Egypte : Fiche pays 2008

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique 2008

L’année 2007 en Egypte a été sans nul doute celle de la croissance, estimée à plus de 7,1%. Le niveau n’avait jamais été atteint depuis la période nassérienne. L’exceptionnel pourrait même se banaliser, affirment certains experts. L’Egypte a pu compter sur ses traditionnelles recettes extérieures, d’un niveau exceptionnel : tourisme (8,0 milliards de dollars), transferts des travailleurs émigrés (6,3 milliards), canal de Suez (4,2 milliards), solde net des échanges de pétrole et de gaz (5,9 milliards), lié à l'essor des ventes de gaz naturel. Ces ressources représentent actuellement un peu plus de 20% du PIB, rapporte une note de la Mission économique française au Caire.

La réforme tarifaire a contribué à ouvrir l’économie égyptienne en réduisant de manière drastique les droits de douanes. Résultat, les importations mais aussi les exportations ont littéralement explosé et intégré l’industrie égyptienne (notamment agro-alimentaire) peu à peu dans les flux internationaux.

Alors qu’en 2005, la politique de réformes de l’équipe gouvernementale était accueillie avec un large scepticisme, tout le monde aujourd’hui (FMI, Banque mondiale, etc.) lui distribue des lauriers. Mais bien plus largement, c’est l’ensemble la conjoncture au moyen-orientale (Golfe, Jordanie) qui a irrigué l’Egypte. La région n’a jamais connu pareille croissance depuis 30 ans - supérieure à la moyenne mondiale pour la 6e année consécutive. Les entrepreneurs en Egypte comme à Dubaï sont débordés de travail. La région flotte sur une liquidité énorme, des pétrodollars qui ne demandent qu’à s’employer. L’Europe demeure certes le premier investisseur en Egypte mais la part des pays voisins, surtout de l’Arabie saoudite, progresse. Les IDE ont d’ailleurs bondi de 500 à 700 millions de dollars par an au début des années 2000 à 11,1 milliards (près de 10% du PIB) en 2006/07 - avec le rachat d'Orascom Cement par le groupe français Lafarge, pour 8,8 milliards d'euros début 2008, les investissements étrangers pourraient même franchir la barre des 10% du PIB cette année.

L’Arabie Saoudite bénéficie à l’Egypte sur plusieurs plans : forte demande en produits agricoles, services, tourisme, hausse des revenus de la très importante diaspora égyptienne – les chiffres sont pourtant largement sous-évalués puisque les transferts se font essentiellement en cash. Si en 2008, le retournement de conjoncture dans les pays occidentaux pourrait impacter la croissance égyptienne, cet effet pourrait être en partie compensé par cette santé insolente des pays du Golfe.

Seul problème : la croissance égyptienne est basée en grande partie sur des secteurs non productifs : construction (+15,3%, notamment des centres commerciaux, immobilier, resorts touristiques), télécommunications (+14,1%, avec 30 millions d’abonnés aujourd’hui) et l’hôtellerie (13,2%). En 2007, l’Egypte a consommé 34 millions de tonnes de ciment (contre 20 millions pour la France).

Autre défi : l’inflation, qui atteint des niveaux record (11% en 2007) et grève les budgets des Egyptiens au quotidien. Mais malgré les spéculations, les autorités, consciente de l’impopularité des réformes, ne sont pas prêtes à abandonner leur politique de subvention des produits de base notamment alimentaires (pain, huile, sucre). Le soutien au pain dont le prix n’a subi aucune augmentation ces 20 dernières années, absorbera près de 7,3 milliards de livres durant l’exercice 2007/08. Mais l’éternel endettement public (100% du PIB) et le déficit persistant d'environ 10 % du PIB, limite toujours la marge de manœuvre de l’Etat.

Préserver la paix sociale semble pourtant stratégique, alors que l’année 2007 a été marquée par les nombreux mouvements sociaux (cf encadré). L’écart croissant entre les revenus est de plus en plus difficile à accepter par la population. Il n’y a aucun véritable filet social en Egypte autre que le filet familial. La plupart des Egyptiens comptent dans leur entourage familial un émigré dans le Golfe.

Alors que les débats des années 2006-07 tournaient autour de l’indispensable croissance, la grande question de 2008, sera celle du pouvoir d’achat : mieux répartir les richesses, faire en sorte que les salaires suivent les gains, que l’enrichissement du pays se diffuse dans le reste du corps social. Le défi est immense. Avec près de 80 millions d’habitants en 2008, l’Egypte devient le plus peuplé des pays arabes. C’est aussi le pays du monde à la plus forte densité humaine : 2 000 habitants au km2 contre 900 au Bangladesh. Et sur ces 80 millions d’Egyptiens une bonne moitié vivent au-dessous du seuil de pauvreté et 6 millions dans la misère la plus totale, comme l’indique le Bureau international du travail.

En dehors des 15% d’Egyptiens qui profitent de ce nouvel essor, la population se montre de plus en plus mécontente. L’heure n’est pourtant pas à la critique. Et encore moins du côté de la principale force politique informelle, les Frères musulmans. Si les législatives de 2005 leurs ont permis de gagner 88 sièges de députés sans étiquette, ils ne sont pas reconnus officiellement comme un parti. Et ce n’est pas prêt de changer puisque l’un des récents amendements à la Constitution stipule qu’aucun parti ne peut être constitué sur la base de la religion. Obnubilé par les dérives de l’islam politique, par la sécurisation de ses flux touristiques et surtout par sa propre survie, le régime n’aura d’ailleurs rien épargné aux Frères musulmans cette année : arrestations massives (plus d’un millier), harcèlements et intimidations. Le 6 février 2007, 39 cadres dont le numéro 3 du mouvement, Khaïrat Al-Chater, ont été déférés devant la justice militaire pour « blanchiment d’argent et de financement d’une organisation interdite.Mais en dehors de la confrérie, l’opposition n’a quasiment aucun poids réel. Fragilisé par la diversité de sa coalition de marxistes, nationalistes, libéraux et islamistes, le Mouvement Kefaya (« ça suffit »), par exemple, qui s’était distingué il y a trois ans en protestant ouvertementet courageusement contre l’hérédité du pouvoir, connaît aujourd’hui un essoufflement. Les arrestations dans ses rangs ont miné son action. Kefaya qui n’a pu organiser que quelques événement de peu d’envergure en 2007, aura cependant brisé un véritable tabou et encouragé les Egyptiens à sortir désormais dans la rue pour protester.

Outre les réalités sociales, ces dernier devront en outre s’accommoder d’une nouvelle loi sur le terrorisme dont l’adoption est prévue en 2008, et qui devrait remplacer la loi d’urgence. Mais la pilule la plus amère à avaler est l’hypothèse de plus en plus réaliste d’un Moubarak succédant à Moubarak. Les 34 amendements à la Constitution avantagent le candidat du Parti national démocratique (PND, au pouvoir). Tel Seif El islam Kadhafi en Libye, Gamal Moubarak, 43 ans, le fils cadet du président, qui se présente comme l’aile réformatrice du régime, n’occupe certes aucune fonction officielle dans le dispositif décisionnel. Mais le chef du gouvernement comme les ministres en charge des portefeuilles économiques lui sont proches, formés pour la plupart à l'anglo-saxonne et issus des milieux d'affaires ou de l'université.

Chouchou des Américains, avec un parcours professionnel dans la banque et la finance (Bank of America, EFG-Hermès), Gamal Moubarak prend des airs de dauphin. Pour pouvoir être véritablement le candidat du PND aux prochaines élections présidentielles, il devait officiellement faire partie du bureau politique du PND et avoir une ancienneté d’un an. L’obstacle a été levé en novembre dernier avec la fusion du bureau politique et du secrétariat (dont il est membre), qui devienne Conseil politique suprême, et dont il est désormais un membre à part entière. Son mariage avec la fille d’un grand constructeur, diplômée en management de l’Université américaine du Caire lui donne un côté people.

L’année 2008 va-t-elle officiellement adouber le fils comme candidat à la succession de son père (80 ans), au pouvoir depuis 26 ans. Si l’option Gamal séduit fortement la communauté d’affaires, il n’en est pas de même de la population. Mais le pouvoir pourra toujours compter sur l’amendement de l’article 88 de la Constitution, qui met fin au contrôle des élections par les magistrats. Ces derniers avaient eu l’audace de dénoncer les fraudes lors des scrutins précédents.

L’année des grèves

Un phénomène nouveau est apparu dans une Egypte peu habituée à cela : la grogne sociale s’est traduite cette année par un nombre record de mouvements de protestation. Selon les chiffres de l’Association d’assistance juridique repris par El Ahram Hebdo, le nombre de grèves, de sit-in et manifestations est passé de 222 en 2005 à 700 en 2007. Mais cette fois les revendications sont moins politiques et portent davantage sur des droits sociaux.

Le référendum sur les amendements constitutionnels et les élections présidentielles ont montré aux Egyptien leur faible marge de manœuvre dans le domaine politique mais lorsqu’il s’agit de la survie, l’indulgence n’est plus de mise désormais. Mécontents de leurs niveaux de salaires (200 à 300 livres dans la fonction publique), des retards dans le versement de la paye, de leurs difficiles conditions de travail, les fonctionnaires des impôts fonciers, les 27000 ouvriers des entreprises de filature et de tissage à Mahalla ou de Kafr Al-Dawwar, d’industries alimentaires, de cimenteries et briqueteries se sont mobilisé, relayés par enseignants, conducteurs du métro, chauffeurs de bus et des chemins de fer, éboueurs, postiers. Ils ont souvent obtenu des concessions, contrairement aux journalistes, qui ont eux aussi organisé des sit-in pour protester contre la condamnation de 13 journalistes, dont 5 rédacteurs en chef.

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Elections sans surprise en Egypte

La Tribune, septembre 2005

Les Egyptiens sont appelés aux urnes pour désigner aujourd'hui leur raïs au suffrage universel. Depuis l'amendement de la Constitution en mai dernier, ils peuvent pour la première fois choisir entre plusieurs candidats. L'issue de ces élections sera cependant sans surprise. Hormis Noumane Gomaa 70 ans, chef du Néo-Wafd, et le libéral Ayman Nour, 40 ans, qui dirige le petit parti Al-Ghad, les autres rivaux du président sortant sont d'illustres inconnus sans grand relief. Le Président Moubarak, 77 ans, en place depuis 24 ans, devrait donc remporter sans trop de difficultés son 5e mandat de 6 ans.

La campagne a fait place à la critique du régime, grande nouveauté pour les Egyptiens, mais peu de candidats ont présenté un programme clair et détaillé dépassant le stade du slogan. Le volet économique a par exemple été peu abordé.

Les défis pourtant sont nombreux dans ce pays qui compte aujourd'hui près de 72 millions d'habitants. La démentielle croissance démographique rend quasiment vains tous les efforts de développement. Le chômage de masse (10% officiellement mais plus de 20% selon d'autres estimations) frappe de plein fouet les jeunes, tandis que dans la fonction publique, le faible niveau des salaires encourage le cumul des emplois dans l'informel (fonctionnaire le jour, taxi la nuit). Le quart de la population vit aujourd'hui sous le seuil de la pauvreté, avec environ $ 2 par jour.

L'Egypte ne parvient pas en outre à se défaire de son caractère rentier : redevances du Canal de Suez, aide américaine, hydrocarbures, tourisme, transferts des 3 millions d'expatriés. Son secteur gazier florissant ne peut à lui seul rééquilibrer la balance commerciale.

Du côté des milieux d'affaires, pourtant, la confiance est de retour, surtout depuis l'arrivée au pouvoir, en juillet 2004, d'un gouvernement composé de plusieurs proches du fils du président, Gamal Moubarak (ex banquier d’affaires). "Il y a eu un changement énorme d'esprit au niveau des décideurs", affirme Adrien Pharès, de Calyon Bank (filiale du Crédit agricole). Les réformes libérales, lancées dans les années 1990 mais laissées de côté depuis 2000 ont été relancées, notamment processus de privatisations, y compris dans le secteur bancaire. La banque française Société Générale a ainsi augmenté sa participation dans sa filiale égyptienne NSGB pour un montant de $ 125 millions, et le processus de cession de la banque publique EAB vient d'être lancé.

Avec le retour de la croissance (4,1% en 2004, 5,5% attendus cette année), l'essor des investissements étrangers, le développement des exportations, les principaux indicateurs macro-économiques retrouvent le sourire. Même la livre, qui avait connu une chute spectaculaire de 40% depuis 2003, a récupéré une partie de sa valeur. Reste le déficit budgétaire et la dette publique qui n'en finit pas d'augmenter (112 % du PIB fin 2004!). Une donnée que n'arrangera pas la baisse des recettes douanières liée aux différents accords de libre-échange et l'adaptation aux règles de l'OMC. Reste également à faire accepter par la population le coût social de ces réformes.

Nathalie Gillet

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NG

ENCADRE

Nathalie Gillet