'avait annoncé Seif el Islam Kadhafi en février dernier, les deux sociétés libyennes de téléphonie mobile, Almadar et Libyana, sont au menu des « privatisations ». Début avril, le gouvernement libyen a autorisé l'ouverture partielle de leur capital mais à des actionnaires exclusivements nationaux : 25% du capital seront ainsi attribués , pour un montant d'un milliard de dinars (580 millions d'euros environ) à 100 000 familles nécessiteuses, dont les noms seront sélectionnés ultérieurement. Environ 5% des actions seront également cédées aux employés de ces sociétés. C'est ce qu'on appelle désormais en Libye le « capitalisme populaire ». Le secteur des télécoms est lucratif. La seule Libyana, créée en septembre 2004, disposerait déjà, selon elle, de 2,8 millions d'abonnés (sur une population de moins de 6 millions d'habitants) et aurait porté la couverture des zones désertiques à près de 55%.

Des bureaux de représentation pour QNB, BNP-Paribas et Société Générale

Jeune Afrique, 23 avril 2007
L'intérêt des investisseurs du Golfe pour le Maghreb ne fléchit pas. Après la récente ouverture de filiales au Yemen, au Koweït et à Oman, et celle d'un bureau de représentation à Singapour, la banque qatarie QNB a annoncé le 14 avril l'ouverture d'un bureau de représentation à Tripoli (Libye). Elle compte ainsi renforcer son profil de banque internationale et surtout profiter du juteux marché libyen des infrastructures. QNB compte également une filiale à Londres et à Paris, et un bureau en Iran. Le groupe fournit via sa société Ansbacher des services de banque et de gestion de patrimoine au Royaume-Uni, en Suisse, aux Bahamas, dans les Îles anglo-normandes, au Qatar et à Dubaï.
Parallèlement, les banques française BNP Paribas et Société générale ont obtenu elles aussi leur agrément pour l'ouverture imminente d'un bureau de représentation à Tripoli, un an après celui de Calyon, en février 2006. Avec HSBC, Standard Chartered, Arab Bank et Arab Banking Corp., les deux françaises ont d'ailleurs été pré-sélectionnées pour la prochaine privatisation de la libyenne Sahara Bank, de quoi soigner leur image avant de soumissionner aux futurs marchés publics.

Libye : attribution du contrat de lancement du satellite de RASCOM
Jeune Afrique, 23 avril 2007
Le contrat de lancement du satellite de télécommunications RASCOM (Regional African Satellite Communication Organization, organisation panafricaine intergouvernementale dont la Libye est le principal actionnaire) a finalement été confié le 16 avril à la société française Arianespace, face à ne concurrence chinoise. Couvrant 44 pays africains, ce satellite, dont la construction avait été confiée en 1999 à Alcatel-Alenia, permettra à des centaines de milliers de villages africains isolés du monde de se raccorder à bon marché sans avoir à installer de couteux réseaux filaires ou optiques. A l'aide de petits émetteurs, de simples téléphones portables pourront ainsi profiter directement de la voie satellitaire. Parmi les autres usages : l’accès internet à haut débit, la vidéo, télévision et radiodiffusion sonore, permettant télémédecine et enseignement à distance. Le lancement effectif du satellite par Arianespace est attendu pour novembre prochain. Le contrat se monte à $ 70 millions.

Thales a signé le 18 avril un contrat avec l’opérateur historique des télécommunications libyen GPTC pour la première phase de l’installation d’un système national de gestion et de contrôle du spectre des fréquences. Le contrat s'élèverai à 3,6 millions d'euros

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Une place boursière pour la Libye
Jeune Afrique, 19 mars 2007
La Libye a désormais sa Bourse des valeurs. Inaugurée le 11 mars à Benghazi (1000 km de Tripoli) et placée sous la tutelle du ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Investissement, la nouvelle structure est dotée d'un capital de 20 millions de dinars (11,7 millions d'euros). Son siège est à Benghazi mais la capitale dispose également d'une salle de transactions électronique. Le président de la Bourse a un nom : Sleiman Salem Chehoumi. Les experts restent sceptiques car la grande question est de trouver les titres et les acheteurs. La nouvelle place doit théoriquement accueillir des sociétés nationales à participations et accompagner le processus de privatisation en cours. Les actions de Sahara Bank et la Bank of Commerce & development par exemple étaient jusqu'ici échangées aux guichets de banque ou à la Banque centrale. Outre un certain nombre de cimenteries, on attend la privatisation des deux sociétés de téléphonie mobiles El Madar et Libyana, annoncées fin février par Seif el Islam Kadhafi. Le processus de privatisations s'adresse quasi exclusivement aux Libyens et produit un actionnariat généralement morcelé. Reste à savoir si cela suffira pour dynamiser une bourse.

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Des conseillers américains pour la Libye révolutionnaire
Marchés tropicaux et méditerranéens, mars 2007

Après une première vague de réformes économiques qui a porté essentiellement sur la libéralisation des importations, voici que la Libye post-embargo poursuit depuis 2 ans une nouvelle «Stratégie économique nationale » (NES), dont les inspirateurs ne sont rien moins qu'un groupe de consulting... américain, Monitor, fondé par Michael Porter, professeur à Harvard. Sur invitation de Seif el Islam Kadhafi (le fils du Colonel), qu'il a rencontré au Forum économique mondial de Davos en 2004, Porter a envoyé une équipe multinationale pour plancher sur le cas libyen. En collaboration avec le Cambridge Energy Research Associates (britannique), ils ont concocté un rapport de 200 pages sur la compétitivité libyenne, publié en 2006. C'est l'un des seuls rapports globaux chiffrés qui existent actuellement sur un pays qui considère encore trop souvent les statistiques comme un secret d'Etat. Rédigé par une quinzaine de personnes sur 6 mois à temps plein, il constitue la base théorique de la NES, destinée à diversifier et moderniser l'économie libyenne.

Après la théorie, 2007 sera l'année de la phase pratique, dont la traduction la plus concrète a été l'inauguration en grande pompe, le 22 février, d'un nouvel organe institutionnel : le Libyan Economic Development Board (LEDB, ou Bureau de développement économique), voté très officiellement par décret en janvier dernier. Doté d'un budget et d'un staff de 40 à 50 personnes dans un premier temps, le LEDB, directement rattaché au Premier ministre, doit initier des réformes économiques et sociales de fonds, en prenant pour modèle les bureaux du même genre à Dubail, Singapour et en Irlande. Les premières mesures porteront sur le secteur privé, notamment la PME : création d'un guichet unique d'enregistrement, programmes de financements destiné à compenser l'archaïsme de l'environnement bancaire actuel.

Le LEDB sera donc en première ligne pour accompagner les 400 000 fonctionnaires (sur près d'un million de salariés du public), que le Premier ministre a récemment annoncé vouloir licencier au cours des prochaines années. Les volontaires pourront obtenir crédits et conseils pour monter leur propre business, tout en conservant leur salaire pendant 3 ans. A voir.

Le cheval de bataille du Monitor demeure cependant la formation, talon d'Achille d'une Libye longtemps isolée du monde. Une série de modules ont été lancées en 2005 à destination de cadres libyens pressentis par les consultants comme « l'élite de demain ». Par groupes de 30, ils reçoivent depuis 2005 des formations accélérée de 6 mois en économie, gestion, management, surnommées « mini-MBA ». « Ils m'ont contacté par fax il y a deux mois ! », explique le directeur d'une petite société de catering, ravi. « Les cours sont passionnants et il y a beaucoup de débats », s'enthousiasme Mohamed, agent officiel d'un fabricant européen de téléphones. La cérémonie du 22 février a été l'occasion d'une remise officielle de diplômes à 150 premiers élèves. Quelque 120 autres devraient être gratifiés du leur en mai prochain. « Pour le moment les cours sont dispensés en anglais mais le but est de créer une faculté arabophone qui touchera plus de gens », explique un consultant de Monitor.

Tandis que le « Guide de la Révolution » a engagé un dialogue avec des économistes américains comme Francis Fukuyama de la Johns Hopkins University, Anthony Gidddens ou Ben Barber, et que la NES est parrainée par la Fondation Kadhafi dirigée par Seif el Islam, l'idéologie du Livre vert qui fustige l'esclavage du capitalisme en prend un coup. La création d'un modèle de « capitalisme populaire », le compromis entre logique du marché et valeurs révolutionnaires, seront pour quelque temps encore le casse-tête des nouveaux maîtres penseurs d'outre Athlantique.

Reste à savoir quelle sera la marge de manoeuvre effective du nouveau bureau. « Il faut que les Libyens soient impliqués et s'approprient le leadership de ce projet », insiste-t-on au Monitor. « Il s'agit d'améliorer la compétitivité de l'économie libyenne tout en redistribuant plus équitablement les richesses, par des mesures sociales », poursuit-il (cf. prochain numéro). Il semblerait que les jeunes et fringants consultants planchent également sur des réformes... politiques, notamment sur le concept de bonne gouvernance et de transparence... Le sujet est extrêmement tabou mais les caciques du pouvoir, bien installés au Congrès général du Peuple (Parlement), n'ont pas encore dit leur dernier mot.

Nathalie Gillet

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Six banques pré-sélectionnées pour l'acquisition de Sahara Bank

Marchés tropicaux, 13 avril 2006

Fin mars, La Libye a présélectionné 6 banques internationales dans le cadre de la privatisation de Sahara Bank lancée fin février et annoncée fin janvier : Arab Bank, Arab Banking corp., BNP Paribas, HSBC, Société Générale et Standard Chartered. C'est le Fond de développement économique et social libyen qui cèdera ses 19% de participations à un partenaire stratégique – qui pourra ensuite augmenter sa part à 51% sur le moyen terme, a assuré la Banque centrale. Selon les autorités libyennes, le processus devrait s'achever d'ici à fin juillet. La banque conseil est Rothschild, basée à Paris, qui mène à deux pas de Tripoli la privatisation de la première banque algérienne (Crédit populaire d'Algerie). Le conseiller juridique est l'américain Baker & McKenzie.

Sahara Bank est la 1ère banque à s'ouvrir à des capitaux privés étrangers. Elle possède officiellement un actif de 2,7 milliards d'euros et se classe deuxième par la taille. C'est aussi la plus ancienne. Née au 19e siècle en tant que filiale de l'italienne Banco di Sicilia, elle a pris son nom actuel en 1964 avant sa nationalisation en 1970. Elle compte aujourd'hui un quarantaine d'agences mais souffre d'une gestion peu compétitive.

D'une manière générale, le secteur bancaire libyen est le moins développé de la région, avec un total d'actifs équivalent à seulement 25% du PIB. Les 5 banques universelles publiques, Sahara Bank, Wahda Bank, Gumhouriya Bank, Umma Bank et National Commercial Bank contrôlent 90% des actifs du secteur, à côté des banques publiques spécialisées. Ce sont les privées libyennes émergeantes qui impulsent un peu de modernité, notamment dans les moyens de paiement : Bank of Commerce & Development a lancé sa carte à puces locale Kanzen et noué un partenariat avec Visa et Western Union; Aman Bank (née en 2004) a un accord avec MasterCard et MoneyGram. Le français Calyon a été le premier acteur international de poids a installer un bureau de représentation en février 2006, avant de réaliser le 1er montage financier non pétrolier.

Nathalie Gillet

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Libye : augmentations des allocations et salaires en vue

Marchés tropicaux et méditerranéens, mars 2007 

La Libye remodèle sa politique de redistribution. Alors qu'un licenciement de 400 000 fonctionnaires a été annoncé, la liste des produits de base désubventionnés (sucre, huile, concentré de tomates, etc) s'est agrandie lors de la dernière session parlementaire de janvier. De nouvelles mesures sociales ont cependant été prises ces derniers mois. En avril 2006, une première allocation de chômage a été créé pour les jeunes diplômés. En novembre, le montant des pensions de retraite et allocations est passé à 130 dinars (LD) pour les célibataires (contre 90 LD auparavant), à 180 LD pour les personnes mariées et à 220 LD pour les familles avec enfants. En janvier dernier, un décret a fixé à 250 LD, le salaire minimum du secteur privé.

Mais l'augmentation la plus attendue est celle des salaires du secteur public, bloqués depuis plus de 20 ans. Seif el Islam Kadhafi, le fils du Colonel, a déclaré fin février que le salaire de base (200 dinars) augmenterait de 110% en mars et ceux de la compagnie nationale pétrolière (NOC) de 275%, ce qui ne devrait pas empêcher les employés qualifiés de poursuivre leur désertion au profit des compagnies étrangères. Les fonctionnaires lamda devraient voir une augmentation de 25% avec des allocations de logement en hausse de 237%. Fin janvier pourtant, le Premier ministre, avait exclu toute augmentation de salaires tant que le problème du sureffectif n'a pas été résolu. A suivre... Ces augmentations restent toutefois sans commune mesure avec le coût réel de la vie.

Nathalie Gillet


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Libye 3e round pétrolier au bénéfice des Russes

La Tribune, janvier 2007

Les 3e enchères pétrolières internationales de la Libye, qui s’étaient tenues le 20 décembre à Tripoli, se sont conclues définitivement le 24 en octroyant les 3 permis d’exploration et de production qui avaient fait l’objet d’offres uniques. Exxon Mobil a ainsi remporté le périmètre offshore n°20, la compagnie indienne ONGC Videsh la zone offshore n°43 et la japonaise Inpex le permis 113 à Murzuk. Les compagnies russes ont la part du lion cette fois sur ce marché prometteur avec 4 permis sur 10. Trois sont allés à Tatneft : zone 69 à Sirte, zone 82 à Ghadames, la plus convoitée, et zone 98 à Ghadames. Gazprom remporté son premier permis en offshore n°19 contre Exxon Mobil, se réservant seulement 10% de part de production. Chinese Petroleum (CPC, Taiwan), se sont montrés très agressifs (7,8% de part de production) remportant le très convoité champ n°162 de Murzuk, à la barbe des américaines Chevron et Occidental. Petrocanada a raflé à Shell le champ 137 du bassin de Sirte. Enfin, Wintershall a obtenu le permis 201 à Kufra région non prospectée et difficile d’accès (risquée), avec une part de production de 13,5% seulement, ce qui a soulevé les interrogations de ses concurrents. Quatre blocs n’ont pas reçu d’offres. Dépassé par les offres audacieuses de ses rivaux Gaz de France et Total (qui convoitait un champ de Kufra, où elle avait déjà remporté un permis en octobre dernier) sont revenus bredouille.

La Libye est-elle un nouvel eldorado ? L’huile est légère, l’extraction peu coûteuse et les réserves estimées à près de 40 milliards de barils : « c’est l’un des seuls pays au monde qui offre à la fois du potentiel et des opportunités pour les entreprises étrangères », affirme un représentant de la compagnie MOL. Mais le pays a largement été sous-exploré pendant des années. Le travail à réaliser est immense et la méconnaissance du terrain tant une promesse qu’un pari sur l’avenir.

« Le développement risque également de pâtir des dernières enchères », ajoute une compagnie. Contrairement à cette fois-ci, le 2e round avait surtout récompensé le moins disant en termes de partage de production. De petites compagnies avaient pu ainsi remporter des marchés, laissant plus de 92% à la compagnie nationale NOC, contre un partage habituel de 30%-70% dans le monde. Auront-elles les moyens de développer leurs champs en cas de découverte ?

Le 1er round de janvier 2005 avait été extrêmement favorable aux Américains (11 périmètres remportés sur 15, dont la majorité pour Occidental), le 2e round d’octobre 2005 a profité aux européennes (dont Total) et asiatiques. L’arrivée en 2 ans d’une trentaine de nouveaux opérateurs tous désireux de réaliser leurs engagements en 5 ans a entraîné une forte pression sur les ressources humaines en Libye ainsi que sur le matériel et les équipes sismiques. « L’année prochaine nous offrirons plus de blocs, avec des opportunités en matière de gaz naturel » a cependant assuré Choukri Ghanem, PDG de la NOC.

Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Tripoli

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Libye 3e round pétrolier au bénéfice des Russes

Marchés tropicaux, 25 décembre 2006

Le 3e round international de la Libye a fait la part belle aux compagnies russes. Après un 1er round extrêmement favorable aux Américains (11 périmètres sur 15, dont la majorité pour Occidental) en janvier 2005 puis un 2e round atomisé au profit de nombreuses compagnies européennes et asiatiques en octobre de la même année, voilà que Gazprom fait son entrée en Libye avec un permis en offshore n°19 (1, 2, 3 et 4), tout comme Tatneft qui en remporte 3 sur 10 : la zone 69 (blocs 1, 2, 3 et 4) à Sirte, bassin déjà mature, la zone 82 (bloc 1) à Ghadames, qui a rencontré le plus de compétiteurs et la 98 (2 et 4) à Ghadames. Gazprom qui a soumissionné à deux permis a cassé la tirelire sur son permis eporté, se réservant 10 % seulement dans le part de production.

Les Chinois de Chinese Petroleum (CPC, Taiwan), qui se sont montrés très agressifs (7,8%) ont remporté le très convoité champ de Murzuk 162 (1 et2), à la barbe des américaines Chevron et Occidental. La zone abrite de nombreuses réserves prouvées, les chances de découvertes sont maximales et les infrastructures déjà présentes. Petrocanada a obtenu le champ 137 (3-4) à Sirte au détriment de Shell. Enfin, Wintershall a obtenu un permis à Kufra région non encore prospectée, difficile d’accès et donc plus à risque : périmètre 201 (1, 2, 3 et 4, sud est). Déjà présente en Libye depuis longtemps, elle s’est gardé une part de production de 13,5%, ce qui pourrait selon un expert constituer un risque. Trois contrats n’ont fait l’objet que de soumissions uniques, notamment de la part de ONGC Videsh (Inde) et d’Exxon (Etats-Unis). Le marché sera octroyé sur dossier après étude. Quatre blocs n’ont pas reçu d’offres.

Gaz de France avait soumissionné comme aux 2 précédents round mais revient bredouille, dépassés par les offres audacieuses de ses rivaux, tout comme Total qui convoitait le champ de Kufra, région où elle avait déjà remporté un permis en octobre dernier. « Je pense que la raison principale de ces prises de risque est le désir de mettre un pied dans ce pays très prometteur, dans l’espoir d’obtenir de meilleurs contrats l’an prochain », explique le représentant d’une compagnie malheureuse. « Mais c’est le développement qui est en danger », poursuit-il, faisant référence également au second round, basé sur le moins gourmand en termes de partage des bénéfices de production (parfois moins de 8%). En cas de découverte, il ne leur sera pas nécessairement rentable de développer le champ. Ces 3e enchères ont été différentes car elles ont largement intégré dans leurs critères de sélection le programme de développement proposé (forage de nouveaux puits forés, études sismiques).

« L’année prochaine nous offrirons plus de blocs, notamment dans le gaz naturel » a assuré Choukri Ghanem, PDG de la compagnie nationale. Cette dernière est véritablement la grande gagnante de l’opération et rafle près de $ 90 millions de bonus (ou ticket d’entrée).

Nathalie Gillet, à Tripoli

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NOC, un Etat dans l'Etat

Jeune Afrique, Hors-série "500 entreprises en Afrique", novembre 2006

En Libye la période post embargo n'est sans doute pas celle qui révolutionnera la Révolution mais sur le plan économique, la progressive reconnection au monde suscite un engouement certain. Et c'est sans surprise du côté des hydrocarbures, quasi-unique industrie développée (à côté de la métallurgie), que cet engouement est le plus manifeste. Le héros de la série, la compagnie nationale National Oil Company (NOC), est en effet passé à la vitesse supérieure, dans un élan que rien ne semble pouvoir arrêter.

La plus puissante compagnie du pays, véritable Etat dans l'Etat, connaît depuis deux ans un regain de vitalité qui n'a pas pour seul moteur la bonne tenue des cours du brut. Le lancement en 2005 sous le gouvernement Shoukri Ghanem, d'un nouveau type d'enchères internationales, les EPSA 4 (Exploration & Production Sharing Agreement), a bouleversé les équilibres du passé. "La Libye s'est d'ailleurs largement inspirée du modèle algérien", affirme Francis Perrin, de la revue Pétrole et Gaz arabes. Même si, contrairement à son homologue algérienne Sonatrach, la NOC n'a pas encore poussé le soucis de la transparence jusqu'à publier un rapport annuel – il demeure particulièrement difficile d'accéder à des chiffres financiers.

Il n'en reste pas moins que ses conditions de développement sont exceptionnelles. Avec une production de 1,7 million de barils/jour (b/j), la Libye se situe au 3ème rang du continent africain. Son huile est légère et peu soufrée, pour des coûts d'extraction faibles. En outre, le pays a été sous-exploré pendant des années, avec des méthodes aujourd'hui désuètes. Résultat, seul un tiers du pays à peine a été prospecté, alors que les réserves sont estimées officiellement à plus de 39 milliards de barils. Ceci en fait tout bonnement une situation unique au monde.

En outre, la compagnie a depuis mars un nouveau PDG qui n'est rien moins que l'initiateur des EPSA 4, l'ancien Premier ministre réformateur Shoukri Ghanem, expert en pétrole, ancien de la NOC et longtemps administrateur de l’OPEP à Vienne.

Les deux premiers rounds de janvier et septembre 2005 ont attribué un total 92 blocs, couvrant près de 230 000 m2. Le premier aura surtout permis de gratifier les compagnies américaines entrantes de la grande majorité des périmètres (11 sur 15). Tout un symbole. Après des années d'embargo, où traiter avec ce pays ennemi était proscrit, elles concouraient pour la première fois à un appel d'offres international. A côté de ChevronTexaco et Amerada Hess, c'est Occidental qui a raflé la mise (9 zones) et qui prévoit de consacrer 2/3 de son budget d'exploration à la Libye en 2007.

Neuf mois plus tard, dans un contexte de percée des cours du brut, la deuxième ronde, qui a retenu 17 compagnies, essentiellement asiatiques et européennes, a donné un autre spectacle étonnant. Alors qu'en janvier, les compagnies américaines avaient proposé moins de 20% de part de production, ce qui en soi est plutôt "généreux", la plupart des offres du 2e round ont frôlé les 10%, et certaines dépassé le seuil des 8% !! "Cela devient totalement ridicule ! proteste un diplomate européen. Les autorités libyennes ont bousculé les pratiques internationales qui tournent habituellement autour de 30% contre 70% pour la compagnie nationale ou de 40-60%.

Ces enchères focalisées sur le critère du partage de production ont donc constitué une véritable victoire de communication pour Shoukri Ghanem. Mais elles soulèvent une question majeure. Après avoir fait entrer de petites compagnies totalement inconnues et sans expérience internationale, ces dernières auront-elles les moyens de développer leurs champs en cas de découverte ? Rien n'est moins sûr.

Le 3e round qui se conclut le 20 décembre revient cependant à une certaine

sagesse. D'autres critères seront en effet pris en compte pour les 41 blocs proposés (99 500 km²) : l'expérience, la solidité financière du candidat, le bonus (ou ticket d'entrée) et un planning des taches bien précis (prospection et production). Moins de sociétés ont ainsi été retenues à la pré-qualification de septembre, on passe du tout quantitatif à plus de qualitatif.

Le délai de 3 mois imposé pour entreprendre le premier un forage après une découverte a par ailleurs été supprimé. Il faut dire qu'avec l'arrivée d'une trentaine de nouveaux opérateurs, on assiste sur le terrain à une véritable bousculade. Les entreprises s'arrachent les personnels libyens compétents, débauchés à tout va, tout comme les équipes sismiques disponibles. "Il y a une vraie tension sur la location des appareils de forages", explique Francis Perrin, alors qu'il faut mener ses travaux de prospection dans un délai de 5 ans. Sans oublier que pendant ce temps, le processus d'enchères EPSA 4 se poursuit et que de nouveaux périmètres à prospecter vont être octroyés. Une gageure !

Parallèlement, les compagnies américaines du groupe Oasis (Amerada Hess, ConocoPhillips, Marathon Oil) ont su négocier leur retour sur les magnifiques champs qu'ils détenaient avant de partir en 1986 (déjà en production à raison de 350 000 b/j!). Si le "ticket de retour" a été lourd ($ 1,3 milliard), les concessions ont cependant été maintenues dans des conditions similaires au passé, et prolongées de 25 ans ! Ils investissent aujourd'hui au maximum pour augmenter la productivité.

De son côté, la NOC est à plein régime car les round sont très lourds à gérer. Outre le lancement des appels d'offres, la signature d'un contrat avec chaque opérateur, il faut ensuite suivre la gestion des JV constituées, en plus de ses propres filiales. Il y en a désormais une quarantaine, contre 11 opérateurs étrangers avant janvier 2005. L'alourdissement de la tâche est considérable et la NOC est entrée dans une phase d'investissements massifs.

Alors que dans les années 1970, la Libye produisait plus de 3 millions b/j, elle a bien l'intention de récupérer son potentiel d'ici à 2015, au moyen de $ 35 milliards d'investissements. La capacité de production doit être portée à 2 millions b/j dès la fin 2007. Quelque $ 4 milliards doivent être investis en 10 ans dans la recherche sismique, 50 puits d’exploration forés par an, 4 000 km2 d'études sismiques en 3D et 10 000 km2 en 2D réalisés chaque année. Les champs anciens doivent être remis en état et les champs découverts mais non exploités développés au moyen de nouveaux contrats, les DPSA (cf. interview).

Mais la Libye a aussi du gaz. En octobre, le nouveau champ de Tahaddi a démarré sa production (250 millions de pied 3). La production nationale devrait atteindre 10 milliards de pieds cube en 2006, dont 8 milliards exportés vers l’Italie via le nouveau gazoduc sous-marin, le gigantesque Western Libya Gas Project. Parallèlement, deux nouveaux gazoducs sont en construction depuis l'été sur les axes Tripoli-Khoms (est) et Tripoli-Millita (ouest), l'idée étant de relier et d'alimenter les centrales électriques, usines de ciment et industrie du fer par du gaz plutôt que du fuel. Le chiffre des réserves ne fait pas l'unanimité mais les ressources pourraient être très importantes, notamment en offshore. Le pays dispose d'ailleurs d'un réseau très développé de pipelines, qui relient les champs de production aux raffineries et aux terminaux méditerranéens d’exportation : 6 000 km d’oléoducs et 3 000 km de gazoducs. La NOC possède 7 terminaux pétroliers.

A côté du volet exploration-production, de gros projets sont en cours dans l'aval. Le gouvernement veut notamment moderniser ses 5 raffineries, d'une capacité totale (théorique) de 380 000 b/j : Ras Lanuf (220 000 bj), Azzawiya (120 000), Tobruk (20 000), Brega (10 000) et Sarir (10 000). La NOC est en négociation avec plusieurs compagnies étrangères mais également pour le complexe pétrochimique de Ras Lanuf et les usines chimiques de Marsa El Brega. C'est la compagnie Shell qui a signé fin 2005 un partenariat avec NOC pour développer la production des unités de LNG de Marsa el Braga ($ 635 millions), et porter la capacité de 700 000 t/an actuellement à 3,2 millions t/an. Shell s’est également engagé à construire de nouvelles unités de LNG (3-4 million de tonnes/an chacune) et a obtenu parallèlement le droit d'explorer 5 blocs situés près de Sirte (20 000 km2).

L'investissement prévu pour les raffineries pourrait atteindre $ 7 milliards, selon Shoukri Ghanem, pas moins de $ 3 milliards dans la pétrochimie, et entre $ 2 et 3 milliards pour le complexe de Marsa el Brega.

Autre thème fondamental dans le downstream : les privatisations des raffineries et de la distribution. La question est de savoir quoi et comment (cf. interview). A l'extérieur des frontières libyennes, une importante opération est par ailleurs en cours : la cession de 60% des intérêts européens de Tamoil, filiale de la NOC spécialisée dans le raffinage-distribution en Europe. Celle-ci devrait rapporter près de $ 4 milliards. Tamoil Europe détient notamment trois raffineries d’une capacité totale de 255 000 b/j, en Italie, en Allemagne et en Suisse, ainsi qu'un réseau de près de 3 500 stations services dont 744 en Italie et 258 en Suisse.

Tamoil Afrique de son côté a été détachée et fait désormais partie du grand fond Libya Africa Portfolio for Investment (qui détient également la compagnie aérienne Afriqiyah). Cette division vient de prendre une participation dans une filiale africaine d’Exxon Mobil, selon une stratégie globale libyenne de redéploiement sur l'Afrique.

Selon Francis Perrin : "la Libye qui a cherché à se diversifier n'a pas obtenu avec Tamoil les résultats escomptés sur le plan financier. Compte tenu du niveau des cours, la priorité de la Libye va aujourd'hui davantage à l'exploration par appel d'offres, la valorisation du gaz et, dans l'aval, à la modernisation des raffineries et au renforcement de l'industrie pétrochimique. Le développement de l'aval à l'étranger n'est plus aussi intéressant"

Parmi les candidat au rachat de Tamoil figureraient l'américain Carlyle, l'espagnol Repsol, l'italien ERG, le Polonais Jan Kulczyk et Gasprom. Intéressé de prime abord, Total déjà bien présent en Europe, n'a pas suivi, d'autant que les centaines de stations services en Italie ne seraient pas superbement situées. C’est BNP Paribas qui assure pour le compte de la partie libyenne la gestion des enchères mais les résultats se font attendre et la lenteur du processus nourrit toutes les rumeurs. En octobre dernier, M. Ghanem a dû démentir que l'affaire ait été pliée au profit de Carlyle.

Une autre décision stratégique prise par M. Ghanem marque la fin d'une époque : la fermeture de deux véritables baronnies. Il s'agit des centrales d'achat de la NOC basée en Europe : Umm el Jawabi Oil Services (Londres) et Mediterranean Oil Services (Medoil, à Düsseldorf), ainsi que Teknika, cabinet de consultants en ingénierie sismiques. Pendant les années d'embargo ces énormes institutions avaient permis d'acquérir des équipements, des pièces de rechange, des technologies étrangères et de faire tourner les champs pétroliers. Tant pour le pétrole que pour les pompes de la Grande rivière, elles permettaient de contourner plus ou moins l'embargo, tout en assurant une présence en Europe. "C'étaient des Etats dans l'Etat, les directeurs achats de ces entités disposaient d'un pouvoir non négligeable et d'une source de profit immense", confirme un diplomate.

La Libye ayant recouvré sa capacité à acheter ce qu'elle souhaite sur son sol, cette stratégie aujourd'hui ne se justifiait plus et la NOC reprend les achats sous son aile. La décision ne fait pas plaisir à tout le monde puisqu'elle contribue à casser d'anciens circuits d'influence et de profits. Une boule dans un jeu de quille.

L'ambiance n'est donc pas des plus détendues à la NOC et le sens de l'efficacité de l'ancien Premier ministre pas toujours apprécié à sa juste valeur. Outre la fermeture des centrales d'achats, certains lui reprochent de prendre ses décisions sans concertation, d'obliger les employés à ne pas démissionner pendant un certain temps, de freiner les velléités de voyages à l'étranger sans justification, de mettre la pression pour tenir les meeting à Tripoli, de garder une main-mise totale sur la vente de Tamoil Europe.

Une nouvelle phase se profile depuis son arrivée et pourrait se prolonger par une réorganisation institutionnelle. Peu de pays au monde possède encore une société nationale qui à la fois produit du pétrole et gère le secteur minier. Se pose donc à terme la question d'une réforme transformant la NOC un simple opérateur national et laissant à un organe de régulation et au gouvernement le soin de mener la politique pétrolière. Shoukri Ghanem mènera-t-il ce chantier ? C'est lui en tous les cas qui ces deux dernières années avait placé un ministre de l'Energie, M. Ben Chatwan, dans les pattes de son prédécesseur à la NOC.

Ironie du sort, le voilà de l'autre côté de la barrière. Sa nomination en mars dernier à la tête de la compagnie avait pourtant eu lieu en même temps que la suppression du ministère des hydrocarbures. L'ancien Premier ministre faisait ainsi jusqu'à très récemment office de ministre du pétrole de fait. Mais voici qu'en septembre dernier, une nouvelle instance est apparue à la surprise générale : le Conseil pour les affaires du pétrole et du gaz (COGA). Présidé par le Premier ministre actuel, Mahoudi Baghdadi et les ministres à portefeuille économique, ce "conseil" supervisera désormais les activités de la NOC, notamment la gestion, les décisions stratégiques, l'évaluation et révision des programmes, les investissements et contrats de concessions signés avec les sociétés étrangères.

"Une nouvelle structure, pour quoi faire ? Tout ça va retarder et bureaucratiser davantage le processus", s'exclame un opérateur français du secteur para-pétrolier, qui poursuit : "On a cru que la nomination de Shoukri Ghanem, un homme de réformes, à la tête de la société allait agir comme un accélérateur et voilà qu'il va avoir les mains liées !". Pas si sûr. Tandis que M. Ghanem essaie de rassurer (cf. interview), les experts du secteurs pétroliers ne semblent pas impressionnés. Lorsqu'un grand groupe d'Etat détient plus de 80% des revenus de la nation, l'existence d'un conseil de surveillance présidé par le Premier ministre n'a en soi rien d'anormal, selon eux. Le type de structure existe en Arabie saoudite et fonctionne.

Les choses ne devraient donc pas tellement changer, d'autant que la Libye a tout intérêt à rattraper le temps perdu. Shoukri Ghanem devra rendre des comptes devant un conseil de surveillance qui se tient désormais tous les 3 mois depuis octobre mais compte tenu de la personnalité et de sa maîtrise des questions pétrolières, sa capacité à réformer n'en sera pas nécessairement diminuée. Il a déjà réussi à refaire son équipe en remaniant son conseil de directeur. Le nouveau numéro deux, Farag Mohamed Saeed est un expert du dossier et ancien patron de la filiale Agoco, premier opérateur libyen.

Pour les opérateurs étrangers en JV avec NOC, l'enjeu est également le choix du dirigeant libyen imposé : au dessus du directeur étranger et du directeur venant de la NOC, préside systématiquement un autre cadre libyen, nommé par la NOC. "C'est un peu la loterie… car c'est l'homme clé, celui qui prend la décision au moment des votes. Quand il est de qualité, coopératif, ça va mais dans le cas contraire le quotidien peut devenir très difficile à gérer", selon un diplomate européen. Quelle sera l'influence du COGA en la matière ou dans le choix des partenaires étrangers ? Il est encore trop tôt pour juger.

En attendant, il reste quelque 220 permis à attribuer et les perspectives de croissances donnent le tournis. Selon le FMI, les recettes pétrolières ont représenté $ 29 milliards en 2005, contre 18,2 milliards en 2004, chiffre largement à la hausse pour 2006. Et si dans 6 mois M. Ghanem est toujours à son poste, c'est qu'il aura prouvé qu'il est le véritable patron.

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ENCADRE

Quatre questions à Shoukri Ghanem

Jeune Afrique : Une nouvelle autorité a été créée au dessus de la NOC : le Council of Oil & Gas. Ne va-t-elle pas compliquer votre action ?

Cela a été largement incompris. L'objectif est de nous assister, pas de constituer un nouvel obstacle pour la compagnie. Les décisions qui auparavant étaient prises au Conseil des ministres (ou comité du peuple), le seront par la nouvelle institution, pour aider le conseil des ministres souvent très occupé par d'autres sujets. De toutes façon le COGA sera essentiellement consultatif, chargé de prodiguer des conseils. Il n'est pas sensé assumer le rôle de la NOC. Il ne sera pas une instance exécutive. Il est sensé faciliter les choses, pas interférer dans le quotidien. C'est un groupe plus restreint que le conseil des ministres mais qui est présidé par le Premier ministre.

On parle depuis peu de nouveaux accords appelés DPSA…

Les DPSA concernent le développement. Dans le passé, certains puits ont abouti à des découvertes sans pouvoir être développés, soit parce que les cours étaient bas, ou qu'ils étaient trop loin du pipeline. Maintenant que les prix sont bons, que les oléoducs émergent, ces découvertes deviennent profitables, commercialisables. Il y a aussi des champs qui produisent mais dont le potentiel peut être amélioré. Nous voulons développer ces champs. Alors nous essayons de dessiner une politique nationale et nous demandons si nous devons faire cela nous-mêmes, avec notre argent, ou en ouvrant ce marché à des compagnies internationales qui peuvent apporter les fonds et la technologie. Le 3e round en cour est un round EPSA (exploration et production) et il y en aura un 4e. Mais les DPSA sont autre chose. Ils sont encore en cours d'étude car c'est plus compliqué à mettre en place.

Des privatisations vont avoir lieu, pouvez-vous le confirmer ?

Oui, nous privatisons la distribution du pétrole et du gaz via une grande compagnie appelée Brega (stations services) mais également une société de catering et une compagnie nationale de forage. C'est en cours de discussion mais ces privatisations sont réservées à des investisseurs libyens. Nous espérons que les choses seront plus concrètes avant la fin de l'année.

A long terme, la NOC ne devrait-elle pas devenir une simple compagnie, à côté d'un organe de régulation chargé de définir la politique pétrolière de la Libye ?

Evidemment, ce que nous aimerions dans l'avenir ce serait de faire de la NOC une compagnie comme les autres et installer un pouvoir de régulation entre les mains de l'Etat, chargé de jouer le rôle de régulateur.

Propos recueillis par Nathalie Gillet

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- Interview de Choukri Ghanem, Président de la National Oil Company (NOC)
Jeune Afrique, 26 novembre 2006

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- Banques : Une modernisation qui passe par le secteur privé (1480 mots)

Jeune Afrique, Hors série Banques, édition 2006

Ouverture sur l'extérieur, embellie financière et flambée du brut, le secteur bancaire se situe comme le reste de l'économie libyenne à un tournant de son histoire : les besoins en infrastructures sont énormes, le budget voté pour les satisfaire s'élève à $ 7 milliards, les perspectives pétrolières donnent le tournis aux majors pétrolières (toutes présentes sauf BP), et 20% à peine des Libyens sont bancarisés. La Libye est-elle par conséquent le nouvel eldorado de la banque ? Pas si sûr.

"Le système bancaire libyen se divise clairement en deux : d'un côté des banques publiques domestiques très archaïques et de l'autre, un pôle financier avant-coureur sur l'extérieur", analyse un banquier français, spécialiste du pays. Plus de 90% de l'activité se trouve aux mains du secteur public, notamment des 5 banques commerciales, qui toutes appartiennent… à la Banque centrale. A côté de cela agissent 6 banques spécialisées, parmi lesquelles l'offshore Libyan Arab Foreign Bank (LAFB, celle qui a réglé Lockerbie). "Ce noyau dur de 250 personnes de la finance internationale libyenne (à ne pas sous-estimer !), a été pendant longtemps, le muscle financier de la Libye", poursuit le banquier.

Avec un capital de $ 1,5 milliard, la LAFB ne traite pas d'opérations en dinars et sert à gérer les avoirs en devises des Libyens (tâche normalement dévolue à une banque centrale). Dépourvue de réseau domestique en Libye, elle possède aujourd'hui des participations dans 38 banques de 25 pays, notamment arabes et africains – également dans 2 banques françaises, la BIA et l'UBAF. Pour cause de panarabisme passé de mode, elle a récemment perdu son "A" (comme l'ensemble des institutions et entreprises publiques libyennes) et ne s'appelle plus que LFB.

Au total, les institutions financières libyennes détiendraient plus de $ 1 milliard de participations bancaires à l'étranger. Parallèlement, la Lafico, gigantesque fond d'investissement également dirigée par une équipe de professionnels, est elle aussi très présente à l'international dans l'immobilier (Espagne, Chypre, Londres, Grèce). Son portefeuille d'investissements couvre près de $ 4 milliards, estime un diplomate européen.

C'est cette présence à l'étranger qui différencie largement la Libye de l'Algérie, autre pays pétrolier, au système financier sous-développé. "Depuis que la Libye est redevenue respectable, les ambitions d'ailleurs s'accentuent, avec une volonté expansionniste visible", constate un banquier.

A côté de cela, les 5 banques publiques universelles font pâle figure : Jamahiriya Bank (ex-Barclay's, 1er établissement du pays avec 60 millions de dinars de capital et 65 agences), National Commercial Bank (NCB, 35 millions, 58 agences), Wahda Bank (36 millions et 68 agences), Umma Bank (23 millions de capital, une cinquantaine d'agences), et Sahara Bank (la plus ancienne, 21 millions, 36 agences). Bâties sur les cendres des banques étrangères nationalisées par le colonel Kadhafi dans les années 1970 (sans indemnisations), leur service se réduit à un système de caisse.

"Les réserves importantes ne sont pas réinjectées dans l'économie" regrette un diplomate. Le niveau des dépôts (12,8 milliards de dinars fin juin 2005) est en effet deux fois supérieur à celui des engagements (6,4 milliards). Obtenir un crédit n'est pas simple en Libye mais l'obligation de verser une garantie de 25% devrait être portée à 15%, assure la Banque centrale, qui a également promis de limiter à trois jours la durée des procédures pour les crédits commerciaux au profit du secteur privé. Le niveau de créances douteuses, enfin, est élevé, souligne le FMI qui a effectué plusieurs missions en Libye cette année.

Pas de quoi se précipiter pour l'acquisition de participations. Le début de privatisation de Sahara Bank en 2005 n'a ainsi permis à l'Etat que vendre que 15% du capital à des actionnaires libyens. Il faut dire que les conditions sont décourageantes. Outre le mauvais état des banques, un particulier ne peut détenir plus de 4% au maximum du capital d'une banque, et les personnes morales 5%. Devant ce premier fiasco, la privatisation partielle de Wahda Bank (seconde banque inscrite au menu) a été reportée sur les conseils du FMI, pour permettre à la banque centrale de prendre des mesures stratégiques : recapitalisation des banques (ce qu'elle a déjà fait avec 3 d'entre elles) et assainissement (7 milliards de dinars en 2005).

Autre problème, les directeurs de banques sont peu enclins à l'initiative car ils encourent des risques personnels très élevés en cas d'erreur, rappelle Michael Porter, économiste américain dans une étude de stratégie économique commandée par les autorités libyennes. "J'ai vu des directeurs de banques tétanisés quand le grand chef se mettait en colère…", confirme un banquier européen, qui précise : "il y a eu des valses de présidents qui ne sont réapparus en public que 2 ans plus tard… C'est cette peur, qui contrairement à l'Algérie, a finalement limité le niveau de corruption dans les banques libyennes", avoue ce professionnel, plus nuancé sur les autres secteurs économiques. "L'inconvénient c'est que les cadres libyens, habitués au stop & go, observent la libéralisation de loin en regardant combien de temps ça va durer. Conscients de leur permanente épée de Damoclès, ils se disent encore : c'est trop beau pour être vrai"…

Les choses, pourtant évoluent. A leur rythme. La loi bancaire n°1 du 12 janvier 2005 a renforcé l'autonomie de la Banque centrale, autorisé l'introduction de mécanismes de marché dans le système financier, ainsi que l'arrivée des banques étrangères et leur participation dans le capital des banques libyennes (minoritaire, évidemment…). Pour le moment, seuls des bureaux de représentation se sont ouverts : notamment le français Calyon, l'anglais HSBC, la maltaise Valetta Bank, une banque italienne, Tunis International Bank (à majorité libyenne), Arab International Bank, Suez Canal Bank (Egypte) et surtout ABC de Dubai.

"Les banques seront bientôt intégrées", pronostique un banquier européen à Tripoli, qui rappelle que le vice-gouverneur de la Banque centrale, fer de lance de l'informatisation, a été promu gouverneur cette année. Mais le système de compensation de virements et de chèques se fait attendre tandis que les cartes de retrait ont du mal à décoller. Les chèques ne sont pas sécurisés et comme en Algérie, le cash domine, même pour payer la facture de téléphone. Le processus sera long. En attendant, le nombre de distributeur de billets (une quinzaine dans Tripoli actuellement !) se renforce. Mais on part de très bas.

Le nouveau phénomène à observer en ce moment en Libye c'est l'émergence de banques privées libyennes. Ce sont elles qui boostent les moyens de paiement. Créées au bénéfice de la loi n°1, par des hommes d'affaires dont les entreprises (privées) allaient jusqu'ici banquer à l'extérieur (Londres, Suisse), elles sont aujourd'hui une dizaine.

Loin devant se trouve la Bank of Commerce & Development (BCD), qui a lancé sa carte à puces locale Kanzen et récupère de plus en plus de comptes de sociétés étrangères ou d'expatriés. Pionnière du privé, née en 1996, elle est détenue par… 2450 actionnaires et compte aujourd'hui 23 agences. "Plutôt bien gérée, dirigée par un ancien collaborateur de la banque centrale elle tente de s'aligner aux standards internationaux. C'est la seule, d'ailleurs, à publier régulièrement un rapport annuel sur son site internet", selon un banquier français. C'est aussi la seule à disposer d'un système de paiement reliant l'ensemble de ses agences et à avoir signé un partenariat avec le réseau Visa et avec Western Union (arrivé en début d'année).

Autre privée : Aman Bank, détenue par 156 hommes d'affaires et créée en 2004 au bénéfice de la loi n°1. Elle compte une dizaine d'agences et a conclu un partenariat avec le réseau MasterCard ainsi qu'avec MoneyGram, concurrent de Western Union.

"Je pense que les banques publiques libyennes ont peu de chances de s'en sortir", conclut un expert financier : "Les banques étrangères prendront ce qui les intéresse (financement de projets, accompagnement de la clientèle étrangère, wholesale) et le retail sera accaparé et boosté par les banques privées libyennes".

Avec un marché de moins de 6 millions d'habitants, les banques étrangères n'ont en tout cas aucun intérêt à développer une activité retail, comme en Algérie, au Maroc ou en Egypte. "Et pour faire des affaires, elles n'ont pas besoin de s'implanter; un bureau de représentation suffit", estime un banquier parisien. Calyon, qui a ouvert le sien en février, a signé en mars le premier montage financier international non pétrolier en Libye, pour l'acquisition par la compagnie maritime publique de 3 tankers. Le dossier fut monté en 4 mois, avec le soutien d'un dirigeant d'entreprise déterminé et doté des appuis nécessaires à une prise d'initiatives par principe toujours risquée en Libye. Pour certains, c'est le signe que la Libye accepte désormais l'idée de s'endetter pour se développer.

Quant au lancement en cours d'une bourse, une rumeur annonce que le secteur des telecoms pourrait inscrire la première valeur. "Il s'agit d'un geste politique de semblant d'ouverture libérale" commente un expert financier rompu aux retournements de situations. A observer avec patience, donc, comme le reste du secteur financier.
Nathalie Gillet

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Alcatel marque de nouveaux points en Libye

Jeune Afrique, fin octobre 2006

L'équipementier français Alcatel vient de remporter un beau contrat en Libye, après plusieurs années de suspens. C'est à lui, en partenariat avec l'italien Sirti, qu'incombera en effet la tâche d'installer 7 000 km de fibres optiques sur l'ensemble du territoire, désert et montagnes compris. Le marché a été conclu le 18 octobre avec la compagnie libyenne des télécommunications, la General Post and Telecommunication Company (GPTC), pour un montant de 161 millions d'euros : 98 millions pour Alcatel, qui posera 4 000 km, et 62 millions pour Sirti, 3 000 km. Durée des travaux : 2 ans. C'est un réseau NGBN (New Generation Basic Network), qu'il s'agira d'installer pour fournir une nouvelle génération de services de télécommunications (informations audio, imagerie, etc.). Le projet sera entièrement autofinancé, indépendamment des recettes pétrolières, assure le PDG de la compagnie publique, Mohammed Kadhafi, également fils aîné du colonel.

C'est le deuxième contrat que remporte Alcatel en une semaine, après celui du 12 octobre pour l'installation de l'internet à haut débit (ADSL) sur 200 000 lignes de téléphonie fixe ($ 4 petits millions). Le projet couvrira 28 villes libyennes et devrait démarrer en janvier prochain pour une durée de 6 mois. Implanté en Libye depuis des dizaines d'années, le français avait déjà connu d'autres succès : installation d'un câble sous-marin de fibres optiques sur l'ensemble de la côte libyenne (achevé en avril 2004, pour 140 millions d'euros,), mise en place d'un réseau de communication pour l'italien Agip-Gas (58 millions d'euros, signé en 2002), et surtout en septembre 2004, fourniture de réseau mobile à 2,5 millions d'abonnés, dont 250 000 avec la technologie UMTS ($ 120 millions).

Après des années d'embargo, le marché de la téléphonie et de l'internet est en train d'exploser en Libye mais c'est avec une concurrence chinoise féroce (ZTE et Huawei) que les majors européennes installées (Ericsson, Alcatel, Nokia et Siemens) doivent désormais compter depuis 3 ans.




EADS place une vingtaine d'avions en Libye (982 mots)
Marchés tropicaux et méditerranéens, Paris, 4 août 2006

Le groupe aéronautique EADS a mis un pied décisif en Libye avec la vente d'une vingtaine d'Airbus à la compagnie Afriqiyah Airways et un accord de partenariat pour la création d'un centre régional de maintenance et de formation. Le marché libyen attire de plus en plus les convoitises.

L'équipe d'EADS à Tripoli a le sourire. Le groupe aéronautique européen vient en effet de signer son premier contrat de vente d'avions en Libye, ainsi qu'un accord de maintenance et de formation. Depuis la fin de l'embargo aérien, les compagnies nationales libyennes renouvellent leur flotte vieillissante et c'est Airbus, filiale d'EADS à 80%, qui a remporté le 18 juillet le marché de la dynamique Afriqiyah Airways (publique). Pas moins de 12 appareils ont ainsi fait l'objet de commandes fermes : six A320 (150 passagers, répartis sur deux classes), trois A319 (124 passagers) et A330-200 pour de plus longues distances (253 sièges répartis en trois classes).

La compagnie libyenne a également ouvert une option d'achat sur 8 autres appareils (cinq A320 et trois A330) : "En clair, nous avons choisi 8 avions, arrêté un tarif garanti et je passerai commande dès que je le jugerai pertinent" a expliqué à Marchés tropicaux le Capitaine Abdallah Sabri, PDG d'Afriqiyah. Une facilité qui permet, plusieurs années après, de ne pas avoir à renégocier les prix… ou de ne pas passer commande. Le montant de la transaction s'élèverait au total à $ 1,7 milliard. Selon le capitaine Sabri, les premières livraisons devraient intervenir en 2007, avec deux A320, suivis de six appareils en 2008, puis du reste de la flotte en 2009.

C'est la deuxième commande d'avions depuis la fin de l'embargo, après celle de la petite compagnie privée Buraq Air, qui pour 366 millions $ avait ouvert le bal en février 2005, en achetant à Boeing 6 biréacteurs moyen-courriers 737-800 (dont 3 en option). Mais c'est la première commande de cette importance depuis 1978. "Le deal était en discussion depuis plusieurs années, depuis même la création d'Afriqiyah", explique un cadre d'EADS. "Boeing étant également sur les rangs, la compétition a été très très rude". Selon le patron d'Afriqiya, c'est le tarif et les délais de livraisons qui auraient été déterminants : "Et nous travaillons avec des Airbus depuis 5 ans", ajoute-t-il, en référence aux 4 Airbus opérés en leasing qui jusqu'ici assurait l'ensemble des liaisons.

Née en décembre 2001, cette seconde compagnie publique libyenne, à côté de l'historique Libyan Arab Airlines (LAA), nourrit des ambitions grandissantes. Et pour cause : en 5 ans à peine, elle est devenue l'une des principales compagnies aériennes du continent africain, occupant avec Air Sénégal International la place laissée vacante par la défunte Air Afrique. Son réseau couvre déjà toute l’Afrique de l’Ouest et une partie de l’Afrique centrale. "Nous desservons aujourd'hui 23 destinations dont 6 en Europe et nous espérons atteindre 45 destinations d'ici à 2009", annonce fièrement le Capitaine Sabri. Les nouvelles commandes serviront à renforcer le réseau africain "mais aussi à ouvrir des lignes longues distances en Chine, à Dubaï, en Inde et en Afrique du Sud (Johannesbourg). Les toutes prochaines destinations seront Libreville, Kinshasa, Brazzaville pour l'Afrique subsaharienne", poursuit le patron d'Afriqiyah.

Depuis cette année, la compagnie dessert également Amsterdam (2 vols par semaine), Rome (4 vols), Djeddah en Arabie saoudite(3 vols), Douala (2 vols), Banghi (un vol par semaine). Alors qu'elle avait jusqu'ici négligé l'Afrique du Nord, une ligne Tripoli-Le Caire a été inaugurée en juin dernier avec 2 vols par semaine, suivie prochainement par Alexandrie, puis la Tunisie. Autre prévision à court terme sur l'Europe : l'Allemagne.

"Mais Afriqiyah n'est pas représentative de l'ensemble du marché libyen", nuance Brian Walker, chargé de communication chez Boeing. Le concurrent d'Airbus est actuellement en intense discussion avec Libyan Arab Airlines pour le renouvellement de sa flotte, avec un potentiel estimé à une vingtaine d'avions. "Notre gouvernement nous a longtemps interdit de faire des affaires avec la Libye ne serait-ce que discuter la vente d'appareils". Ce n'est qu'à la mi-juillet que les autorités américaines ont en effet donné leur bénédiction officielle pour l'exportation d'avions américains en Libye.

Boeing détient aujourd'hui près de 76% de la flotte africaine mais l'essentiel de ces appareils vieillissants doit être remplacé, faisant l'objet d'une concurrence féroce. "Nous avons récemment vendu des 737 en Egypte, en Tunisie, en Algérie et le Maroc vient de commander 6 avions 737. Nous comptons bien garder notre position dominante en Afrique", assure M. Walker.

Parallèlement à la vente d'Airbus, EADS a signé un protocole d'accord avec le fond libyen Libya Africa Portefolio (LAP), pour la création en joint venture d'un centre aéronautique régional à Tripoli. "Nous allons ainsi créer un centre de formation de pilotes, de mécaniciens et de nombreux techniciens libyens et africains ainsi qu'un centre de maintenance. L'idée est d'attirer à Tripoli des Africains d'un peu partout ainsi que du matériel à maintenir", explique-t-on à EADS. Le capital de départ reste encore confidentiel "car il faut d'abord évaluer les besoin et la taille nécessaire". Dotée d'un capital de $ 5 milliards, la LAP détient la totalité d'Afriqiyah Airways, ainsi que plusieurs sociétés en Afrique, avec pour mission d'investir dans le développement en Afrique.

Le groupe EADS (34,2 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2005) nourrit de son côté quelques ambitions en Libye, comme le suggère l'ouverture en juin 2005 d'un bureau de représentation à Tripoli, son seul bureau en Afrique, en dehors de Johannesbourg (Afrique du Sud). Longtemps isolé du monde, le petit pays pétrolier a en effet les moyens financiers de satisfaire ses nouveaux et nombreux besoins. Or, à côté d'Airbus, EADS détient Eurocopter, le premier fournisseur d'hélicopters, la joint venture MBDA (systèmes de missiles), est un partenaire stratégique du consortium Eurofighter, fabrique les avions de transport militaires A400M et constitue le premier partenaire industriel du système de navigation satellite européen, Galileo. Autant d'opportunités d'affaires à surveiller de près.
Nathalie Gillet

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- Enquête : Libye, la ruée vers l'or noir(2430 mots),

La Tribune, Paris, 23 mai 2006, pp 30-31

La Libye quitte la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme, le Département d'Etat l'a annoncé le 15 mai. Occupant depuis juin 2004 plusieurs étages de l'hôtel du Corinthia (5 étoiles) le bureau de liaison américain va donc se transformer en ambassade. Il était déjà bien étoffé, avec deux agents de la CIA, un attaché de défense, des services économiques. Après ce tournant, Tripoli compte bien tourner la page de son isolement international. S'il n'était le triste dossier des infirmières bulgares et du médecin palestinien, toujours incarcérés dans l'attente d'un nouveau procès qui se tiendra le 13 juin, le tableau de la réinsertion libyenne dans le concert des nations serait presque parfait.

Car à l'heure où le baril de pétrole flirte avec les $ 70, la conjoncture est favorable au régime du Colonel Kadhafi, qui en 2003 a initié un début d'ouverture économique sous l'ancien gouvernement de Choukri Ghanem. La Libye se situe en effet au 3e rang des producteurs africains d'hydrocarbures, avec des réserves estimées à 40 milliards de barils. Longtemps sous-exploitée et sous explorée, le pays se trouve dans une situation unique au monde, avec une ambition : faire passer le niveau de production de 1,65 million bj actuellement à 3 millions bj d'ici à 2010. La Compagnie nationale de pétrole (NOC), dont le président n'est autre que l'économiste Choukri Ghanem déchu de son poste de Premier ministre en mars dernier, prévoit donc 5 à 6 appels d'offres internationaux dans les prochaines années, pour l'attribution de 260 autres blocs d'exploration.

Mais sur place c'est déjà la bousculade… Les deux premiers round de janvier et octobre 2005 ont amené une vingtaine d'opérateurs supplémentaires, tous pressés de réaliser leurs travaux dans les temps, avec des permis de recherche qui ne courent que sur 5 ans (renouvelables sous certaines conditions). "La tension est énorme sur le marché des services : tout le monde veut faire de la sismique et du forage au même moment et il est difficile de trouver des équipes", explique Alain Riss, le directeur général de Total en Libye. Les revenantes américaines du consortium Oasis (Amerada Hess, ConocoPhillips, and Marathon) restent sereines : si elles ont cher payé leur ticket de retour ($ 1,8 milliard), sur les champs déjà en production qu'elles avaient dû quitter en 1986, elles ont largement gagné sur la durée de la concession (25 ans). C'est sur elles que va d'abord miser le secteur parapétrolier car il faut "attendre un an ou deux avant de tirer parti des nouveaux permis, une fois dépassé le stade de la sismique", selon Jean Jacques Royant du Groupement des entreprises pétrolières.

La Libye a également un avenir gazier et des réserves importantes. Western Libyan Gas project va permettre d'exporter de 8 milliards de m3 de gaz naturel vers l'Italie en 2006 et Shell devrait se voir attribuer la modernisation du complexe GNL de Mars El Brega. Autre projet en aval, la remise à niveau et l'extension de la vieille raffinerie de Zawiya. Le français Technip est sur les rangs avec une vingtaine d'autres attendant le résultat de la très prochaine pré-qualification.

Forte de recettes pétrolières record ($ 30 milliards en 2005), la Libye a donc les moyens de développer ses infrastructures. Les indicateurs macroéconomiques sont bons : croissance estimée à 3,5% pour 2005, dette extérieure inférieure à 4 milliards, balance des paiements structurellement excédentaire. Le gouvernement a prévu un budget de 11 milliards de dinars cette année, pour la construction de logements, de routes, pour le secteur électrique, de l'environnement, de l'eau.

Est-ce pour autant le nouvel eldorado des investisseurs et exportateurs étrangers ? Pas si sûr. "La libéralisation de la Libye c'est un peu comme le verre à moitié vide ou à moitié plein", explique un diplomate. La transition vers une logique de marché est douloureuse, les résistances sont dures pour préserver les circuits de rente actuels. Les mesures de libéralisation concernent donc essentiellement les importations. Licences et monopoles publics ont disparu, les banques ouvrent des lettres de crédit au secteur privé et les tarifs douaniers ont tellement été baissé que la zone franche de Misurata perd de plus en plus d'intérêt.

"Compte tenu des perspectives, on ne peut pas ne pas s'y intéresser", explique un industriel de l'électricité. Les Libyens, qui depuis un an peuvent emprunter à taux extrêmement bas pour construire un logement ne s'en privent pas et depuis le Corinthia en 2004, de plus petits hôtels privés ont émergé à Tripoli, au grand soulagement de la communauté d'affaires. "Les chambres des 3 hôtels d'Etat sont réquisitionnées au moindre événement international, j'ai déjà retrouvé mes bagages dans le hall d'entrées", rapporte un chef d'entreprise. Tout ceci crée des besoins en climatisation et une raison supplémentaire de renforcer le réseau électrique. Un appel d'offre lancé en avril 2005 pour la construction de 10 postes de 400 KV doit donc se conclure prochainement : Areva, Va Tech, ABB et le coréen Hyundai retiennent leur souffle, tandis que Nexans continue de tirer ses 190 km de cables très haute tension à travers Tripoli et Benghazi. Le pays encore inégalement équipé en téléphonie mobile dans le Sud étend également son réseau. Un appel d'offre pour la réalisation de 7000 km de fibres optique a été lancé l'an dernier.

Le tourisme, secteur porteur par excellence en Libye, n'a cependant pas doté ses magnifiques sites archéologiques et 1 400 km de côte d'infrastructures hôtelières. En outre, l'alcool étant strictement interdit, l'amateur de vin doit se préparer au sevrage durant toute la durée de son séjour, à moins d'être invité chez l'un des diplomates en place, seuls autorisés à acquérir un quota – "contrairement aux directeurs de grandes entreprises", regrette l'un d'eux. Les restaurants du compound de Regatta (réservé aux étrangers) servent certes le vin dans des carafes masquées mais les grands groupes comme Accord n'ont pas encore le goût de ce jeu de cache cache.

Enfin, le magnifique projet de Grande rivière artificielle a permis de valoriser des terres et d'augmenter considérablement les surfaces agricoles. Conçu pour tenir… 50 ans, ce gouffre financier (il faut le dire) puise dans des nappes d'eau fossiles du sud et devra à terme être relayé par les nouveaux projets d'unités dessalement (une quinzaine actuellement) prévus.

Mais travailler avec la Libye est difficile. L'économie reste encore largement centralisée, dépendante de ses hydrocarbures (95%des exportations), peu industrialisée, avec un secteur public qui représente plus de 70% du PIB. En raison d'organigrammes multiples et parallèles, la prise de décision est le problème numéro un du pays, qui explique la lenteur des appels d'offres. Le processus de privatisation lancé en 2004 est point mort, le secteur bancaire reste archaïque et l'instabilité législative ne permet pas vraiment d'investir tranquille. "C'est une lutte entre les libéraux et la vieille garde, explique un entrepreneur. A chaque fois qu'une loi libérale est votée, un décret la bloque".

Exemple : la Loi n° 5 sur les investissements. "Quand je suis arrivé en avril 2004, je voulais investir" explique un industriel."Mais en juillet un décret d'application a fixé un plancher de 3 millions de dinars, en août à 50 millions de dinars et en novembre on est passé à 50 millions de $"!! Le chiffre vient de baisser à 5 millions en avril dernier.

Les ouvertures ont cependant permis aux Libyens de faire évoluer leur quotidien. Les magasins d'Etat ont cédé un peu partout la place aux boutiques chiques, proposant vêtements de marque, appareils électroménagers, électronique dernier cri, ameublement de qualité. Ouverts jusqu'à minuit, ils sont aussi l'occasion pour beaucoup de Libyens d'une sortie en famille ou entre amis, dans un pays qui offre peu de distractions en dehors des fêtes religieuses, familiales et du football. On trouve de tout aujourd'hui en Libye, surtout dans les grandes villes. De nouveaux cafés et restaurants ouvrent dans la vieille ville de Tripoli, sur la place verte, dans le quartier de Ben Achour et de Gargaresch.

La nouvelle soif de consommation se traduit par l'achat de véhicules neufs d'origine coréenne (longtemps subventionnés par l'Etat), les voyages à l'étranger et par… la parabole, désormais autorisée. Le temps où l'on devait la dissimuler dans de fausse réserves d'eau est révolu. Même les habitants des petites bourgades du sud y ont accès, le prix est passé de 5000 dinars à moins de 200 dinars aujourd'hui. Ajouté aux cafés internet et à l'ADSL à domicile depuis quelques mois, les Libyens ont aujourd'hui les moyens de mieux situer leur pays dans le reste monde.

Cela n'est pas sans conséquences. "Regardez où en est Dubaï aujourd'hui : c'était un pays désertique comme nous dans les années 1970 et regardez où nous en sommes", interpelle Fatima, 35 ans, à Tripoli. "Nous sommes dans la capitale d'un pays riche mais regardez l'état des routes à Tripoli !!", proteste un chauffeur de taxi. Des impatiences se font sentir et même si l'heure n'est pas encore à la critique ouverte (car la délation reste bien organisée), la question de "où va l'argent du pétrole" est récurrente.

Les produits de base tels que le pain, le sucre ou l'huile sont certes toujours subventionnés. L'eau et l'électricité sont quasiment gratuits, mais l'on commence à voir émerger des compteurs électriques, l'école et les soins également mais les Libyens qui le peuvent se tournent vers le secteur privé émergeant.

Enfin, les salaires de la fonction publique n'ont pas bougé d'un pouce depuis 25 ans. Résultat, chacun se "débrouille". Les fonctionnaires ouvrent des boutiques tenues dans la journée par des employés maghrébins ou africains ou par des membres de la famille. D'autres choisissent de conduire un taxi passé 15h. "Les chefs de service dans les hôpitaux ont tous leur clinique privée l'après-midi", rapporte un familier du secteur. "Certains donnent également des cours à la fac et font de l'importation de médicaments."

"Le cours des réformes va se poursuivre" promet de son côté le nouveau gouvernement de Mahmoud Baghdadi. C'est sans doute vrai. Mais il n'est pas linéaire comme montre le remplacement en septembre dernier des récents panneaux publicitaires par des affiches à la gloire de la "Révolution". L'ouverture ne concerne en aucun cas la sphère politique. Et si l'étude du livre vert n'est plus obligatoire, ses théories ont toujours cours… officiellement.

ENCADRE  :Pétrole : des pressions sur le marché de l'emploi

Fin avril à Tripoli, au services Finances de CPTL, la joint venture de Total en Libye : Omar organise son pot de départ, après celui en mars dernier d'un collègue. Son poste ne lui déplaisait pas mais il vient de décrocher un contrat alléchant chez… l'américaine Occidental, principale bénéficiaire du premier round de permis d'exploration. Ses amis le félicitent et certains envisagent à leur tour de faire jouer la providentielle concurrence pour renégocier leurs contrats à la hausse.

Total est loin d'être la seule touchée par le phénomène. "On ressent une énorme tension sur le marché de l'emploi", confirme Alain Riss, directeur général de Total en Libye, qui regrette que "l'encadrement des salaires prévu par la loi n°15 ne s'applique pas aux entreprises étrangères". L'arrivée de l'Australien Woodside en 2004, plus généreuse, avait déjà poussé une première fois les salaires à la hausse dans le secteur, comme pour Rabia, secrétaire comptable parlant couramment l'anglais et qui a négocié une augmentation de 30%. Elle gagne aujourd'hui 1400 dinars par mois (environ 850 euros), contre 180 dinars en moyenne dans la fonction publique.

La concurrence des pétroliers se répercute sur les structures des autres secteurs qui n'ont pas les moyens d'offrir les mêmes conditions. Les entreprises étrangères, obligées par la loi d'employer 20% de personnel libyen s'arrachent les quelques cadres bien formés disponibles, alors que sur 600 000 actifs sur 900 000 sont employés par l'Etat !

Ce problème des ressources humaines et de formation est emblématique de ce pays longtemps isolé du monde. Certaines universités signent de nouveaux signer des programmes d'échange et les étudiants se remettent à voyager. Mais de 1984 jusqu'à très récemment, l'enseignement des langues étrangères avait disparu des programmes dans le secondaire. De nombreuses villes de petite taille possèdent leur établissement supérieur en Libye mais le niveau général s'est nettement affaibli ces dernières années. Et ce n'est pas l'obligation faite aux entreprises étrangères de former 20% du personnel libyen qui va changer la donne.

ENCADRE : Présence française

Avec 300 millions d'euros d'exportations (environ 5% de parts de marché), la France est le 5e fournisseur de la Libye, loin derrière l'Italie (près de 20%), puis l'Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni. Ces exportations ont augmenté de 34% en 2005 par rapport à 2004 et de 107% au 1er trimestre 2006, dans un pays qui importe de plus en plus ($ 11 milliards en 2005 contre 8,8 milliards). Elles sont liées essentiellement aux grands contrats mais également à l'agroalimentaire : la Libye (20% des importations mondiales de farine) représente près de 50% des exportations du groupe Souflet. La facture pétrolière a cependant été plus lourde en 2005 (1588 millions d'euros d'importations, contre 1044 millions), creusant le solde négatif.

En première position dans l'électricité (Areva, Schneider Electric, Nexans, Alstom), bien placées dans les telecoms (Alcatel termine l'équipement GSM de l'est libyen), le dessalement de l'eau (Sidem a réalisé la majorité des 15 unités) et du BTP (Vinci et la Grande Rivière artificielle), les entreprises françaises doivent aujourd'hui compter avec une féroce concurrence asiatique et désormais… américaine.

Une banque française, Calyon, a signé en mars le premier montage financier international non pétrolier en Libye, pour l'acquisition par la compagnie maritime publique de 3 tankers. Elle est la 1ère banque d'affaires a avoir ouvert un bureau de représentation (en février). Dans le parapétrolier – qui aimerait bien voir jouer chez Total la fibre patriotique - il y a notamment Schlumberger, CGG, Entrepose, Ponticelli, Sofregaz, Geoservices, Forasol, TDS, qui s’est implantée sous forme de société locale et Technip.

Le marché libyen de l'aéronautique a justifié pour EADS l'ouverture d'un bureau en juillet 2005, son second en Afrique (avec celui de l'Afrique du Sud). Avec la fin de l'embargo et la restructuration de Libyan Arab Airlines, le groupe espère profiter du potentiel national d'une vingtaine d'avions et de plusieurs hélicoptères. Discrétion absolue en revanche sur le marché de la défense. Autre signe d'un changement de conjoncture, le Commissariat à l'énergie atomique français a signé en mars dernier un protocole d'accord pour la formation en matière de cancéro-thérapie et de dessalement d'eau de mer. La France sera-t-elle mieux placée, le jour la Libye se sera lassée de son vieux réacteur d'origine russe ?
NG

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La Libye vit son heure de boom pétrolier et de grands chantiers
Le Moci, 25 mai 2006

S'il y a une entreprise qui contrarie les habitants de Tripoli et de Benghazi depuis plusieurs mois c'est bien Nexans, leader français de l'industrie du câble. Son contrat remporté en Libye en 2004 pour l'installation de 190 km de câbles souterrains de transport d'énergie très haute tension a mis en chantier l'ensemble des routes principales. Réalisé à 70%, le projet devrait s'achever fin 2006 et c'est tant mieux, car les travaux obligent les conducteurs à de nombreuses détours ou, pour les plus téméraires, à quelques acrobaties du côté du marché aux poisson en direction du port, par exemple. L'entrée de l'avenue de Gargaresch étant également bloquée, il faut désormais passer par de multiples ruelles accidentées pour accéder aux magasins chics.

A l'heure où elle entame sa réinsertion dans l'économie mondiale et engrange des recettes pétrolières records, la Libye poursuit une politique de grands projets même si le grand décollage se fait encore attendre. Le secteur de l'électricité, l'un des plus dynamiques avec le pétrole, les télécoms, l'eau et le BTP, fait ainsi partie des priorités du moment. Depuis environ un an, les Libyens profitent de crédit très attrayants pour construire. Ajouté à l'arrivée d'une vingtaine de nouveaux opérateurs dans le secteur pétrolier, la construction d'hôtels privés et de nouvelles échoppes, l'équipement généralisé en climatisation justifie largement l'équipement du réseau en 400 KV. Avec la société suisse ABB, Va Tech et désormais… le coréen Hyundai, le français Areva T&D, qui achève la réalisation de 4 postes de 400KV, retient son souffle en attendant le résultat prochain d'un appel d'offre pour la réalisation de 10 postes de 400KV.

L'extension du réseau téléphonique, le megaprojet de Grande rivière artificielle et la réalisation d'usines de dessalement et les besoins en maintenance, sont autant de promesses de contrats dans ce pays où tout est à faire et à refaire. Les deux rounds de permis d'exploration en 2005 vont dynamiser le secteur du parapétrolier et en amont, deux projets devraient se conclure en fin d'année : rénovation de la raffinerie de Azzawiya et la réhabilitation des unités de GNL de Mars El Brega (appel d'offre en prévu en juin).

Mais le pays reste difficile d'approche, avec une législation instable. "Entre la sortie d'un appel d'offre et la signature il se passe au moins un an. Puis une autre année avant son entrée en vigueur", explique un industriel : "C'est beaucoup, il faut vraiment y croire car on mise gros; il faut mettre en place des garanties bancaires qui coûtent beaucoup d'argent".

Les changements législatifs ont parfois aussi du bon cependant puisque la loi n°5 sur l'investissement, vient de subir un nouveau lifting. Le plancher d'investissement fixé depuis deux ans à $ 50 millions est ainsi repassé à un raisonnable $ 5 millions, ce qui devrait permettre au moins d'envisager la question.

Les visas d'affaires restent en outre difficiles à obtenir. Sans parler des visas de… "sortie" pour les résidents permanents. "Il y a des dizaines d'enregistrements à renouveler sans cesse, explique un cadre français. "Nous pouvons faire sortir une vingtaine de personnes "librement" mais lorsque la Form B expirera (sorte de K-Bis), les autorisations seront bloquées jusqu'au renouvellement; on se sent pris en otages…" Il y a également les contraintes de formation et enfin, l'impossibilité pour des étrangers d'être propriétaires d'immobilier ou de terrain. Dans les sociétés mixtes, c'est le partenaire local qui signe les actes de propriété. "En bref, on se méfie encore beaucoup de la société étrangère ici", conclut un autre industriel français en place.

ENCADRE : Foire internationale de Tripoli

Plus de 2000 sociétés originaires de 38 pays ont exposé à la Foire internationale de Tripoli, qui s'est tenue cette année du 2 au 12 avril. L'intérêt des compagnies étrangères pour ce pays qui s'ouvre n'a donc pas flanché. Signe d'une évolution de conjoncture, le salon a accueilli pour la première fois un pavillon américain.

"L'organisation a été plus facile cette année, constate un professionnel européen de la logistique, "car les hôtels privés émergent à Tripoli, sans parler du Corinthia, plus cher mais qui arrange les hommes d'affaires soucieux de discrétion". Voilà qui aura donc arrangé les exposants puisque en raison d'un événement africain, les 3 hôtels d'Etat de la capitale étaient réquisitionnés par le gouvernement… Se rendre en Libye est également plus aisé sur le plan des transports. Reste l'éternel problème des visas. Cette année, ce sont les candidats d'origine libanaise qui se sont vus refoulés.

Le pavillon français a accueilli pour sa part 130 exposants, dont 35 entreprises spécialisées dans l'agro-alimentaire et l'irrigation, regroupées pour la seconde année sous la bannière Agrolibya. Le chiffre était inférieur à l'année dernière (150 exposants) car "de nombreuses grandes enseignes comme Vinci, Areva ou Total, ont été absentes cette année", explique Christian Valery, directeur du Bureau des opérations internationales, traditionnel organisateur de ce pavillon. "Il y a eu un grand boom l'année dernière dans le sillage de la venue du ministre du Commerce extérieur, François Loos à l'époque, mais cette année nous étions dans une période creuse ", poursuit-il.

Trop longue, trop grand public, les critiques côté exposants sont les mêmes depuis des années. Mais les salons professionnels ne sont malheureusement pas légion en Libye et pour beaucoup de PME en phase de prospection, celui-ci constitue une première approche du marché. Nécessaire mais pas suffisante, évidemment.

ENCADRE :Concurrence américaine en perspective

Le marché Libyen est restreint (5,8 millions d'habitants) et difficile d'approche mais s'il est un temps pour prospecter c'est maintenant car la concurrence s'est nettement accrue. Asiatique, bien sûr, mais pas seulement. Les entreprises américaines démontrent elles aussi "une agressivité des prix à la coréenne avec un lobbying sans relâche", explique un entrepreneur du secteur automobile. "Contrairement à ce que l'on pense, le secteur pétrolier n'est pas le seul qui les intéresse : il y a les pneus avec Goodyear, les véhicules avec Chevrolet, le dessalement, l'électricité". Microsoft aurait également ouvert un bureau à Tripoli il y a deux mois.

Par ailleurs, le bureau de liaison américain, qui occupait déjà 3 étages de l'hôtel Corinthia, devrait très rapidement se transformer en ambassade, depuis l'annonce le 15 mai par Washington de la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays et du retrait de la Libye de la liste des pays soutenant le terrorisme. Enfin, si le pavillon américain de la Foire internationale de Tripoli comptait peu d'entreprises, c'est parce que celles-ci devraient participer en force en fin d'année à un salon professionnel américain spécialisé pétrole et infrastructures, et bénéficie du soutien actif de la Fondation Al-Wattasimo… dirigée par Aïcha Kadhafi.

ENCADRE : Exporter : les pièges à éviter
Pour qui n'a pas une approche grands projets et souhaite exporter, la libéralisation des importations lui est favorable mais attention, pour nombre de produits il est obligatoire de signer un contrat de représentation avec un agent libyen. "Il faut être extrêmement vigilant et prendre tout son temps pour choisir ce partenaire exclusif car il est très difficile par la suite de s'en séparer", avertit le directeur d'une PME. La Libye c'est le pays des intermédiaires qui prétendent connaître le fils ou le cousin de qui-vous-savez. "Les Français sont aussi toujours éblouis de revenir du pays avec un très grand nombre de cartes de visites importantes mais les PDG ne sont pas toujours les personnes qui ont le plus de pouvoir dans l'entreprise", poursuit-il.

"L'émergence du secteur privé et la libéralisation des importations en Libye oblige aujourd'hui à avoir une approche différente du marché. " insiste pour sa part Christian Valéry de BOI. "Alors qu'il y a quelques années, personne ne montrait sa fortune, la génération des 35-40 ans issue de la nomenclatura met aujourd'hui en place de nouveaux réseaux. Il faut donc se faire connaître pour sélectionner le bon agent."

Le marché est encore peu structuré mais les opportunités existent pourtant pour qui sait les saisir. "Cela fait à peine deux ans que je travaille avec la Libye. Il faut être présent constamment", explique Johan Degardin de la société Erca-Formseal, au salon Agrolibya. La population libyenne est grande consommatrice de produits laitiers. "En janvier 2006, nous avons installé la première machine de production de yaourt et venons d'en vendre une deuxième au privé Al Naseem. Elle tourne 22h sur 24 depuis janvier et les yaourts de notre client connaissent un franc succès parce qu'ils sont produits localement. Les Libyens ont une fierté à consommer libyen".
Nathalie Gillet, envoyée spéciale

ITV de Mohamed Siala, Secrétaire d’Etat aux Relations extérieures et à la coopération internationale

Jeune Afrique (version complète de l'interview), décembre 2007

Mohammed Siala, ministre délégué aux Affaires étrangères en Libye, chargé des Relations extérieures et de la Coopération internationale, est un homme clé de la politique économique libyenne à l’étranger. Economiste de formation, discret, apprécié des milieux d’affaires occidentaux, il a occupé différents postes stratégiques et fondé notamment la Lafico. Connaissant par cœur les dossiers, il est de toutes les missions économiques à l’étranger et fut le seul membre du gouvernement, avec MM. Chalgam et Ali Triki, à avoir accompagné le colonel Kadhafi à Paris. C’est lui notamment qui répondait pour le « Guide » aux questions des patrons français, lui encore qui signait plusieurs accords de coopération.

Jeune Afrique : Concernant les contrats nucléaires, quelle est la différence entre celui signé maintenant et celui signé en juillet.
Mohammed Siala : Le précédent était un accord de principe, un mémorandum d’accord (MOU). Le texte actuel est plus détaillé. Ce que nous avons signé maintenant c’est que la France est disposée à construire un réacteur nucléaire destiné à la génération d’électricité. Bien sûr cet accord doit être présenté par la France à l’Euratom pour approbation. Après, nous arriverons à une 3e phase qui sera la signature d’un contrat avec Areva pour l’achat d’un réacteur.

Il s’agit donc là d’une deuxième étape avant une 3e qui serait l’étape commerciale ?
Oui. Ce que nous achèterons sera la nouvelle génération de réacteurs.

Y a-t-il également un accord d’exploration du sous-sol libyen à la recherche de gisements d’uranium ?
Non. Mais si notre coopération se développe, nous serions prêts à le faire, bien sûr. Nous nous mettrions à rechercher tous les minerais du pays.

Quelles sont les priorités de la politique économique en Libye pour les prochaines années ?
Nous examinons un plan sur 4 ans pour 2008-2011. Notre priorité numéro un est de réhabiliter les infrastructures que nous avons construites après la révolution, parce qu’elles se sont détériorées durant les sanctions. Nous allons y ajouter de nombreuses routes, notamment une autoroute Est-Ouest allant de la frontière égyptienne à la frontière tunisienne ; nous augmentons actuellement notre capacité de génération d’électricité et faisons passer notre réseau de 220 à 400 KW ; nous construisons un nouveau port à Sirte, avec un tirant d’eau de 21 mètres. Ce port pourra donc accueillir de gros navires d’un quart de million de tonnes qui transporteront des céréales d’Amérique latine peut-être, d’Europe. Nous voulons faire de la Libye un hub vers l’Afrique, pour relier ce continent à l’Europe et à l’Amérique latine. Nous allons étendre également le port de Gas Rahmad à Misurata et celui de Ras Lanuf. Ces trois ports situés au milieu du pays seront utilisés pour le commerce avec l’Afrique.
Nous allons également construire des routes qui seront connectées aux réseaux africains. Il y a déjà une route qui relie al-Qatrun (au sud de Sebha) à Toum sur la frontière nigérienne et nous prévoyons d’en construire une autre de 1500km vers Agadez reliée elle aussi au réseau africain.
Nous allons construire un nouvel aéroport à Tripoli d’une capacité de 20 millions de passagers et de transport cargo. Ce sera le principal aéroport de cargo vers l’Afrique. Nous allons construire une nouvelle aérogare à l’aéroport de Benghazi, ainsi qu’à Ghadamès et à Sebha. Nous avons également acheté 37 Airbus et acquerrons peut-être aussi des Boeings dans l’avenir car nos flottes se sont détériorées durant l’embargo.
En bref, nous nous concentrons sur les aéroports, les ports, les routes, les transports, mais nous mettons également la priorité sur le réseau d’universités, afin de développer nos ressources humaines. Nous ne voulons pas d’un développement uniquement matériel. Nous ouvrons les cursus aux langues étrangères, y compris, au français, à l’espagnol et à l’italien. Il y a des projets de rénovation d’hôpitaux. Comme vous le savez, la France va fournir l’équipement du nouvel hôpital de Benghazi. C’est un grand hôpital d’environ 1000 lit, qui coûtera entre 100 et 150 euros. Il y a également des projets dans le tourisme.
Concernant nos champs pétroliers, nous y attachons une grande importance parce que nous exportions dans le passé 3 millions de barils jour (bj) environ. Or notre capacité actuelle n’est plus que de 1,7 million. Notre objectif est donc d’atteindre 2 millions d’ici au milieu de l’année 2008, puis 3 millions d’ici à 2010-11. C’est pourquoi nous avons lancé autant d’appels d’offres dans les hydrocarbures. 

Que pensez-vous du dernier round gazier ?
Cela a été 100% transparent. Nous avons diffusé toutes les données durant les data rooms.

Mais pourquoi 4 permis seulement ont-ils été octroyés ?
Nous voulons des accords justes. Il y a plusieurs critères : la prime d’entrée, la part de production laissée à la NOC. Si les chiffres proposés sur ces deux critères ne sont pas satisfaisants, nous devons recommencer. Et ce fut le cas.

Quel est le minimum requis ?
Dans les contrats pétroliers nous considérons que la compagnie étrangère doit laisser au moins 88% à la NOC et garder 12. Nous visons quelque chose de semblable dans le gaz. Mais comme nous ne nous étions jamais concentrés sur le gaz avant, les compagnies n’ont pas été très agressives dans la compétition.

Quel est le budget prévu pour tous les projets mentionnés ?
Pour le programme de 2008-2011, le budget prévu s’élève à 180 milliards de dollars. Environ 65% de ce programme porte sur les infrastructures.

Où en est le programme de réforme de la fonction publique ?
Nous encourageons les fonctionnaires à partir au moyen de crédits à taux extrêmement bas, qu’ils ne commencent à rembourser que lorsque leurs projets leur rapportent des revenus. Les salaires ont été réévalués. Nous les avons augmentés de 25 à 30%, plus dans les universités et les hôpitaux. Les gens sont satisfaits.

Qu’en est-il des privatisations. Certains seront-elles ouvertes aux entreprises étrangères ?
Nous avons commencé par inscrire 360 entreprises publiques sur la liste des privatisables. Aujourd’hui, la moitié de cette liste est passée aux mains du secteur privé. En fait, nous avons 3 scénarios. Le premier concerne des PME qui bénéficient aux investisseurs nationaux. Certaines petites entreprises sont réservées à leur personnel. La troisième configuration s’adresse aux investisseurs étrangers ; ce sont de plus grosses entités comme des usines sidérurgiques, des cimenteries, qui intéressent Lafarge Cement, déjà présent en Algérie et en Egypte. Nous nous leur disons, ne vous intéressez pas aux vieux projets, concentrez-vous sur des projets neufs. Notre production est d’environ 5 millions de tonnes et il y a un besoin de 5 millions supplémentaires, que pour le moment nous importons. Il y a donc une bonne marge de progression. Nous avons la matière première, le personnel qualifié. Je pense qu’il est préférable pour eux de contribuer à l’augmentation de la capacité plutôt que de se concentrer sur les privatisations.

Quid des opérateurs téléphoniques ? Sont-ils ouverts aux entreprises étrangères ?
Pas encore. Nous n’en avons que deux : Al Madar et Libyana. Ils ont été privatisés à 30% au profit de particuliers libyens mais nous allons aller plus loin dans une seconde phase. Car nous jetons également un œil sur la réaction du marché et celle-ci a été très faible. Certains pensent qu’il y a un manque de confiance. D’autres que l’épargne est faible parce que les salaires sont faibles. Cela s’explique parce que les gens reçoivent beaucoup de services gratuits de la part de l’Etat : éducation, santé.

Pouvez-vous m’expliquer ce nouveau système de fonds ?
C’est très important. Nous avons beaucoup d’excédents de revenus en raison de nos recettes pétrolières. Nous avons donc créé ces fonds. Certains ne sont pas nouveaux et datent de 1981 mais beaucoup d’argent y est déposé. Nous l’investissons à l’étranger. Le premier président de la Libyan Arab Foreign Investment Company (LAFICO) créée en 1981 fait toujours partie du board de la LIC. L’un de ces fonds investit à l’intérieur du pays. Nous donnons quelques actions aux familles à revenus limités. Il s’agit du Social Economic Development Fund. Ils distribuent ces actions gratuitement, soit environ un million d’action au prix total de 30 000 LD, diversifiée dans la banque, l’industrie.

Ces familles peuvent-elles les revendre ?
Elles ont une obligation de les garder durant 3 ans. Nous ne voulons pas les encourager à les liquider comme cela. Car s’ils les gardent durant 3 ans, nous sommes quasiment surs qu’ils ne vont pas les vendre. Ces titres vont dégager de très bons revenus pour eux. Mais au bout de 3 ans ils seront libres de vendre quand-même.

Cela marche-t-il aussi pour les autres fonds ? Les titres sont-ils accessible à l’achat et à la vente ?
Oui c’est possible. Beaucoup de Libyens l’ont fait par exemple dans Sahara Bank et ce avant BNP-Paribas. Les Libyens ont acheté environ 50% de la banque. La banque française est ensuite entrée dans le capital en achetant 20% avec la possibilité d’arriver à 50% en augmentant le capital.

Qui a l’autorité sur ces fonds ?
Nous avons ce que nous appelons un board de gouverneurs, dirigé par le Premier ministre et 5 ministres et le gouverneur de la Banque centrale, ainsi que 5 intellectuels choisis pour leurs compétences et dont je suis. Ensuite il y a le board de directeurs qui dirigent la politique des gouverneurs et nous avons un directeur exécutif qui était M. Layas, ancien président de la LFB.

Qu’attendiez-vous de cette visite en France ?
Nous attendons de la France qu’elle devienne un partenaire économique majeur en Libye. Leurs entreprises sont les bienvenues. Les grandes sont déjà sur la route mais nous visons les PME pour qu’elles établissent des partenariats avec le secteur privé et produisent. Nous avons une énergie vraiment à bas coût, de la main d’œuvre qualifiée et pour ce qui est de la main d’œuvre ordinaire, nous avons derrière nous tous les travailleurs africains. Si nous créons des emplois pour eux, nous luttons également contre l’immigration clandestine.

Ensuite les produits peuvent pénétrer le marché arabe. Nous avons une facilité de zone franche en 3 endroits. Nous sommes aussi membres de l’UMA, les produits libyens et français peuvent donc aller au Maghreb. Nous sommes membre du Comesa. Nous pouvons pénétrer tous ces marchés sans payer de droits de douanes.

Etes-vous satisfait de la présence des entreprises françaises en Libye ?
Oui elles travaillent vraiment bien et comme le Guide l’a mentionné devant la communauté d’affaires, elles sont transparentes et ne prennent pas part à la corruption. Nous avons déjà signé deux accords importants, l’un sur l’encouragement et la garantie des investissements, l’autre sur la non double imposition. Cela leur permettra d’être plus compétitives par rapport aux autres. 

Tous les projets dont vous avez parlé feront-ils l’objet d’appels d’offres ?
Oui enfin c’est-à-dire pas tous car pour certains nous sommes plus pressés et voulons les inaugurer durant le festival des 40 ans de la révolution en septembre 2009. il ne nous reste donc que deux ans, c’est pourquoi nous avons aussi mené des négociations de gré à gré. Vinci est l’une de ces entreprises avec succès. Ils ont participé à la Grande rivière et maintenant ils le font sur l’aéroport. Maintenant ils construisent un grand hôtel 5 étoiles.

Où en est la réforme bancaire ?
Nous suivons les nouvelles tendances bancaires en cours, en luttant pour plus de transparence. L’Etat possède 5 banques commerciales, toutes les cinq sont à privatiser ! Nous avons commencé avec Sahara. Pour Wahda Bank, des Français sont également en lice, à côté d’Italiens et autres. Ensuite deux banques sont en train de fusionner, Jumhuriya et Umma. La dernière sera peut-être rachetée par l’un des fonds d’investissement pour les redistribuer aux familles libyennes. Mais d’ici un an, il n’y aura plus de banque commerciale entre les mains de l’Etat.

Quant à la modernisation des moyens de paiement ?
Vous connaissez les problèmes que les Américains nous ont causés. Pour moderniser une banque, vous avez besoin d’utiliser le transfert électronique, c’est-à-dire le système SWIFT, dont la technologie est détenue par les Américains, qui nous ont boycottés. Mais maintenant le problème est réglé. Nous sommes en train de relier le software et le hardware. D’ici à 3 mois, toutes les banques vont utiliser le transfert électronique via SWIFT. Les cartes bancaires sont déjà là. Il y a désormais le système Visa et Mastercard. Moi j’utilise une carte de crédit libyenne Visa.

Le fait qu’un grand nombre de consultants en Libye soient américains influence-t-il les relations d’affaires ?
Ils essaient mais leurs compagnies ne sont pas assez offensives. Et les Américains n’ont pas signé d’accords cadre avec la Libye. Nous allons commencer les négociations dans ce sens d’ici à deux mois. Nous nous sommes entendus sur le principe. Nous avons donc encouragé les entreprises françaises à se dépêcher.
Propos recueillis par Nathalie Gillet

Biographie

Formation : Economie et finances à l’Université Garyounes de Benghazi
- 1981 : fonde la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico)
- Années 1990 : Président du Bureau de l’Import-Export (autrefois monopole du commerce international), conseiller financier dans différents ministères, membre du bureau mixte franco-libyen (jusqu’à aujourd’hui) jus
- 2003 : Secrétaire d’Etat à la Coopération (rattaché au ministre des Affaires étrangères)
- 2006 : Ministre délégué aux Affaires étrangères, chargé des Relations extérieures et de la Coopération internationale


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