Maroc : Fiche pays 2008
Pas de gouvernement islamiste

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique 2008

La grande inconnue de l’année 2007 était les élections législatives du 7 septembre, qui devaient déboucher, craignait-on, sur une victoire, voire une participation gouvernementale islamiste. Ce ne fut pas le cas (cf. encadré). Le Parti de la justice et du développement s’est incliné devant le Parti historique de l’Istiqlal (indépendance). Mais la gifle la plus cinglante fut administrée aux socialistes de l’USFP. Arrivés premiers aux législatives de 2002, ils se retrouvent désormais à la cinquième place. La gauche, grande perdante du scrutin, ne domine plus aucune région dans le pays. Le vrai vainqueur de ce rendez-vous électoral a cependant été… l’abstentionnisme, chiffré à 63% ( !), et qu’il faut ajouter aux nombreux votes nuls.
C’est donc au patron de l’Istiqlal, Abbas El Fassi, personnalité peu charismatique du monde politique, que revint la charge de former un gouvernement… Mais devant sa difficulté à obtenir un consensus, c’est à partir d’une liste concoctée en haut lieu, qu’il a finalement constitué son équipe, avec une majorité composée de quatre partis : l'Istiqlal, le Rassemblement national des indépendants (RNI, centre droit), l'Union socialiste des forces populaires (USFP) et d'anciens communistes ralliés de longue date à la monarchie, le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Parmi les nouveautés : un nombre accru de femmes, sept au total, mais confinées dans des postes traditionnellement considérés comme féminins (éducation, santé, jeunesse, culture, famille). Seule exception : Amina Benkhadra nommée ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement, qui a déjà fait ses preuves sous Hassan II. “Notre programme, c’est le discours du trône de Sa Majesté”, a déclaré récemment le nouveau Premier ministre… Dans les rangs de l’opposition, se retrouvent aux côtés du PJD, le parti travailliste, le PSU et pour la première fois le Mouvement populaire.
Si tremblement de terre il y eut ce fut davantage au sein des partis politiques. Trois dinosaures devenus impopulaires ont été plus ou moins poussés à la porte. Mohamed Elyazghi, 72 ans, patron de l’USFP, qui occupe actuellement un poste de ministre d’Etat… sans portefeuille a quitté provisoirement la tête de son parti. Comme successeur certains pressentent déjà l’ancien ministre des Finances, Fathalla Oualalou. Après l’échec électoral, Mahjoubi Aherdane, 94 ans, a rendu les clés du Mouvement populaire. Son exemple a été suivi Ahmed Osman, 77 ans, du RNI. Ces démissions suffiront-elles à régler les crises internes et faire un peu de place à une jeunesse confinée jusqu’ici au monde associatif ? Autre signe d’un changement d’époque : le décès en août de Driss Basri, inamovible ministre de l’Intérieur et bras droit de Hassan II durant les années de plomb. Il enterre avec lui tous les secrets d’Etat qu’il menaçait de révéler depuis son exil parisien.
L’un des défis pour l’année 2008 demeure celui de la sécurité et de l’endiguement des mouvements islamistes armés. Les services de renseignement travaillent à plein régime, appuyés par un maillage policier très efficace. Le 11 mars 2007, un kamikaze s’est fait exploser dans un cybercafé de Sidi Moumen à Casablanca. Le 10 avril, la police abattait dans la même ville un kamikaze qui s’apprêtait à faire de même. Il sera suivi de 6 autres, qui ne feront d’autres victimes qu’eux-mêmes et un officier de police
Sur un autre plan, l’année 2007 s’est également conclue par l’échec de la candidature de Tanger à l’Exposition Internationale 2012, au profit de la sud-coréenne Yeosu. Mais la dynamique engagée par la ville ne devrait pas retomber, les travaux d’infrastructures déjà budgétisés seront menés jusqu’au bout (port de plaisance, espaces verts, transports, etc.). Le nord du pays (essentiellement Tanger-Tétouan), connaît d’ailleurs un renouveau inégalé jusqu’ici. L’inauguration du complexe portuaire intégré TangerMed, en chantier depuis 2002, ajouté au lancement d’un TangerMed 2 avec un port conteneur encore plus important que le premier, y est pour quelque chose. Le projet modifie les équilibres du commerce maritime régional tout en s’appuyant sur de nouvelles zones franches. Et la demande est réelle, comme le confirme la décision en septembre de Renault-Nissan d’implanter près de TangerMed sa future plus grosse usine (300 hectares, 400 000 voitures par an). Cet investissement de plus d’un milliard d’euros fait ainsi de TangerMed un succès irréversible, puisque près de 200 sous-traitants auraient déjà manifesté leur intérêt. Le site figure désormais sur tous les écrans radar.
La future ligne de TGV Tanger-Casablanca puis Casa-Marrakech ajoute à cette stratégie globale en fluidifiant les transports. D’autant que les Marocains se déplacent désormais vers le nord pour y trouver des emplois, chose impensable il y a quelques années. La région Nord longtemps laissée à l’abandon et à la culture du cannabis trouve enfin de nouvelles perspectives. Mais déjà, les prix de l’immobilier flambent, comme ils flambent d’ailleurs sur l’ensemble du pays. Si les autorités marocaines refusent encore de la qualifier ainsi, c’est bien une bulle qui semble lentement se profiler. Les constructions se poursuivent sans répits à la grande joie des cimentiers et des banquiers qui font chauffer le crédit immobilier. Les laissés-pour-compte d’un mètre carré frôlant par moment les 4000 euros n’ont plus qu’à s’en remettre aux programmes de logements sociaux. Ironie du sort : la crise du logement reste entière au Maroc.
Avec la concrétisation des grands chantiers (autoroute Casa-Marrakech, première marina du Bouregreg, extension de l’aéroport de Casablanca, tramway Rabat-Salé), les raisons d’investir se multiplient. Alors que quelques années auparavant, les IDE se résumaient à quelques privatisations, leur niveau semble se renforcer, au moment-même où les privatisations se tarissent. Une forme de confiance s’installe parmi les opérateurs étrangers qui regardent d’un œil positif la réforme bancaire, le Plan Azur (véritable booster du tourisme), le Plan Emergence (industrie). La conjoncture demeure pourtant fragile et le rapport IDE/PIB reste encore loin de celui des dragons de l’Orient mais quelque chose bouge au Maroc, qui prend pour la première fois des allures de pays émergent.
Les lacunes n’en sont pas moins réelles. Des réformes essentielles peinent à voir le jour : celle de l’agriculture, par exemple, qu’il faut rendre plus productive, moins centrée sur la céréaliculture, plus indépendante de la pluie ; de la justice (formation des magistrats) ; du système foncier soumis à une superposition compliquée de régimes anciens. Reste aussi et surtout les secteurs sociaux, dans un pays qui connaît 45% d’analphabétisme. Autre point négatif : le creusement du déficit commercial. Les exportations ont beaucoup moins augmenté que les importations et pour la première fois depuis 7 ans, les transferts des émigrés marocains et le tourisme, qui traditionnellement rééquilibrent la balance courante, ne suffiront pas malgré leur bonne tenue, à combler le déficit courant. Plus de 7 millions de touristes, ont pourtant visité le Maroc en 2007, rapportant plus de 4,4 milliards d’euros. Quant à l’inflation (3,3% en 2006, 2,1% l’an dernier) les Marocains pourront compter en 2008 sur une politique de subvention.
Enfin, la mauvaise campagne agricole, notamment des céréales (1/4 de la récolte précédente) a lourdement pesé sur la croissance 2007, qui s’établit autour de 2%, contre près de 8% en 2006. Une évolution de taille cependant se dessine : alors qu’au Maroc, une mauvaise récolte se soldait systématiquement par de la récession, elle n’entraîne plus aujourd’hui qu’un tassement de croissance. La progressive diversification de l’économie marocaine porte ses fruits. Mais la saison des pluies a mal commencé cette année et deux ans de sécheresse de suite seraient difficiles à tenir.
Nathalie Gillet


ENCADRE :
Elections législatives législatives décevantes pour les islamistes

Les agitateurs du spectre islamistes auront été bien soulagés au lendemain des élections législatives du 7 septembre. Le « raz-de-marée » électoral des islamistes n’a pas eu lieu. Avec « seulement » 46 sièges (plus que les 42 précédents mais moins que les 80 visés), le Parti de la justice et du développement (PJD, islamo-conservateur) a cédé la place au parti de l’Istiqlal (52 sièges), victime du découpage électoral et du mode de scrutin. Premier en voix mais 2e en sièges avec zéro ministre au gouvernement d’Abbas El Fassi, le PJD crie à la fraude. Endormis pendant des mois par des sondages flatteurs, les islamistes ont largement sous-estimé l’influence des notables dans les campagnes. La multiplicité des groupes de la même mouvance a également handicapé le parti, qui ne devrait pas pouvoir se passer d’une introspection. L’élection de Mustapha Ramid, représentant l’aile dure du parti, à la tête du groupe parlementaire, annonce cependant une nouvelle ère : celle d’une opposition moins docile, plus dure.
Sur le plan local en revanche, certains résultats se rapprochent toutefois du raz-de-marée redouté. Le PJD a largement dominé dans quatre grandes villes : Casablanca notamment mais aussi Rabat, Salé et Tanger, soit un total de 23 sièges. Son absence du Sahara, du Rif et de la région de Marrakech, lui donne davantage une image de parti urbain. La stratégie du PJD dans l’opposition sera prioritairement axée sur le social.
NG

ENCADRE 2 Résultat des élections en nombre de sièges

PI : Parti de l'Istiqlal 52
PJD : Parti de la justice et du développement 46
MP : Mouvement populaire 41
RNI : Rassemblement national des indépendants 39
USFP : Union socialiste des forces populaires 38
UC : Union constitutionnelle 27
Autres 82


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- Maroc : un Code de la famille difficile à "décoder"

Alternatives internationales, août 2005

Il est 15h, la salle principale du Tribunal de la famille de Casablanca se remplit : à gauche des rangées réservées aux hommes, à droite des rangées pour les femmes. Derrière les avocats installés sur le premier banc, le silence se fait et les visages expriment l'attente parfois l'inquiétude. La magistrate appelle un à un les premiers candidats au divorce et autres plaignants mais reporte la majorité des séances : des documents manquent aux dossiers, des hommes ne se sont pas présentés, le ton monte. Fondues dans la masse, quelques lycéennes prennent des notes. Elles sont venues préparer un exposé sur la réforme du code de la famille, qui est entré en vigueur le 9 février 2004 au Maroc. Comme la plupart des gens présents, elles découvrent les nouvelles règles avec étonnement.

En présentant en octobre 2003 ce projet plusieurs fois reporté de réforme de la Moudawana (code de la famille) devant le Parlement, le roi Mohamed VI avait pris tout le monde de court. Les mouvements islamistes s’étaient vigoureusement opposés en 2000 à un précédent projet préparé par la gauche et par des "mouvements féministes manipulés par l'Occident dans le but d'atteindre l'islam à travers la déstabilisation de la famille", selon un dirigeant du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste, 3e force parlementaire). Contrairement aux attentes, tous avaient cette fois applaudi l'initiative royale. Le projet socialiste ne tenait pas compte du référentiel islamique, ce qui n'est pas le cas du code actuel, retravaillé par une commission royale composée d'ouléma et de représentants de la société civile.

Mais le timing aussi se prêtait à la conciliation : affaiblis politiquement par les attentats islamistes du 16 mai 2003 à Casablanca et une sévère vague de répression antiterroriste au Maroc, le profil bas s'imposait. Le roi en tant que Commandeur des croyants imposait ainsi de nouveaux droits pour les femmes tout en garantissant le respect de l'islam.

Pour la juriste et militante féministe Leila Rhiwi "le nouveau code est révolutionnaire dans son esprit". En proclamant l'égalité entre les hommes et les femmes et la responsabilité conjointe des deux parents dans la famille, il met fin au principe d'obéissance de la femme à son époux. Révolutionnaire, le texte l'est aussi sur un autre plan. Comme dans la majorité des pays musulmans, la gestion des affaires familiales et sexuelles est inconcevable en dehors du cadre religieux. C'est pourtant vers une sécularisation que le Maroc a fait un pas. Au lieu de se contenter de proclamer la loi, le Roi l'a en effet soumise au Parlement, institution non religieuse, où il a été débattu, corrigé par 53 amendements et voté à l'unanimité. En outre, s'il s'affirme ouvertement d'inspiration islamique, le texte apporte des nouveautés qui ne figurent pas dans la charia : la reconnaissance du lien de paternité en dehors du mariage, l'adoption, la gestion en commun du patrimoine acquis pendant le mariage.

L’appareil judiciaire est aussi renforcé : création de tribunaux de la famille, grande marge d'appréciation du juge, limitation des prérogatives des "adouls", sortes de notaires religieux es affaires familiales. Et pour valider une union, un acte de mariage officiel est désormais obligatoire

L'Association Solidarité féminine s'en réjouit : "Beaucoup de femmes étaient abusées par des islamistes adeptes du mariage exclusivement religieux. Cela se passe généralement en comité très restreint, on récite une petite prière et le tour est joué. Mais quand le mari répudie son épouse, elle n'a aucun moyen de prouver son mariage et peut se retrouver mère célibataire de fait ". Un drame social au Maroc qui plonge les individus dans la dernière des marginalisations. Jusqu'en 2003, les enfants nés hors mariage n'avaient même pas d'existence légale : pas de nationalité, pas de scolarité publique, aucun soutien étatique.

La Moudawana actuelle en fait corrige de graves déséquilibres sociaux. Un homme ne peut plus répudier sa femme du jour au lendemain et l’expulser impunément du domicile conjugal avec ses enfants ("et sa djellaba", selon l'expression) ; il doit obtenir l’autorisation du juge, verser une pension alimentaire. Les femmes aussi peuvent demander le divorce sans avoir à se justifier ni à renoncer à tous leurs droits comme cela se faisait habituellement. En effet, la grande trouvaille du nouveau code de la famille a été l’introduction d’un nouveau type de divorce parallèlement à l’ancien : celui de la désunion (ou chiqaq). "Beaucoup de femmes demandent aujourd'hui le divorce et l'obtiennent", affirme Zhour el Hor, Présidente du Tribunal de la Famille de Casablanca. Fini le temps où il fallait attendre 10 à 15 ans, le délai officiel est de 6 mois.

Le problème c'est que certains juges refusent le recours à la désunion. Et le problème c'est qu'ils en ont le droit. Car si la loi est révolutionnaire, elle permet de nombreux aménagements qui contournent les avancées. La femme par exemple n'a plus besoin de la tutelle d'un homme pour se marier (mais elle peut choisir d’y recourir), l'âge du mariage a été relevé de 15 à 18 ans pour les jeunes filles (mais le juge peut autoriser des exceptions), la polygamie est sévèrement conditionnée (mais pas interdite). Selon le ministère de la justice, 25% de femmes se seraient mariées sans tutelle paternelle en 2004 : c'est une avancée pour les uns, une insuffisance pour les autres. "L'esprit du code est trahi parce que ce qui devait être exceptionnel est devenu la règle", dénonce Bouchra Abdou, de la Ligue démocratique pour les droits de la femme (LDDF) à Casablanca.

Pour obliger un père à reconnaître un enfant né hors mariage, une femme peut demander un test ADN. Une avancée énorme. Mais les conditions sont restrictives : c'est le juge qui prend la décision et les deux "fauteurs" doivent avoir été… fiancés. En outre, l'article 492 du code pénal, qui assimile les relations sexuelles hors mariage à de la prostitution passible de prison n'a pas été aboli ! Le problème des mères célibataires est donc loin d’être réglé au Maroc.

Dans la pratique enfin, le texte trébuche sur les réalités marocaines. Alors que les contentieux relevaient jusque-là des Adouls, l'appareil judiciaire est aujourd'hui débordé. A cela s'ajoute le problème des mentalités qui perdurent. Un effort de formation des juges a certes été fait mais il reste insuffisant, comme le montrent les statistiques d'un rapport de la LDDF, qui a publié en février dernier sa propre enquête de terrain réalisée auprès de 9 tribunaux."On a vu des juges marier des jeunes filles à 11 ans sous prétexte qu'elles avaient leurs règles", rapporte Bouchra Abdou. Dans les faits les hommes continuent d'expulser leurs femmes sans se savoir en faute et quand les femmes demandent le divorce on leur réclame des preuves à charge. Elles continuent de recourir en masse au divorce Khol' qui les oblige à abandonner leurs droits, alors qu'elles peuvent choisir la désunion. Dans la campagne certains adouls continuent d'exiger un tuteur matrimonial pour les jeunes filles.

Dans la population, le code a généré des amalgames et des peurs. "Nous sommes tous musulmans au Maroc et notre religion s'occupe déjà depuis 1400 ans de régler les histoires de mariage, la position de l'homme etc.!! Pourquoi compliquer les choses ?", proteste comme beaucoup Mohamed, 27 ans, banquier à Mekhnès. Se croyant exclus du projet, les hommes sont persuadés qu'ils ont tout à perdre en se mariant, notamment leur fortune. Ils ne savent pas que le partage des biens acquis pendant le mariage instauré par la loi dépend d'un contrat séparé, d'un commun accord.

Dans les campagnes, les femmes hésitent à tirer profit du nouveau code de peur d'enfreindre l'islam, comme se chargent de le leur faire croire des islamistes. "Le problème c'est que toutes ces conquêtes ont été arrachées et revendiquées par une élite de femmes et n'ont pas été portée par la masse d'entre elles, celles qui sont analphabètes", relève Salima Bar Mousa, de la Maison des femmes à Tanger. Pour lever les malentendus, la LDDF organise des caravanes dans les quartiers et en milieu rural. Sa stratégie : utiliser les traditions musulmanes pour appuyer la réforme. "Quand vous dites par exemple que le prophète lui-même a refusé que son gendre Ali prenne une autre épouse, les femmes nous écoutent et acceptent mieux leurs droits". Des cassettes audio sont distribuées en dialecte et en tamazight. Mais si l’Association démocratique de femmes du Maroc (ADFM) a fait diffuser en mai dernier une série de spots télévisés en dialecte, aucune campagne télévisée digne de ce nom n'a été menée par l'Etat, hormis quelques émissions en arabe littéral, que maîtrisent peu de Marocains.

Comment dans ces conditions atteindre les 48% d'analphabètes (70% pour les femmes) que compte le Maroc? Au tribunal les juges débordés n’ont pas le temps de leur expliquer leurs droits et dans la campagne profonde, personne ne s'en donne la peine. Difficile dans ces conditions d'identifier le bon interlocuteur à l’extérieur du village ou du quartier, de se rendre seule au prochain tribunal situé à plusieurs dizaines de km, faire de nombreux déplacements pour rien, se tromper. Toutes ces démarches coûtent cher, alors qu'un Marocain sur 6 vit avec moins de un dollar par jour.

A toutes ces barrières s'ajoute une autre : l'absence totale de confiance des Marocains dans leur propre système judiciaire. "Vous pouvez écrire les kilomètres de textes que vous voulez au Maroc, une bonne enveloppe sera toujours plus efficace qu'une bonne preuve", affirme Mohamed, chauffeur de taxi à Casablanca. "Je connais un juge au Tribunal de Mohammedia qui après 7 séances, a déclaré à une femme, que l'affaire n'était pas de son ressort et qu'elle devait aller à Casablanca", rapporte consternée une avocate.

Si le Maroc a beaucoup progressé en matière de liberté de parole, la corruption reste un problème majeur. Le royaume a même dégringolé du 45e en 1999 au 77e rang des pays les corrompus selon Transparency International. Les autorités essaient sans succès de réformer la justice depuis 5 ans, à coup de licenciements et de formations. Mais les verdicts continuent de surprendre, les dossier de se perdre, les bakchich de circuler.

Malgré leurs réserves, les mouvements féministes gardent cependant leur optimisme. Le texte reste un exemple dans la région. "Certains articles contredisent l'égalité des sexes, mais une réforme globale n'est plus nécessaire, comme en Algérie; il ne nous reste plus qu'à revendiquer des amendements", estime une juriste. Mais pour que la loi protège le citoyen il faut qu'il puisse y accéder "et ça ça relève de la responsabilité de l'Etat", conclut-elle.

Nathalie Gillet

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Frauenrechte in Marokko, ein Beispiel von Errungenschaften der Zivilgesellschaft; der gute Wille des Königs bleibt jedoch entscheidend

Der Überblick, Juillet 2005

In seiner Thronrede vom August hat es König Mohammed VI. versprochen : marokkanische Frauen werden ihre Staatsbürgerschaft an ihre Kinder weitergeben können. Diese erwartete Gesetzänderung wird Kindern mit ausländischen Vätern Zugang zur öffentlichen Schule ermöglichen, später zu staatlichen Stellen oder gar zur Sozialhilfe. Ein neues Recht, das demnächst in ein Gesetz umgewandelt werden muss..

Seit anderthalb Jahren haben sich die Spielregeln in der marokkanischen Gesellschaft radikal geändert, und zwar auf eine Art, die mit anderen arabischen Ländern (mit Ausnahme von Tunesien) kaum zu vergleichen ist. Am 9. Februar 2004 ist der Personenstandgesetz (Mudawana), nach einer wiederum entscheidenden Thronrede vom November 2003, inkraftgetreten. Darum hatten Frauenbewegungen und Menschenrechtsorganisationen jahrelang gekämpft und Druck ausgeübt. "Allein der Geist des Textes, bildet eine revolutionäre Errungenschaft in dem er die Gleichberechtigung zwischen Mann und Frau ausdrücklich formuliert", freut sich Menschenrechtsaktivistin und feministin Leila Rhiwi.

Revolutionär ist der Text auch deswegen, weil Familienverhältnisse bisher traditionneller Kompetenzbereich der Religion war, und das neue Gesetz ein Schritt Richtung Säkularisierung bedeutet. Anstatt als geistlicher Oberhaupt der Gläubigen die Mudawana einfach zu proklamieren, hat sie der König nämlich dem Parlament, einer säkulären Institution, vorgelegen. Dort wurde sie heftig diskutiert und mit 53 Abänderungen einstimmig gewählt (einschliesslich der islamistischen Abgeordneten der Partei Gerechtigkeit und Entwicklung). Einige Innovationen entfernen sich sogar von der Scharia : Annerkennung der Vaterschaft ausserhalb ehelicher Bindungen, Adoption, gemeinsame Verwaltung der erwirtschafteten Güter.

Die Zeiten in denen ein Mann Frau und Kinder über Nacht aus dem Haus jagen konnte sind vorbei. Einfach verstossen ist nicht mehr möglich, dafür braucht man die Zustimmung eines Gerichts und für den Unterhalt der Familie sorgen können. Gehorsamkeit im Tausch gegen mänlichen Schutzt wurde abgeschafft, das Mindestheiratsalters von 15 auf 18 Jahre heraufgesetzt, und ein männliches Vormund für eine Eheschliessung für unnötig erklärt.

Die Reform verstärkt zudem die Macht der Justiz, führt Familiengerichte ein, und beschränkt den Kompetenzbereich der Aduls (religiöse Notare). Besser : eine offizielle Heiratsurkunde ist nun obligatorisch, was Frauenrechtlerin Bouchra Abdou, von der Demokratischen Liga für Frauenrechte (LDDF) in Casablanca zufridenstellt. "Viele Frauen wurden früher von Islamisten missbraucht, die eine ausschliesslich religiöse Heirat verlangten. Laut der Tradition genügt in solchen Fällen ein kurzes Gebet im engeren Kreis. Wenn aber die Frau von ihrem Mann verstossen wird, kann sie ihre Ehe nicht beweisen und hat keinen Anspruch auf irgentwelche Abfindungen. Wenn sie dazu noch ein Kind hat, gilt sie plötzlich als alleinstehende Mutter". Das allerschlimmste, was in Marokko passieren kann, da uneheliches Geschlechtsverkehr mit Prostitution gleichgestellt und streng bestraft wird...

Mit Abstand von über anderthalb Jahre, kann man versuchen, eine erste Bilanz zu ziehen. Was hat sich für Frauen tatsächlich geändert ? Wie lassen sich die zahlreichen Errungenschaften in der Praxis umsetzen ? Einige Dinge haben sich verbessert, laut Frau Rhiwi, und zwar die für Frauen verkürzte Scheidungsfrist z.B. und das erleichterte Scheidungsverfahren. Während ein Mann seine Frau durch einen Spruch verstossen konnte, brauchten Frauen damals tausend Rechtfertigungen oder Beweise eventueller Misshandlungen, und meistens sogar auf ihre Rechte verzichten (Sorgerecht der Kinder, Unterhalt, usw.) um sich von ihrem Mann zu lösen. Dies konnte sich bis zu 15 Jahre hinziehen, ohne dass ihre Rechte am Ende gesichert waren.

So lief zumal der sogenannte "Khul" Verfahren. Parallel wurde aber das "Schiqaq" Verfahren eingeführt mit einer offiziellen Frist von 6 Monate und als Bedingung den alleinigen Wunsch sich zu trennen. In der Praxis wird die neue Frist oft eingehalten, stellen Beobachter fest. "Heute würde sich kein Mensch mehr ein Verfahren von länger als 2 Jahre vorstellen", sagt Frau Rhiwi. Und die Türen der Rechtsanwälte und Juristen haben sich aufgemacht. Doch die "Khul" Scheidung besteht.

Vielleicht im Falle, dass es noch Frauen gibt, die diese harte Probe bevorzügen...? Solche Frauen gibt es in der Tat... denn die auf dem Papier gefestigten Fortschritte stössen unbarmherzig auf marokkanische Realitäten. Als allererste auf Ignoranz. Bis zu 70% der Marokkanerinnen sind analphabet. "Die Lage ist so, dass die meisten von ihnen ihre neuen Rechte gar nicht kennen und die ungünstige "Khul" Scheidung wählen", meint Bouchra. "Die Familienrichter machen es ihnen auch nicht immer einfach; einige weigern sich das Schiqaq Verfahren einzuleiten", fügt Frau Rhiwi hinzu.

Der Text selbst erlaubt viele Ausnahmen und eine breite Einschätzungsspanne für den Richter. Frauen brauchen z.B. keine Vormundschaft mehr, um eine Ehe zu schliessen aber dürfen sie wählen wenn sie es "wünschen" : laut der offiziellen Statistik haben nur 25% darauf verzichtet. Die Trauung von minderjährigen Mädchen darf ein Richter genehmigen wenn er sie für reif genug hält... : in der Tat wurden massive Genehmigungen gewährt, besonders in ländlichen Gebieten, wo bis zu 11 Jährigen immer noch getraut werden... Polygamie ist jetzt streng begrenzt aber nicht abgeschaffen. "Der ganze Sinn der Reform wird missbraucht", protestiert Bouchra Abdu vom LDDF-Verein, das im März seine eigenen Statistiken veröffentlicht hat.

Mentalitäten lassen sich selbst in juristischen Kreisen nicht so einfach ändern. Casablanca möge mit seiner bekannte Präsidentin Zhor el Horr, einer der Redaktoren der Mudawana, noch so vorbildhaft dastehen, die kleineren Städten oder ländlichen Gebieten haben es mit weniger gutwilligem Personal zu tun. Einige Richter agieren eindeutig gegen den Willen der Frau, in dem sie einen Vormund verlangen oder die Anwesenheit des Vaters. "Ich pfeife auf die Mudawana, habe ich von einem schon mal gehört", berichtet Aischa Esch Schanna, Leiterin von "Solidarité féminine", einem Verein für alleinstehende Mütter in Casablanca. "Viele Richter bekommen aber jetzt eine Ausbildung und werden auf den Sinn der Reform sensibilisiert", beruhigt Zhor el Horr. Alles braucht seine Zeit.

Inzwischen klammern sich einige Missverständnisse fest : Frauen scheuen z.B. sich, auf ihre Rechte zu bestehen, weil sie glauben, sie verletzen damit die Prinzipien Ihrer Religion. "Wenn wir aber kommen und erklären, dass selbst der Prophet Mohammad seinem Schwiegersohn Ali eine zweite Frau verweigert hat, weil er nicht wollte, dass er seine Tochter Fatima dadurch kränkt, oder wenn wir Koranische Versen benutzen, dann hören Frauen zu und akzeptieren ihre Rechte als legitim", erklärt Bouchra.

Männer hingegen fürchten um ihr hart errungenes Vermögen, das sie durch eine eventuelle Scheidung verlieren könnten. Dies kann aber in der Tat nicht passieren. "Wir sind doch alle Mosleme, warum vertrauen wir diese Dinge (Heirat, Stand des Mannes, usw.) nicht weiterhin unserer Religion an, die es seit 1400 Jahre gut in Griff hatte ? Warum wollen wir das alles komplizierter machen", fragt Sascha, ein charmanter 27-jähriger Bankberater aus Meknes.

Mit staatlicher Begleitung wären Missverständnisse um einiges schneller überwältigt. Aber keine nationale Informationskampagne hat bisher wirklich stattgefunden : nur wenige Fernsehsendungen am Anfang, und dies auf Hocharabisch, was die meisten Marokkaner nicht verstehen. Zeitungen haben viel darüber berichtet aber treffen ein beschränktes Publikum. In Gerichten gibt es keine Informationsstellen und die Justiz ist so überfordert, dass die Richter kaum Zeit haben, Frauen aufzuklären. Oft fehlt also am entscheidenden Tag eine wichtige Akte und die Sitzung muss vertagt werden. Dazu kommt noch die katastrophale Korruption, die den gewöhnlichen Bürger (oft mit Recht) misstrauisch gegenüber seinen Institutionen macht.

Immerhin, eins steht aber fest : trotz aller Schwierigkeiten können sich Frauen von nun an auf einen expliziten Text berufen. Dies war ein immenser Schritt. "Jetzt brauchen wir keine Reform mehr im Gegensatz zu Algerien" sagt Frau Rhiwi. "Das einzige, was wir noch zu verlangen haben sind Amendements, lokale Änderungen in Richtung besserer Gleichberechtigung".

Daran arbeiten Nichtregierungsorganisationen (NRO) und Vereine weiter. Diese führen ihre eigenen Informationskampagnen, um die Lücken des Staates in seiner Aufgabe auszugleichen. Die LDDF fährt mit Ärzte und Juristen durch ländlichen Gebieten, um durch kostenlose Beratungen, die neuen Rechte bekannt zu machen. Kassetten werden im lokalen Dialekt und in Berberisch verteilt. Das Demokratische Verein für marokkanische Frauen (ADFM) hat im Frühling ihre eigenen Werbespots produziert. Sogar Mikrokreditorganisationen wie Zakoura, deren Kundschaft zu 90% weiblich ist, berichten über und fördern die neuen Reform.

Die marokkanische Zivilgesellschaft hat in der Tat eine wahre Tradition, eine Dynamik, die es in Nachbarländer nicht gibt. Die Zahl der Vereine wird heute auf rund 40 000 eingeschätzt. Alle Fortschritte im Bereich Gleichberechtigung, aber auch Menschenrechte, Meinungsfreiheit sind ihnen und dem Mut vieler Intellektuellen zu verdanken. Die Zivilgesellschaft ist es, die in den letzten Jahren den Makhzen dazu gezwungen hat, die ersten Versuche einer Vergangenheitsbewältigung zu gewähren.

In den letzten 6 Jahren wurden viele Tabus gehoben, die bekannten roten Linien (Islam, König und Saharafragen) von der Presse geschoben. Ab Dezember 2004 organisierte eine offiziell genannte "Kommission für Gerechtigkeit und Versöhnung" öffentliche Anhörungen von Opfern der Menschenrechtsverletzungen, die in der Zeit der "bleiernen Jahre" in Marokko begangen wurden ! Von Europa aus wirken diese Schritte im arabischen Zusammenhang beeindruckend, jedenfalls sehr positiv.

Doch genau das irritiert der Menschenrechtsaktivist und Verleger der Tariq Editions, Bichr Bennani : "Warum müsst uns ihr westlichen Beobachter immer mit Algerien oder dem brutalen tunesischen Regime vergleichen ? Ich will mich doch mit Dänemark vergleichen, oder mit Schweden, nicht mit den Kranken !!!". Sein Ärger teilen viele anderen Menschenrechtsverteidiger, denn die Arbeit ist noch lange nicht fertig.

Die Aktion der Kommission für Gerechtigkeit und Versöhnung wird z.B. freilich in Frage gestellt, weil die Nahmen der Folterer nicht genannt werden dürfen ! "Nicht die Kommission hat die Sprache ermöglicht sonder die Arbeit der Zivilgesellschaft seit den seibziger Jahren. Die Kommission ist im Gegenteil ein Unterdrückungsversuch der Wahrheit in dem man behauptet, seit 1999 gäbe es keine Folterungen mehr". Eine Zeitschrift wie TelQuel, wird regelmäßig an bestimmte Grenzen zurückerinnert, Le Journal, hat quasi Werbungsverbot. Die Repression besteht also, aber nicht mehr mit Gewalt.

Laut Abdallah Zaazaa, ein ehemaliger Linksradikalischer Regimegegner, der 15 jahrelang im Gefängnis war und heute ein breites Netz von Vereine in Casablanca leitet : "Marokko hat einen sehr grossen Schritt nach vorne gemacht, doch dies ist nicht irreversibel, weil die Fortschritte nicht institutionnalisiert werden. Das System hat sich keineswegs geändert und die aktuellen Parteien sind machtlos. Der Monarch konzentriert weiterhin die ganze Macht. Wir brauchen eine Republik". Das Versagen der Institutionen ist auch ein Grund, warum sich junge Menschen den Weg durch die Vereinbewegung aussuchen, und nicht durch geschlossenen und veralterten Parteien.

Wichtigen Errungenschaften wie die Mudawana, hat sich eine aktive Zivilgesellschaft erkämpft, durch Druck und Mut, aber diese Fortschritte hängen weiterhin vom guten Willen des Königs ab. Hat nicht Mohammed VI. den entscheidenden Schub für eine neue Mudawana gegeben, während die "Bärtigen" in den vorigen Jahren massiv dagegen demonstriert hatten ? Einen besseren Zeitpunkt hätte er nicht wählen können, da die Gesellschaft nach dem Bombenattentat am 16. Mai 2003 in Casablanca noch unterm Schock lag und die Islamisten diskret bleiben mussten.

"Alles hängt vom König ab, nicht von unseren Institutionen", bedauert auch Bichr Bennani. "Das ist die Weihung der absoluten Macht, nicht die Demokratie". Heute ist die Sprache freier und selbst Herr Bennani gibt zu, dass er seiner Bücher (darunter Zeugenaussagen von gefolterten Häftlingen) seit 1999 problemlos veröffentlicht hat. Aber sobald zeitgenössische Kritik auftaucht, wird die Sache heikler. Marokko ist auf den richtigen Weg zur Einleitung eines demokratischen Kurs, doch kann es auch in diesem Zwischenzustand bleiben. Einige schließen Rückzüge noch nicht völlig aus.

Nathalie Gillet


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Maroc : Fiche pays 2008

Jeune Afrique, Hors-série Etat de l'Afrique 2008

La grande inconnue de l’année 2007 était les élections législatives du 7 septembre, qui devaient déboucher, craignait-on, sur une victoire, voire une participation gouvernementale islamiste. Ce ne fut pas le cas (cf. encadré). Le Parti de la justice et du développement s’est incliné devant le Parti historique de l’Istiqlal (indépendance). Mais la gifle la plus cinglante fut administrée aux socialistes de l’USFP. Arrivés premiers aux législatives de 2002, ils se retrouvent désormais à la cinquième place. La gauche, grande perdante du scrutin, ne domine plus aucune région dans le pays. Le vrai vainqueur de ce rendez-vous électoral a cependant été… l’abstentionnisme, chiffré à 63% ( !), et qu’il faut ajouter aux nombreux votes nuls.
C’est donc au patron de l’Istiqlal, Abbas El Fassi, personnalité peu charismatique du monde politique, que revint la charge de former un gouvernement… Mais devant sa difficulté à obtenir un consensus, c’est à partir d’une liste concoctée en haut lieu, qu’il a finalement constitué son équipe, avec une majorité composée de quatre partis : l'Istiqlal, le Rassemblement national des indépendants (RNI, centre droit), l'Union socialiste des forces populaires (USFP) et d'anciens communistes ralliés de longue date à la monarchie, le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Parmi les nouveautés : un nombre accru de femmes, sept au total, mais confinées dans des postes traditionnellement considérés comme féminins (éducation, santé, jeunesse, culture, famille). Seule exception : Amina Benkhadra nommée ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement, qui a déjà fait ses preuves sous Hassan II. “Notre programme, c’est le discours du trône de Sa Majesté”, a déclaré récemment le nouveau Premier ministre… Dans les rangs de l’opposition, se retrouvent aux côtés du PJD, le parti travailliste, le PSU et pour la première fois le Mouvement populaire.
Si tremblement de terre il y eut ce fut davantage au sein des partis politiques. Trois dinosaures devenus impopulaires ont été plus ou moins poussés à la porte. Mohamed Elyazghi, 72 ans, patron de l’USFP, qui occupe actuellement un poste de ministre d’Etat… sans portefeuille a quitté provisoirement la tête de son parti. Comme successeur certains pressentent déjà l’ancien ministre des Finances, Fathalla Oualalou. Après l’échec électoral, Mahjoubi Aherdane, 94 ans, a rendu les clés du Mouvement populaire. Son exemple a été suivi Ahmed Osman, 77 ans, du RNI. Ces démissions suffiront-elles à régler les crises internes et faire un peu de place à une jeunesse confinée jusqu’ici au monde associatif ? Autre signe d’un changement d’époque : le décès en août de Driss Basri, inamovible ministre de l’Intérieur et bras droit de Hassan II durant les années de plomb. Il enterre avec lui tous les secrets d’Etat qu’il menaçait de révéler depuis son exil parisien.
L’un des défis pour l’année 2008 demeure celui de la sécurité et de l’endiguement des mouvements islamistes armés. Les services de renseignement travaillent à plein régime, appuyés par un maillage policier très efficace. Le 11 mars 2007, un kamikaze s’est fait exploser dans un cybercafé de Sidi Moumen à Casablanca. Le 10 avril, la police abattait dans la même ville un kamikaze qui s’apprêtait à faire de même. Il sera suivi de 6 autres, qui ne feront d’autres victimes qu’eux-mêmes et un officier de police
Sur un autre plan, l’année 2007 s’est également conclue par l’échec de la candidature de Tanger à l’Exposition Internationale 2012, au profit de la sud-coréenne Yeosu. Mais la dynamique engagée par la ville ne devrait pas retomber, les travaux d’infrastructures déjà budgétisés seront menés jusqu’au bout (port de plaisance, espaces verts, transports, etc.). Le nord du pays (essentiellement Tanger-Tétouan), connaît d’ailleurs un renouveau inégalé jusqu’ici. L’inauguration du complexe portuaire intégré TangerMed, en chantier depuis 2002, ajouté au lancement d’un TangerMed 2 avec un port conteneur encore plus important que le premier, y est pour quelque chose. Le projet modifie les équilibres du commerce maritime régional tout en s’appuyant sur de nouvelles zones franches. Et la demande est réelle, comme le confirme la décision en septembre de Renault-Nissan d’implanter près de TangerMed sa future plus grosse usine (300 hectares, 400 000 voitures par an). Cet investissement de plus d’un milliard d’euros fait ainsi de TangerMed un succès irréversible, puisque près de 200 sous-traitants auraient déjà manifesté leur intérêt. Le site figure désormais sur tous les écrans radar.
La future ligne de TGV Tanger-Casablanca puis Casa-Marrakech ajoute à cette stratégie globale en fluidifiant les transports. D’autant que les Marocains se déplacent désormais vers le nord pour y trouver des emplois, chose impensable il y a quelques années. La région Nord longtemps laissée à l’abandon et à la culture du cannabis trouve enfin de nouvelles perspectives. Mais déjà, les prix de l’immobilier flambent, comme ils flambent d’ailleurs sur l’ensemble du pays. Si les autorités marocaines refusent encore de la qualifier ainsi, c’est bien une bulle qui semble lentement se profiler. Les constructions se poursuivent sans répits à la grande joie des cimentiers et des banquiers qui font chauffer le crédit immobilier. Les laissés-pour-compte d’un mètre carré frôlant par moment les 4000 euros n’ont plus qu’à s’en remettre aux programmes de logements sociaux. Ironie du sort : la crise du logement reste entière au Maroc.
Avec la concrétisation des grands chantiers (autoroute Casa-Marrakech, première marina du Bouregreg, extension de l’aéroport de Casablanca, tramway Rabat-Salé), les raisons d’investir se multiplient. Alors que quelques années auparavant, les IDE se résumaient à quelques privatisations, leur niveau semble se renforcer, au moment-même où les privatisations se tarissent. Une forme de confiance s’installe parmi les opérateurs étrangers qui regardent d’un œil positif la réforme bancaire, le Plan Azur (véritable booster du tourisme), le Plan Emergence (industrie). La conjoncture demeure pourtant fragile et le rapport IDE/PIB reste encore loin de celui des dragons de l’Orient mais quelque chose bouge au Maroc, qui prend pour la première fois des allures de pays émergent.
Les lacunes n’en sont pas moins réelles. Des réformes essentielles peinent à voir le jour : celle de l’agriculture, par exemple, qu’il faut rendre plus productive, moins centrée sur la céréaliculture, plus indépendante de la pluie ; de la justice (formation des magistrats) ; du système foncier soumis à une superposition compliquée de régimes anciens. Reste aussi et surtout les secteurs sociaux, dans un pays qui connaît 45% d’analphabétisme. Autre point négatif : le creusement du déficit commercial. Les exportations ont beaucoup moins augmenté que les importations et pour la première fois depuis 7 ans, les transferts des émigrés marocains et le tourisme, qui traditionnellement rééquilibrent la balance courante, ne suffiront pas malgré leur bonne tenue, à combler le déficit courant. Plus de 7 millions de touristes, ont pourtant visité le Maroc en 2007, rapportant plus de 4,4 milliards d’euros. Quant à l’inflation (3,3% en 2006, 2,1% l’an dernier) les Marocains pourront compter en 2008 sur une politique de subvention.
Enfin, la mauvaise campagne agricole, notamment des céréales (1/4 de la récolte précédente) a lourdement pesé sur la croissance 2007, qui s’établit autour de 2%, contre près de 8% en 2006. Une évolution de taille cependant se dessine : alors qu’au Maroc, une mauvaise récolte se soldait systématiquement par de la récession, elle n’entraîne plus aujourd’hui qu’un tassement de croissance. La progressive diversification de l’économie marocaine porte ses fruits. Mais la saison des pluies a mal commencé cette année et deux ans de sécheresse de suite seraient difficiles à tenir.
Nathalie Gillet

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Tanger Med, hub méditerranéen par excellence

Journal de la Marine Marchande, Septembre 2007

« Nous venons d’arrimer physiquement le Maroc à l’Europe », déclarait le Premier ministre marocain Driss Jettou le 27 juillet au Journal de la Marine marchande. « Nous allons méditerranéiser le Maroc », enchaînait Fathalla Oualalou, ministre des Finances. Ce jour-là, APM Terminals Tangier, filiale d’AP Moller Maersk, inaugurait le tout premier terminal de conteneur du complexe portuaire Tanger Med, dont elle détient la concession pour 30 ans. Après un investissement de 160 millions d’euros, la totalité des 800 mètres de quai d’APM ne seront opérationnels qu’en octobre mais le premier navire transportant des conteneurs pleins est attendu pour septembre.

Au final, TangerMed comptera 1600m de quai à conteneurs, après la mise en service de la seconde tranche l’an prochain, avec une capacité annuelle de 3,5 millions de TEU, auxquels s’ajoutent un terminal roulier-passagers (7 millions de passagers et 500 000 camions), un terminal pétrolier et un terminal céréalier. Coût total du projet : 1,4 milliard d’euros, infrastructures comprises. L’Agence spéciale Tanger Med (TMSA), en charge de sa réalisation, aura largement tenu les délais.

Ce nouveau port en eau profonde est un port de transbordement, situé sur le Detroit de Gibraltar, à l’intersection des grandes routes maritimes Est-Ouest et Nord-Sud, qui voit passer 200 navires par jour. Avec un temps d’approche de 45 mn à 90 mn maximum et ses 16m de tirant d’eau (18m par endroits), « il pourra même accueillir les navires qui seront développés dans l’avenir, puisque les plus grands d’entre eux ont actuellement un tirant d’eau de 15,5m », précise Etienne Rocher, Directeur d’APM Terminals Tanger. Les navires de la série EMMA, d’AP Moller Maersk (397 m de long, 56m de large, avec un emport de 11000 conteneurs EVP) peuvent donc y escaler sans la moindre difficulté. Un avantage technique qui se traduit rapidement en avantage de coûts. C’est là que tout va se jouer.

Le trafic mondial de conteneurs augmentant en effet de plus de 10% par an, l’enjeu maritime de demain, ne concerne pas les tonnages mais les terminaux où ces derniers seront traités. « Le bateau qui charge à Singapour entre dans une politique d’optimisation par la taille et la rapidité. Et c’est cela qui détermine le chemin », explique Taoufik Bengebara, président du Comité de pilotage TangerMed-Afrique de l’Ouest. Présent déjà sur le port d’Algesiras, Maersk a créé l’axe direct Singapour-Algesiras (17 jours de transit-time), permettant de desservir par transbordement les ports de l'Afrique de l'Ouest et de la péninsule ibérique. « Il s’agit d’une équation purement industrielle. Mais cette stratégie a permis à Maersk de capter les flux Chine-Afrique et Chine- Ouest Med (Malaga-Bilbao), lui donnant une bonne longueur d’avance sur les concurrents. Pris de court, ces derniers ont cherché à suivre le modèle et à se trouver une place sur Gibraltar », ajoute Bengebara.

Fort de son positionnement exceptionnel, Tanger Med ne pouvait pas tomber mieux. L’attribution à AP-Moller Maersk (encore…) du premier terminal a renforcé la position de la compagnie, qui fermait quasiment le détroit. La bataille qui a suivi autour du second terminal a été rude pour une concession revenue finalement au consortium Eurogate-Contship, CMA-CGM (français), Comanav (marocain, racheté depuis par CMA-CGM) et MSC (suisse).

L’extension lancée à Isla Verde par Algesiras, le port concurrent situé à 14 km à peine, ne devrait pas gêner l’activité du nouveau complexe, malgré la capacité de 4,5 millions de conteneurs qu’elle ajoutera au port espagnol. Selon les calculs d’APM, le volume de conteneurs devrait en effet doubler d’ici à 2014. Le nouveau complexe aura pour effet de désencombrer Algésiras et Casablanca, terriblement congestionné, et de permettre aux armateurs de gagner en transit time sur l’ensemble des ports.

« Contrairement au port de Casablanca, devenu essentiellement un port d’importation, le hub d’éclatement de TangerMed peut fonctionner sans relation avec le marché marocain et trouvera son équilibre économique de toutes les façons », s’enthousiasme Jean-Luc Martinet, président de la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc. « Plus il y aura de navires, avec des prix compétitifs et une mutualisation des équipements, plus il sera facile aux entreprises étrangères de venir produire au Maroc à bas prix pour exporter à travers le monde. Cela va entraîner tout le développement du Nord du pays ». Un argument d’autant plus pertinent que outre l’actuelle Tanger Free Zone (TFZ), ce projet intégré comprend 3 zones franches supplémentaires (logistique, commerciale et industrielle), reliées aux réseau routier et de chemin de fer,

« Les accords de libre-échange signés avec l’UE et les Etats-Unis permettront d’exporter avec le label Maroc à partir de ces 3 zones pratiquement sans droits de douanes », explique pour sa part Youssef Benchekroun, de TMSA, qui ajoute que « la notion de zone franche devient une denrée rare dans le monde. En Europe, vous n’en trouvez quasiment plus de disponible ! ».

C’est la zone logistique de 130 ha, accolée aux quais et opérée en partenariat avec l’émirati Jafza qui ouvrira la première, début 2008. Les marchandises de régions lointaines pourront y être entreposées, conditionnées, puis renvoyées par bateaux feeder vers l’Afrique de l’Ouest ou réexportées en Europe par camion grâce au terminal roulier, « et ce en une demi heure, avec le prix de l’Afrique, pas le prix européen ! », ajoute M. Bencheqroun. Les 600 ha de zone industrielle seront opérationnels à Melloussa début 2009 et mettront l’accent sur les secteurs pour lesquels le Maroc possède un avantage comparatif : équipement automobile, électronique, offshoring, aéronautique. Plusieurs km à l’ouest, TFZ qui a déjà 7 ans, est en plein boom. Ses 260 entreprises ont exporté pour $ 800 millions en 2006 et créé au total 32 000 emplois. Le rythme des demandes d’agrément augmente tous les mois.

Mais ce n'est pas fini. Les autorités marocaines prévoient une saturation du port en 2015 et ont lancé un "TangerMed 2" à quelques km. Il portera la capacité du complexe à plus de 8 millions de conteneurs d’ici à 2012, faisant de TangerMed l’un des tous premiers ports de Méditerranée. TM2 coutera 1,3 milliard d’euros mais est plus important que le premier, avec 2800 m linéaires de quais, cédés en deux concessions : un terminal à conteneur dédié (1600 m) et un terminal avec obligation de service public. Les appel à manifestation d'intérêt, ont été lancés et les premiers candidats short listés cet été (dont Maersk…), pour une concession attribuée au 1er trimestre 2008. La compétition ne manquera pas d'être féroce pour empêcher l’installation des armateurs chinois, tenus en embuscade.

Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Tanger

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TangerMed

The Maritime Journal,  Royaume-Uni, Septembre 2007

APM Terminals Tangier, a subsidiary of AP-Moller Maersk, inaugurated the first container terminal of huge TangerMed complex on 27th July, the concession of which it won for 30 years. Real operations with full containers should start in September. The second container terminal awarded to Eurogate-constship consortium, with French CMA-CGM, Moroccan Comanav (now belonging to CMA) and Swiss MSC, is to open next year. After completion, TangerMed will offer over 1600m linear dock and be able to handle 3,5 million TEU, one million vehicles and 500 000 trucks a year, in addition to hydrocarbon and cereal terminals.

Dredging, works on the sea wall, part of the quays were carried out by French Bouygues consortium, with Moroccan Bimaro (subsidiary of Bouygues) and Italian Saipem, for 270 million Euros. The 1600m long quayside is being built for 100 million Euros by another consortium: Somagec, the first Moroccan maritime construction company, and Belgian Besix, who did similar quays in the Emirates and is currently building Dubai’s biggest towers in the world. Early this year, Bouygues won the building contract of RORO terminal for 160 million.

The deepwater port is located on the Strait of Gibraltar, only 14 km away from Algeciras port, at the crossroad of main East-West and North-South maritime trade lanes, where 200 vessels pass every day. Even Algeciras’ launching Isla Verde extension with 4.5 million additional container capacity, shouldn’t harm TangerMed’s development, as container volumes are to double by 2014. The platform is bound to become a major transhipment hub in the Mediterranean Sea.

As a mater of fact, “TangerMed will be able to accomodate the biggest ships in the world, even future ones given its depth alongside of 16 to 18 meters and approach time of less than 90 minutes”, Etienne Rocher, Manager of APM Terminals Tangier states. Mearsk Sealand created the Singapore-Algeciras direct lane in 17 days transit time, urging ships into using the road for trade between China and Africa or China and West Mediterranean ports. Competitors had no choice but catch up and try to settle at Gibraltar too. TangerMed came just in time.

Three future free trade zones linked to the port will also stimulate import-export activities independently from Moroccan market. The logistic one operated with Emirati Jafza will open on spring 2008. Goods arriving from remote destinations will be packaged there and shipped through feeders to smaller ports or re-exported by trucks. “Free zones are becoming rare. You will hardly find any available left in the EU”, Youssef Bencheqroun from Tanger Med Special Agency says.

TangerMed is actually expected to reach saturation by 2015. To anticipate, another similar project called TangerMed 2, has already been launched a few miles West from TangerMed 1, for 1.7 billion USD. Bigger than the first one, TM2 will raise the complexe’s capacity to over 8 million containers a year by 2012 !! Its 2800m berth will be awarded in two blocs: one container terminal of 1600m and one terminal with binding public service requirements. Maersk, among short-listed candidates for the first terminal is holding its breath until the result by March 2008. Competition indeed will be ruthless to prevent ambitious Chinese shipping companies from settling in one of their natural markets.

Nathalie Gillet, in Tangier

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Banques marocaines à l’assaut de l’Afrique

Jeune Afrique, 20 août 2007

L’assainissement et la concentration du secteur bancaire marocain depuis fin des années 1990 a donné à ses acteurs nationaux une assise financière solide et une longueur d’avance sur leurs voisins maghrébins en matière d’ingénierie financière. Filiale de l’Omnium Nord Africain et partenaire de l’Espagnol Banco Santander, Attijariwafa Bank (AWB) a enregistré un PNB en hausse de 20% à 6,78 milliards de dirhams en 2006. Elle occupe le premier rang en termes de dépôts (27,5%) et de crédits (25% des crédits par décaissement distribués, 30,8% des engagements par signature). Le groupe Banque populaire (public) a enregistré un PNB consolidé de 6,2 milliards tandis que la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE), deuxième banque privée a vu le sien augmenter de 16,3 % à 3 milliards.
Les banques marocaines ont acquis aujourd’hui un niveau de maturité qui les pousse à conquérir désormais de nouveaux territoires. Outre le marché Marocains résidant à l’étranger, c’est en Afrique que se situe leur champ de bataille, avec pour chacune des stratégies propres : dominante corporate pour la BMCE, banque de détail pour AWB et pour les Banques populaires, qui insistent sur le concept de proximité.
BMCE vient de franchir un pas décisif cette année en signant un accord pour le rachat de 35 % du capital d’African Financial Holding (AFH), qui contrôle le groupe Bank of Africa (BOA). « BOA sera notre réseau de banques commerciales. Elle nous a séduits parce que c'est un réseau fondamentalement sain et jeune », explique Jaloul Ayed, d’administrateur-directeur général de BMCE-Bank. « La BMCE peut apporter à BOA des compétences dans de nombreux domaines : monétique, transferts des Africains résidents à l'étranger, nouvelle configuration du réseau (spécialisation des agences), stratégie de proximité. ». Des fonds propres, aussi, après la défection de la Belgolaise, ancen partenaire de BOA.
Mais c’est surtout au Sénégal que la marocaine a pris pied à travers BMCE Capital, conseiller de l’Etat du Sénégal et architecte du montage financier du nouvel aéroport international de Dakar.

De son côté, Attijariwafa Bank n’est pas en reste, avec l’acquisition en janvier dernier de 66,6 % de la Banque Sénégalo Tunisienne (6 % des parts du marché sénégalais), quelques mois seulement après l’installation de sa filiale Attijariwafa bank Sénégal, qui compte déjà 3 agences et un PNB de 1,45 million de dirhams. Les deux entités devraient donner naissance à Attijari Bank Sénégal. Quelques produits ont déjà été lancés comme les transferts d’argent (Western Union), la monétique (Carte Visa, Pack Yeksil). Si la BST était orientée PME/PMI, « la nouvelle stratégie sera axée sur le retail », précise Ismail Douiri, du Pôle Finance, Transformation et Opérations. On pressent des visées au Niger, Burkina Faso, Gabon, Guinée Equatoriale, et comme pour BMCE au Gabon, où les entreprises marocaines sont très présentes.
Le groupe Banque populaire s’est également implanté en Afrique subsaharienne via deux filiale en 1990 : en Guinée avec la Banque populaire maroco-guinéenne (53,9 % BCP, 43,24 % État guinéen) et en Centrafrique avec la Banque populaire maroco-centrafricaine (57,5 % BCP, 37,5 % État centrafricain, 5 % BMCE Bank). Il compte un maximum de 3 agences dans chacun des pays et une part de marché respective de 5% et 26%. « Ces filiales ont dépassé une situation difficile de départ et se trouvent désormais, malgré le contexte dans un train de rentabilité », assure un cadre de la banque, qui avoue également quelques visées au Sénégal, mais aussi… au Congo.
Mais s’il est un terrain de chasse naturel pour le Maroc c’est bien l’Afrique du Nord. La Tunisie ne délivrant plus d’agréments, la privatisation de banques même de petite taille est très convoitée Celles en cours de la Banque franco-tunisienne (BFT) et Banque tunisio-koweitienne (BTK), ont naturellement attiré la candidature des 3 principales banques marocaines : Attijariwafa Bank pour la première, Banques populaires pour la seconde et BMCE pour… les deux. AWB, plus serein, a déjà raflé avec son actionnaire espagnol Santander, 33,5 % du capital de la Banque du Sud en novembre 2005 (entre 8 et 9% de parts de marché), au nez et à la barbe de la française BNP Paribas. Sa filiale rebaptisée Attijari Bank accuse encore des pertes en 2006 en raison du provisionnement du portefeuille en souffrance, des suspens et des moins values sur titres. Près de 130 millions de dinars tunisiens (75 millions d’euros) sont venus renflouer le capital, dont 80 millions sous forme d’emprunt obligataire convertible en actions – une première dans la scène financière tunisienne. La situation devrait s’améliorer dès 2007 promet la banque.
Avec Axis Capital, sa filiale d’intermédiation boursière, de gestion d'actifs et d’ingénierie financière inaugurée en juin 2006, BMCE peut de son côté exercer des activités de banque d’affaires mais ne possède pas de licence. Pas question cependant de laisser le marché à son rival. « La combinaison d'Axis Capital et d’une banque commerciale peut donner naissance à une vraie banque universelle », s’enthousiasme Jaloul Ayed.
En Algérie, les deux banques privées attendent avec impatience le résultat de leur demande d’agrément pour faire cette fois de la banque universelle. BMCE s’y est fait accompagner du français CIC, de la BEI, de San Paolo Imi et de Banco Espirito Santo. Mais le durcissement fin 2006 des critères d’admission lié au scandale Khalifa, rend les choses plus compliquées sur ce juteux marché de 33 millions d’habitants.
Restent la Libye et surtout la Mauritanie que convoite également la Banque populaire avec un peu d’avance puisque une demande d’agrément a déjà été déposée. « Notre business modèle correspond parfaitement aux besoins de la région : banque de détail, bancarisation, soutien de la PME-PMI et de l’artisanat, développement du microcrédit, via notamment la Fondation BP pour le microcrédit », affirme un directeur général de la banque. Pas question de se limiter aux grandes entreprises et au commerce extérieur. Composé de la Banque centrale populaire (BCP) et de ses 11 Banques populaires régionales, le groupe dispose d’un réseau qui couvre également l’arrière pays marocain, quand la plupart des banques privilégient les pôles économiques. Quelque 80 agences auraient été ouvertes en 2006, une centaine est prévue cette année. Prise indépendamment de son groupe, la BCP, cotée en Bourse depuis 2004, a remporté la palme de la rentabilité en 2006, avec une bonne maîtrise des charges et un ROE de 24%.
Mais les nouveaux marchés conquis peu à peu par ses concurrentes privées à l’extérieur du Maroc devraient apporter de nouveaux et précieux relais de croissance à ces dernières.
Nathalie Gillet
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ENCADRE : BOA, le réseau local de BMCE
Né en 1982 en Afrique de l’Ouest, Bank of Africa a étendu sa présence à 11 pays : Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Kenya, Madagascar, Mali, Maurice, Niger, Sénégal et plus récemment, Ouganda (avec le rachat de Allied Bank fin 2006) et Tanzanie (avec l’intégration de Eurafrican Bank en 2007). BOA a également obtenu un agrément bancaire à l’île Maurice et devrait y ouvrir une filiale cette année. « Mais la liste des prochaines ouverture est longue, affirme Jaloul Ayed, notre objectif est de couvrir 15 pays d’ici à la fin de l’année et 20 à fin 2008 » BOA affichait fin 2005 un total de bilan de 1,25 milliard d’euros et 975 millions d’euros de dépôts, contre plus de 5 milliards pour le Groupe BMCE.
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ENCADRE 2 : L’Europe, relai des stratégies africaines
Si les stratégies des banques marocaines se différentient également en Europe, l’objectif reste le même : capter les transferts financiers entre les deux continents. En complément de la nouvelle assise africaine offerte par Bank of Africa, BMCE mise sur Medicapital Bank, sa filiale londonienne, au cœur de la finance mondiale. L’agrément a été obtenu le 16 mai 2007 , avec un capital initial de 175 millions de dollars. « C'est Medicapital Bank qui va conseiller, structurer et placer les transactions pour notre clientèle africaine », assure M. Ayed. Son expertise corporate vise les grands contrats d’équipements, d’infrastructures, ou les privatisations. La filiale est le premier actionnaire privé de la Banque de développement du Mali (avec 20 % du capital) et contrôle la Congolaise de Banque (25 % du capital).
Attijariwafa Bank a sa filiale à Paris, avec des représentations en Belgique et en Allemagne, bientôt en Italie, Espagne et aux Pays-Bas), propose aux immigrés africains des produits de banque de détail, le dernier en date étant sa carte de retrait et de paiement spécial MRE.
De son côté, le Groupe Banques populaires, a été chronologiquement le premier à s’implanter en Europe en 1972, avec sa filiale parisienne Banque Chaabi du Maroc. Il détient toujours 56% des dépôts des résidents à l’étranger et n’est pas prêt à céder sa part du gâteau aussi facilement. NG

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Derniers coups de pioche à Tanger-Med

Jeune Afrique, 24 juin 2007

Ce sont désormais les derniers coups de pioche que l’on entend. Dans quelques semaines, le 1er quai à conteneurs du nouveau grand complexe portuaire Tanger-Med, situé en plein détroit de Gibraltar, à l’intersection des grandes routes maritimes du monde, sera prêt pour recevoir son tout 1er porte-conteneurs. Choix du site en 2001, création de l'Agence Spéciale Tanger Méditerranée (TMSA) en 2002, 1er marché attribué en juin 2003, jamais projet marocain n'est sorti aussi rapidement du chapeau. TMSA a eu toute latitude pour faire des choix indépendamment de l'Office des ports ou du ministère, confiant la totalité de la gestion à des privés. C’est APM Terminals Tangier, filiale d’Akwa et de AP Moller Maersk, gestionnaire du quai pour 30 ans, qui ouvrira donc le bal fin juillet.
Les 5 grues à conteneurs nouvelle génération, "super-post Panamax", sont déjà en place (80m de haut, 145m d’envergure, 1700 tonnes chacune) tandis que les "abeilles", ou remorqueurs, sont activées depuis 3 mois (concession de 25 ans, remportée par la filiale du français Bourbon). Pour protéger le quai, une digue de 2 km a été construite sous forme de talus prolongé en mer par 39 caissons préfabriqués en béton armé. APM Terminals Tangier devra investir au total près de 160 millions d’euros, employer 700 personnes et capter un trafic annuel minimum de 1,5 million de conteneurs.
L’inauguration prévue en juillet se fera avec celle de 3 zones franches, logistique (90 ha), industrielle (600 ha) et commerciale (200 ha), dont l’exploitation a été confiée au leader émirati Jebel Ali Free Zone International (JAFZI). Tanger Med qui mise sur l'arrière pays pour renforcer son trafic se veut un projet intégré.
Le 2nd terminal à conteneur, d'une taille comparable au premier (800 m) sera géré par l'opérateur germano-italien Eurogate Contship, la compagnie marocaine Comanav, la française CMA CGM et la suisse MSC. Les travaux commencés en juin dernier devraient permettre une entrée en service l’an prochain. Quelque 300 millions d'euros devraient être investis, pour une capacité de 1,5 million de conteneurs par an.
Tanger-Med n’est d’ailleurs pas entré en service que déjà, pour palier une saturation supposée en 2015, le royaume en prévoit l’extension : un Tanger-Med II. Port de transbordement similaire, à proximité immédiate, il comprendra 3 quais à conteneurs supplémentaires en eau profonde sur plus de 2,4 km, d’une capacité totale de 5 millions de boîtes. Comme pour TangerMed I, des caissons en béton constitueront la digue principale de 1,3 km. Le port accueillera également passagers et camions TIR sur 226 m, comprendra un terminal de gaz naturel liquéfié et une unité de regazéification. Les travaux démarreraient dès 2008, pour une mise en service en 2012. Coût des opérations : 1,25 milliard d’euros. TMSA espère attirer des fonds arabes et attend des armateurs asiatiques et des partenaires de Dubaï.
La dynamique réelle de l'arrière pays marocain et l'attraction effective des entreprises dans les zones franches reste toutefois difficile à apprécier. Espérons en attendant que le projet permettra une meilleure répartition des richesses au profit de la Région Nord, longtemps laissée à l'abandon.
Nathalie Gillet

ENCADRE :

S'appuyant sur sa position géographique, Tanger Med vise les économies d'échelles : accueillir de gros bateaux de 8000 EVP grâce à son tirant d'eau de 16 à 18m et profiter de la croissance annuelle secteur maritime de 13%, quand la plupart des ports méditerranéens sont saturés. Profiter notamment du trafic Chine - Afrique qui progresse de 15 % par an. "Un conteneur qui vient d'Asie est actuellement transbordé dans un port européen, puis placé sur un feeder pour arriver au port marocain, ce qui représente un surcoût", explique Mohamed Hafnaoui, directeur délégué de TMSA. Aujourd'hui, les routes maritimes les moins coûteuses demeurent celles de la Méditerranée, à travers le canal de Suez, la ligne traditionnelle via l’Afrique du Sud n’étant rentable que jusqu’au sud du Nigeria.
Avec Tanger Med II, la capacité totale du complexe portuaire devrait être portée à 8,5 millions de conteneurs ! Porte principale vers l’Afrique de l’Ouest pour les produits en provenance d’Asie, et futur point incontournable pour le transit des conteneurs venant d’Amérique latine, d’Amérique du Nord et d’Europe, ce sera aussi le 1er hub de transbordement de céréales, infrastructure inexistante actuellement dans la région Nord-Ouest de l’Afrique. En face, Algesiras, qui traite 3,5 millions de boites par an, n’a pas dit son dernier mot et met en concession de nouveaux quais.
Nathalie Gillet


Maroc : Banques sans frontières

Jeune Afrique, Hors-Série "Finance", octobre 2006

Après l'assainissement et la concentration du secteur, les banques marocaines s'affrontent désormais en territoire étranger : en Afrique pour accompagner les entreprises marocaines et de plus en plus en Europe sur le terrain des Marocains résidant à l'étranger (MRE).

Les banques marocaines, publiques comme privées, n'ont pas chômé en 2005. Après une politique d'assainissement menée par le Maroc depuis plusieurs années, leur rentabilité s’est nettement améliorée, avec un PNB en hausse de 8,5% frôlant les 20 milliards de dirhams. Le secteur s'est modernisé et le nombre de cartes bancaires est passé de 500 000 en 2000 à 2,5 millions en septembre 2005.

Ce sont les banques privées qui ces dernières années ont marqué leur différence en termes de performance, grâce à une gestion plus rigoureuse du risque. Leurs créances en souffrance ne représentent plus que 9,5% du total des bilans bancaires à fin mars 2006 (contre 16,2% au niveau national), avec un taux de couverture par les provisions de 74%. Les banques publiques ont elles aussi rationalisé et fait passer le taux de couverture de 46,8 à 60,7%. C'est encore insuffisant mais non négligeable après des années de mauvaise gestion et d’octroi inconsidéré de crédits. Selon l'agence de notation Standard & Poor's, des quatre institutions publiques, seul le Crédit Populaire du Maroc (appelé aussi groupe Banques populaires), a "un profil comparable à celui des banques privées".

Modernisation et mise à niveau ont encouragé plusieurs banques occidentales à injecter des capitaux dans les banques privées (cf. tableau) et permis des transferts de technologie. En mai dernier, la BMCI (filiale de BNP Paribas) a innové en lançant les premières cartes à puce à usage national. Quant-au Crédit Immobilier et Hôtelier (CIH, n°2 dans sa branche), affaibli par les scandales financiers du passé, son horizon s'est éclairci début juillet dernier, avec l’entrée indirecte des Caisses d’Epargne françaises dans son tour de table (25%). La nouvelle direction affirme avoir récupéré une bonne partie des crédits en souffrance (près de 24 milliards de dirham de sous-provisionnement) mais le travail sera long. Stratégie principales : partir du crédit logement pour rebondir sur d'autres produits comme la bancassurance ou le crédit à la consommation, en bref, bancariser à travers l’accès au logement.

Au niveau réglementaire, l’adoption dès janvier 2007 des nouvelles dispositions réglementaires de Bâle II, constituera en tous les cas la plus profonde mutation du secteur depuis 1998. Elle obligera les banques à revoir leur manière d’appréhender le risque, par la différenciation notamment des besoins en fonds propres. Au niveau du continent, hormis l’Afrique du Sud, le Maroc fait figure d’exemple puisqu'il remplit 80% des 25 principes de base définis par l’accord de Bâle II. Les filiales des banques françaises sont de fait plus avancées mais les grandes banques marocaines ont fait appel à des cabinets spécialisés.

Présence étrangère dans les banques marocaines en 2005

 

Banques

 

Actionnaire étranger de référence

 

Part détenue par l'actionnaire étranger

 

Attijariwafa Bank

 

Grupo Santander

 

14,5%

 

BMCE Bank

 

CIC et Espirito Santo

 

10,0% et 2,77%

 

BMCI

 

BNP Paribas

 

65,1%

 

SGMB

 

Société Générale

 

51,9%

 

CDM

 

Calyon

 

52,7%

 

Arab Bank Maroc

 

Arab Bank plc

 

100%

 

Citibank

 

Citibank

 

100%

 

CIH

 

Caisses d'épargnes françaises

 

25%


Le secteur bancaire marocain s'est aussi fortement concentré, avec 15 établissements aujourd'hui contre 21 en 2000, dont 6 cotés en bourse. Les trois premières banques (une publique, Crédit populaire du Maroc, et 2 privées, Attijariwafa bank, et BMCE Bank) contrôlent aujourd'hui plus de 74% du marché des dépôts et 67% du marché des crédits, tandis que 3 banques à capitaux étrangers (SGMB, CDM et BMCI) détiennent un tiers du marché.

Attijariwafa Bank, poids lourd national issu de la fusion-absorption de BCM/Wafabank en 2004 (cf. notre hors-série précédent) a largement dépassé ses prévisions de croissance pour 2003-05, défiant aujourd'hui le groupe Banques populaires. Fin 2005, elle contrôlait près de 96 milliards de dirhams de dépôts (+15,4% par rapport à 2004) soit 26,56% de part de marché, mais elle n'a pas encore réussi à détrôner la banque publique (26,97%). C'est chose faite en revanche du côté des engagements où elle dépasse de loin ses concurrents (65,1 milliards de crédits, 22,71% de part de marché). Derrière elle, BMCE Bank, la 2e banque privée n'est pas mécontente, avec un bénéfice en hausse de 28,5% cette année, à 735 millions de dirhams.

Mais la bataille aujourd'hui ne se joue plus seulement à l'intérieur du Royaume. L'heure du Maroc est en effet à la croissance externe : en Afrique, au Maghreb, mais aussi en Europe. "Nos clients sont en train de devenir internationaux et le marché marocain s'est concentré " explique Ismail Douiri, directeur stratégie et développement de Attijariwafa Bank : "il n'y a donc plus de perspective de croissance rapide par l'acquisition".

Dans la région Maghreb, c'est en Tunisie que l'implantation des institutions marocaines est la plus avancée. Après Maghreb Titrisation, qui a décroché en juin 2005 un mandat d’arrangement et de gestion des opérations de titrisation de la Banque internationale arabe, Attijariwafa Bank a racheté en novembre (avec son actionnaire espagnol Santander) les 33,54% du capital de la Banque du Sud, détenus par l’Etat. Avec une part de marché de 9% des dépôts et des crédits, la banque tunisienne se positionne au 5e rand dans son pays. L'objectif fixé par son repreneur est qu'elle apporte 10% du résultat du groupe marocain d’ici à 2010. Pour cela, cependant, il lui faudra surmonter son principal handicap : la mauvaise qualité de son portefeuille de crédit, problème systémique en Tunisie. La couverture des créances devrait donc prendre 3 ans. Cinq nouvelles agences vont bientôt enrichir le réseau national qui en compte déjà 93, ainsi que 25 nouveaux guichets automatiques. Le tout relooké et réaménagé. Rebaptisée Attijari bank, la filiale tunisienne portera donc le logo Attijariwafa Bank avant la fin de l'année.

De son côté, la banque d'affaires BMCE capital a racheté l'an dernier 50% d’Axis, un groupe tunisien de conseils et d’études financières, avant d'en faire Axis Capital en juin 2006 (activité corporate, gestion d’actifs et intermédiation boursière). Le siège flambant neuf de la nouvelle société est situé en plein cœur de l’avenue Mohammed V à Tunis, l’artère où se concentrent les principales institutions financières du pays. Mais avant de devenir une vraie banque d'affaires, il lui faudra obtenir un IVT (intervenant sur les valeurs du Trésor).

Autre marché alléchant, l'Algérie, qui ouvre et modernise peu à peu son secteur bancaire. BMCE comme Attijariwafa l'ont bien compris et ont déposé chacune une demande d'agrément pour la création d'une filiale. Seul problème, le Conseil de la monnaie et du crédit habilité à l'accorder en Algérie, se réunit à un rythme… non défini. Les projets marocains sont en tous les cas sérieux. Celui de banque universelle euro-méditerranéenne de la BMCE aurait dans son tour de table le français CIC (qui traite déjà une bonne partie des paiements commerciaux entre opérateurs français et algériens) et le Portugais (Banco Espirito Santo), mais aussi la Banque européenne d'investissement à hauteur de plusieurs millions d'euros ! Quant à Attijariwafa bank, son dossier serait déjà complètement instruit sur le plan technique. Les deux banques espèrent débuter leurs activités avant la fin de l'année. In cha allah…

Malgré sa petite taille (2,5 millions d'habitants), la Mauritanie également donne quelques idées : "l'ouverture de la route jusqu'à Dakar et la future route est-ouest vont faire de ce pays une plateforme importante de commerce pour certains de nos clients notamment dans la distribution alimentaire", a affirmé M. Douiri à Jeune Afrique. La BMCE de son côté a déjà lancé des prospections.

Seconde région naturelle d'expansion pour les banques marocaines : l'Afrique de l'Ouest, plus particulièrement le Sénégal. Présente déjà au Mali depuis 1993 (avant sa privatisation) avec 17% de la Banque du développement du Mali, au Congo avec 25% de la Congolaise des banque, la BMCE a inauguré en 2003 sa banque d'affaires à Dakar, qui doit rayonner sur l'Afrique de l'Ouest. Le groupe marocain ne cache pas non plus ses visées sur le Gabon, où le PDG Othman Benjelloun s'est engagé en juin dernier à établir avant la fin de l'année une banque d'affaires filiale de BMCE Capital, en association avec le plus grand groupe bancaire du Gabon, la BGFI Bank. Le Cameroun également serait au programme.

Attijariwafa Bank, de son côté vient d'inaugurer le 7 juillet sa première filiale africaine à Dakar après un an de tractations. "Trois agences sont ouvertes et une 4e en cours d'aménagement ouvrira avant la fin de l'année", annonce Ismail Douiri, qui espère un total de 10 agences d'ici à 2010. "La filiale sera une porte d’entrée pour le groupe vers la région de l’Afrique de l’Ouest", explique la direction, qui table sur une part de marché de 5% au Sénégal. Pour cela le groupe devra affronter les filiales des banques françaises, notamment Société Générale et Crédit Lyonnais, qui contrôlent plus de 50% du marché, mais aussi la banque locale CBAO qui en détient 35%.

"Il y a également des opportunités dans la zone Cemac, plus éloignée pour nous mais qui comprend des pays où les entreprises marocaines sont déjà actives, comme le Gabon ou la Guinée équatoriale", ajoute M. Douiri, qui se réfère notamment aux groupes Chaabi et Jet Sakan (logements sociaux), aux entreprises de services pétroliers comme Satram (Gabon et Cameroun) ou à Somagec (construction de ports en Guinée). Des contacts préliminaires ont été établis avec les gouvernements.

Du côté des banques publiques marocaines, le Crédit populaire du Maroc n'est pas en reste avec ses 9 bureaux de représentation en Europe et au Canada et deux filiales en Afrique, l'une en Guinée et l'autre en République centrafricaine . Sa notation par S&P a été renouvelée : BB+ à long terme et B à court terme, avec «des perspectives de développement stables». Le groupe banques populaires entend donc bien préserver sa pole position sur le marché des Marocains résidant à l'étranger (MRE) qui constituent près de 60% de ses dépôts. Sur ce créneau elle détient encore une bonne longueur d’avance par rapport aux concurrents du privé et surtout un avantage historique : la présence de guichets dans les consulats pour traiter les transferts d'argent.

Car c'est bien sur le marché des MRE que se joue aujourd'hui la bataille la plus féroce. Plus d'un quart des 339 milliards de dirham de dépôts au Maroc provient de ces travailleurs émigrés à l'étranger, qui gardent des liens financiers forts avec leur pays d'origine. C'est la première source de devises du pays. "Même si cela se passe en Europe, il s'agit d un business Maroc répondant à des besoins en dirham (transferts de fonds aux familles, crédits immobiliers)", précise M. Douiri. De fait, de grandes restructurations s'observent au sein des réseaux européens des banques marocaines.

Attijariwafa bank a ainsi mis les bouchées doubles en janvier dernier en transformant en filiale sa succursale parisienne (elle-même issue des structures que possédaient BMC et Wafabank avant leur fusion). C'est en juillet 2005 qu'elle a obtenu le précieux agrément de la Banque de France. Banque de droit européen, Attijariwafa bank Europe, créée en janvier dernier, peut s'établir dans tous les pays de l'Union. "Notre but est l'européanisation", explique un haut responsable. Toutes nos représentations à l'international vont être transformées en succursales de la banque française : Belgique, Allemagne et Pays-Bas d'ici à décembre 2006, le reste avant fin 2007 (Italie, Espagne, Royaume Uni notamment). Le groupe espère multiplier par 2,5 le volume des transferts des MRE d'ici à 2010.

Implantée déjà en France en Espagne et en Italie, c'était également à Paris que la BMCE voulait asseoir sa filiale européenne spéciale MRE. Mais sa succursale présente dans la capitale française depuis 1972 n'a finalement pas obtenu le sésame de la Banque de France. S'estimant pourtant largement qualifiée, c'est par dépit ("la mort dans l'âme", selon les termes d'un responsable) que le groupe marocain s'est tourné vers Londres. Deux poids deux mesures ? Favoritisme au profit du groupe qui via l'ONA compte dans son tour de table un actionnaire "royalement" prestigieux ? Les spéculations sur les raisons du refus vont bon train.

En cours de création, la filiale BMCE de Londres, appelée Médi Capital Bank (car présentée comme méditerranéenne), supervisera donc l'ensemble des implantations européennes de BMCE Bank à l'étranger, reprenant les activités de Paris et de Madrid. En attendant les autorisation officielles, des locaux ont été loués, du personnel recruté. "Londres sera une source de structuration de transaction pour la région maghrébine et Afrique parce que c'est le plus grand marché financier d'Europe", explique un haut-responsable :"Elle aura la niche d'activité de marché et corporate; elle travaillera pour les implantations internationales : Paris, Madrid et Dakar et peut-être demain Libreville, Douala ou encore la Mauritanie".

Les ambitions sont grandes et apportent leur pierre à la nécessaire intégration régionale du Maghreb. Pour autant, le faible taux de bancarisation marocain (25% de la population, 1 agence pour 20 000 habitants) promet au niveau national également des perspectives intéressantes.

Nathalie Gillet

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Tanger Méditerranée : un projet portuaire bien avancé

Journal de la Marine marchande, juin 2005

Situé en plein détroit de Gibraltar, à l’intersection des grandes routes maritimes du monde, juste en face d'Algesiras qu'il va concurrencer, le grand complexe portuaire de Tanger-Méditerranée voit sa réalisation avancer à grands pas (cf. encadré). La promesse d'une mise en service en juillet 2007 devrait être tenue et la pertinence du projet a eu raison de ses premiers contestataires.

Aujourd'hui, les routes maritimes les moins coûteuses demeurent celles de la Méditerranée, à travers le canal de Suez. Compte tenu de la croissance du trafic mondial de conteneurs (9% par an) et des 100 000 bateaux passant chaque année par le détroit (près de 25 millions d'EVP), le nouveau port marocain devrait devenir un point incontournable pour le transit des conteneurs venant d’Amérique latine, d’Amérique du Nord et d’Europe et destinés au Moyen-Orient et à l’Asie. Il sera également le premier hub de transbordement de céréales, infrastructure inexistante actuellement dans la région Nord-Ouest Africaine.

S'appuyant sur sa position géographique, Tanger Med, qui fera essentiellement du transbordement relais ou du transbordement éclatement, vise les économies d'échelles. Avec un tirant d'eau de 16 à 18m, le futur port pourra en effet accueillir de gros bateaux de 8000 EVP et sa capacité totale sera de 3 millions de conteneurs (6 fois le volume actuel d'import-export marocain). En outre, "un conteneur qui vient d'Asie est actuellement transbordé dans un port européen, puis placé sur un feeder pour arriver au port marocain, ce qui représente un surcoût de 350 à 400 euros le conteneur", ajoute Mohamed Hafnaoui, directeur délégué de l'Agence Spéciale Tanger Méditerranée(TMSA). Transborder directement au Maroc réduit ainsi la facture pour les entreprises.

"Jamais projet n'est sorti aussi rapidement au Maroc !", s'étonne un diplomate européen proche du dossier. Après le choix d'un site de 500 km2 en 2001, la création de TMSA en 2002, le premier marché a été attribué en juin 2003. Le secret de cette célérité réside dans la nature même de l'Agence. TMSA a le mode de gestion d'une société anonyme privée, avec des prérogatives de puissance publique (autorité portuaire, gestion du patrimoine public, gestion des concessions). Contournant les autres administrations, TMSA a donc pu faire des choix indépendamment de l'Office des ports ou du ministère et en fonction d'objectifs internationaux. Tanger représente en une concurrence redoutée pour Casablanca, actuellement engorgé. Ses tarifs de manutention se situeront par exemple à l’échelle européenne (environ 70 € par conteneur), soit largement inférieurs à ceux appliqués ailleurs au Maroc (près de 164 €).

Le financement du projet est déjà sécurisé par ailleurs à 500 M $ : 200 M $ du Fonds Hassan II et 300 M$ du Fonds Abu-Dhabi pour le développement (100 M de dons et 200M de prêt à taux très concessionnel). L'investissement public total s'élèvera à de $ 1,7 milliards, le privé dépassera 1,3 milliard.

La gestion du port sera confiée en BOT à des opérateurs privés. Celle du quai à conteneur a été divisée en deux parties de 800 m, la première ayant déjà été attribuée en novembre 2004 à Maersk Sea Land (en partenariat à 10% avec Akwa) pour une période de 30 ans. Son rôle en sera de donner une première grande impulsion, capter le trafic pour atteindre un tonnage de 1,5 million d'EVP. "Le non respect de cette garantie de trafic peut générer une déchéance du contrat", avertit M. Hafnaoui. Maersk s'est également engagé à investir € 150 millions d'ici à 2010. Ce géant maritime, principal opérateur du port concurrent d'Algesiras, aujourd'hui saturé, profitera ainsi de la croissance mondiale du trafic mais ne détiendra pas le monopole puisque il n'a pas été autorisé à concourir pour la seconde concession en cours. Maersk doit également dédier une partie du trafic à d'autres compagnies.

Le second terminal à conteneur aura une autre vocation, orienté multi-utilisateurs avec une garantie de trafic moins élevée; il ne devra donc pas se limiter au transbordement. L'appel d'offres a été lancé depuis plusieurs mois mais la remise des offres repoussée au 29 avril. "Nous souhaitons faire travailler un partenaire marocain, qui ne sera pas nécessairement une compagnie maritime", précise M. Hafnaoui en référence à la Comanav. Un appel d'offre sera également lancé pour les activités portuaires (remorquage, pilotage, amarrage, manutention) sur les petits terminaux.

Un projet intégré

Pour permettre toutefois le développement à long terme, amortir les gigantesques investissements et pallier la fluctuation naturelle du trafic de transbordement, les autorités marocaines misent sur la préparation de l'arrière pays, avec la création de pôles économiques, de 3 zones franches et d'infrastructures de connexion. Tanger Med se présente ainsi comme un projet intégré. Selon un accord conclu en 2003, TMSA veille à la réalisation du port tandis que l'Etat prend en charge les infrastructures de connexion au reste du territoire d'ici à juillet 2007 : autoroute de 61 km (dont les travaux s'achèveront cette année) à celle de Rabat–Tanger, route express à deux voies reliant le port à Fnideq (site choisi pour la future zone franche commerciale) et connexion ferroviaire de 45 km reliant le port au réseau national. La région Nord sera également désenclavée par une autoroute Tanger- Asilah (35 km, dernier tronçon de l’axe Rabat–Tanger), une voie express Tanger-Tétouan et une voie express Tétouan-Fnideq (38 km). Concrètement les travaux autoroutiers ont commencé, deux tronçons ont été confiés à Autoroutes du Maroc. Le marché ferroviaire a été attribué à l'ONCF.

A proximité immédiate du port, la zone franche logistique (90 ha) sera destinée aux activités logistiques ou post-manufacturière de petite échelle telles l'assemblage et le packaging. "Les produits à forte rotation viendront dans la zone logistique, seront emballés en fonction de la clientèle, puis acheminés sur leurs marchés de destination", explique M. Hafnaoui. La zone franche industrielle qui sera aménagée sur 600 ha à 25 km du port, sera dédiée aux industries légères orientées vers l'export. La zone franche commerciale (200 ha à 18 km du port) doit accompagner le développement touristique de la région, et verra l'implantation de grands centres commerciaux avec des produits en duty free. Atout de taille, un accord de partenariat sur 10 ans pour l'exploitation et la commercialisation des futures zones franches a été conclu de gré à gré en octobre dernier avec l'opérateur émirati Jebel Ali Free Zone International (JAFZI), leader dans le domaine.

Les autorités marocaines espèrent en tous les cas une meilleure répartition des richesses au profit de la Région Nord, longtemps laissée à l'abandon. "On prévoit un développement touristique mais non massif", explique M. Hafnaoui. De fait, Tanger Med va récupérer toute l'activité commerciale de l'actuel port de Tanger Ville, poste RO-RO actuellement engorgé. Celui-ci est devenu le passage obligé des nombreux camions TIR qui traversent le détroit et bouleversent la ville. Ces camions seront donc déviés vers le nouveau port, permettant à l'actuel de se concentrer sur l'activité même de la ville et de devenir un port de plaisance.

Les objectifs fixés semblent aujourd'hui réalistes et l'implication de leaders mondiaux (Bouygues, Maersk, Jbel Ali) tout comme la réalisation d'infrastructures de connexion et l'indépendance de décision de l'Agence TMSA renforcent la crédibilité du projet. L'inconnue reste toutefois la dynamique économique de l'arrière pays et l'attraction effective des entreprises dans les zones franches. Prochaine étape dans le calendrier : la désignation de l'adjudicataire du second terminal de conteneur et la restructuration financière globale de TMSA, annoncée prochainement.

ENCADRE :

Avancée des travaux sur le chantier portuaire

Selon Saïd El Hadi, président du directoire de TMSA, le taux de réalisation du port est aujourd’hui d'environ 50%. Les travaux prendront fin le 31 décembre 2006, pour accueillir les premiers bateaux en juillet 2007. Le chantier devrait toutefois se poursuivre delà de 2009.

1ère phase : les ouvrages de protection
2 km de digues principale et secondaire et remblais de route : marché attribué à Bouygues et Saipem en juin 2003, pour € 215 millions. Particularité : une digue constituée d'un talus prolongé par 39 caissons préfabriqués en béton armé pour les zones dont les fonds dépassent 20 mètres de profondeur. Les premiers ont été mis en flottaison fin avril. Quelque 80% du talus et 20% des caissons sont achevés.

2e phase : 5 lots
- (Lot 1) Déviation de l'oued Rmel par la réalisation d’un canal car il se déverse sur le port et conduit à son ensablement; attribué pour environ € 6 millions au marocain Entreprise maritime des travaux (EMT); réalisé a 95%.

- (Lot 2) Terminal pétrolier destiné à desservir l'hinterland du port et développer l'activité soutage des navires en escales ou en transit à travers le détroit (Bouygues-Saipem seraient bien placés, attribution décidée à la première quinzaine de juin) + terminal céréalier et vrac avec un quai de 300 m (examen des offres en cours, pour une décision en mai). Les offres relatives à la gestion du terminal pétrolier sont attendues pour fin juin; l'appel d'offre pour la gestion du vrac et céréalier n'a pas encore été lancé.

- (Lot 3) Terminal à conteneurs de 1610m linéaires, avec tirant d'eau de 16 m et 90 ha de terre-pleins + (Lot 4) Terminal roulier avec 4 postes Ro-Ro et quai de services, destinés à accueillir les remorqueurs et autres : attribués fin mars 2005 au consortium maroco-belge Somagec-Besix, pour 87 millions d'euros.

- (Lot 5) Terrassement, voirie et réseaux divers : marché de € 90 millions quasiment attribué à Société générale des travaux du Maroc (SGTM), annonce officielle imminente.
N.G. FIN ENCADRE
Nathalie Gillet

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Interview : Karim Tazi, président de l'Association marocaine des industries du textile et habillement (Amith)

La Tribune, avril 2005 

Quel est l'état du secteur textile marocain aujourd'hui ?
Il est dans l'air du temps d'afficher une situation catastrophique. Un grand nombre d'entreprises a connu une baisse d'activité très forte mais d'autres tournent à pleine capacité. Ce qui ne marche pas c'est la maille fine (T-shirt, Jearsey) et la pure sous-traitance. La production marocaine était intégrée, avec des tissus tissés localement, à partir d'un fil souvent fabriqué localement. Etant donné le coup des facteurs de production au Maroc et la cherté des intrants, ce type de produit n'est pas concurrentiel face à l'Asie.
Parmi les secteurs qui vont bien : le jean, qui exige un savoir-faire que les Marocains ont acquis depuis longtemps. Ce savoir-faire suffit à mettre pour un temps les entreprises marocaines à l'abri de la concurrence asiatique. Toute l'activité de textile-habillement n'est pas condamnée dans ce pays mais une certaine façon de travailler, basée sur une basse valeur ajoutée, une faible créativité et réactivité. Cela dit, si l'Europe et les Etats-Unis parviennent à imposer leurs fameuses clauses de sauvegarde, même ces activités peu performantes connaîtraient encore un répit. Cela ne doit pas empêcher les chefs d'entreprise de moderniser leur outil de production or une minorité l'ont fait.

Comment faut-il désormais travailler ?
Les entreprises marocaines doivent proposer à leurs donneurs d'ordre un produit fini, cesser de travailler comme de simples façonnières qui se contentent de couper et de coudre. Il faut qu'elles soient au moins capables de soulager leurs clients de la corvée de financer et d'aller chercher le tissu dans le monde entier. L'Amith demande également la réduction des droits de douanes au Maroc sur les intrants de la confection, pour que n'importe quelle usine désireuse de monter une collection de produits finis puisse s'approvisionner localement, transformer et exporter.
L'idéal serait que le Maroc devienne "le Sentier" du Sud de l'Europe : dans ce quartier parisien tout est disponible sur place (tissu, accessoires, usines, main d'œuvre) et en une semaine, une idée de vêtement se transforme en réalité livrable dans les magasins.

Que pensez-vous de la réponse de l'Europe face à l'arrivée massive des produits chinois ?
La situation actuelle est pleine de paradoxes. L'Amérique qui est l'apôtre du libre échange absolu a répondu immédiatement et ne s'est encombré d'aucun scrupules libre-échangistes. Et l'Europe, traditionnellement plus protectionniste, prend davantage de temps du fait de la philosophie ultralibérale de son commissaire au Commerce extérieur, Peter Mandelson. Le libre échange des pays occidentaux est en fait une énorme hypocrisie : dès que le jeu ne les arrange plus, on ne joue plus. On continue de subventionner le coton américain et le sucre européen, on refuse aux agriculteurs africains un accès libre au marché européen et au bout de deux semaines d'exportations chinoises, on baisse le rideau. La fin de l'accord multifibre a eu l'avantage de mettre en évidence cette hypocrisie et les limites du discours orthodoxe.
La mondialisation c'est bien mais il faut des règles du jeu. Or la formidable compétitivité chinoise s'explique par le dumping social et par la parité fixe entre le yuan et le dollar qui est appliquée en dépit de tout bon sens. Je ne comprends pas en vertu de quoi le pays qui a un excédent énorme sur le reste du monde verrait sa monnaie liée à celle du pays qui a un déficit record sur le reste du monde. En empêchant l'appréciation naturelle du yuan, on truque les lois du marché.

Propos recueillis par Nathalie Gillet

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-Microcrédit : ils ne prêtent pas qu'aux riches
Jeune Afrique, Hors série N° 9 édition 2005

- Maroc : un exemple de microcrédit pour le Maghreb
Jeune Afrique, Hors série N° 9 édition 2005 :

Il est 9 heures du matin à Meknès, dans un quartier excentré de cette ville du nord du maroc. Dans la salle d’attente d’une agence d’Alamana, une association de micro crédit reconnue dans le pays, des hommes mais aussi et surtout des femmes, échangent quelque nouvelles. Puis, à tour de rôle, seuls ou en petit groupes, ils se lèvent pour se rendre dans l’une des pièces du bâtiment et rejoindre leur agent de crédit. On est lundi, le jour où l’agent encaisse le remboursement des emprunts et délivre de nouveaux prêts. Les sommes sont modestes : 1000 DH par-ci, 2500DH par là. Elles représentent pourtant une petite fortune pour leurs bénéficiaires. Car la clientèles servie ici n’intéresse pas les banques. Il s’agit des habitants d’un quartier pauvre, artisans pour la plupart, souvent analphabètes et sans compte en banque. Dans le bureau de Madi, les clients défilent : une brodeuse qui doit financer son fil, puis le chauffeur de taxi dont le moteur est tombé en panne, alors qu’il rembourse actuellement son premier emprunt de 5000 DH. Viennent ensuit un photographe qui équipe son studio et Mohamed, 34 ans, qui achète à crédit l’huile d’olive pour la distribuer à motocyclette dans son quartier. A peine assise, roula, qui en est déjà à son neuvième prêt, plonge la main dans son caftan bleu et en sort un sac en plastique transparent contenant une liasse de 1200 DH. Elle la jette sur la table. La routine. Madi vérifie la somme en faisant glisser les billets entre les doigts, puis tapote sur sa petite calculette pour déterminer les échéances encore à venir. Deux coups de tampon sur une fiche cartonnée, un reçu, et on n’en parle plus. Dans quinze jours, sa clientèle devra repasser pour régler la traite suivante. Depuis le temps qu’il se fréquentent, clients et employé de l’agence se connaissent bien. Avant d’obtenir un crédit, Roula, Mohamed et les autres ont eu plus d’une fois affaire à Madi et à ses collègues : à l’occasion de séances d’information d ‘abord, puis lors des enquêtes de terrain destinées à évaluer leur patrimoine, leurs besoin financiers... et leur « moralité », autrement dit leur réputation dans le quartier. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure qu’un premier emprunts est négocié :modeste pour commencer(1000 à 1500 Dh), il s’élève par la suit. Pour limiter les risques d’insolvabilité, les associations de micro crédit assurent leurs arrières. Car les clients exercent très souvent leur activité dans le secteur informel de l’économie. Le suivie de chaque dossier est donc personnalisé, pour que les agents connaissent individuellement tous leurs créditeurs. Des liens de confiance doivent naître entre eux afin d’assurer le bon fonctionnement du système. Un tel déploiement de précautions explique en grande partie l’excellent taux de remboursement enregistré par l’association marocaines : 99%, contre une moyen mondial de 95%. Mais c’est aussi parce que, au Maroc, l’essentiel des prêts accordés sont dits « solidaires ». ils sont accordés à des groupes de cinq personnes souhaitant emprunter qui se cautionnent mutuellement. Toutes doivent mener une activité génératrice de revenu. Il leur faut en outre, n’avoir aucun lien de parenté et disposé d’une carte d’identité :une opportunité que saisissent souvent les femmes pour s’en pouvoir et faire ainsi un pas de plus vers l’émancipation. 11 heurs à meknès, Issam multiplie les coup de tampon, car il faut passer aux décaissements avant la fin de la matinée. Toutes les portes se ferment alors, discrétion oblige. L’agent de crédit accueille un premier groupe : Ali, 27ans, est distributeur ambulant de produits alimentaires, et tahar, 60ans, vend des produits agricoles. deux brodeuse son la également. Les vêtement et les visages usés par le temps révèlent un train de vie extrêmement modeste. « attention, avertir pourtant Issam, c’est un très bon groupe, qui rembourse sans jamais poser de problèmes. Et, à chaque fois, ils renouvellent l’emprunt. » tous sont voisins. Ali est un peu le référent du groupe, même si les responsabilités sont reparties en parts égales. c’est à lui qu’Issam tend le liasse de billets. Ali compte les coupures, avant de remettre 1000 DH à sa voisine. L’opération se répète jusqu’à ce que tout le monde soit servi. Quant aux billets, roulés a l’aide d’une élastique, ils disparaissent immédiatement dans les caftans. Cependant, les choses ne se passent pas toujours aussi bien. Dans le bureau d’à côté, une jeune femme tente, en vain, de négocier le renouvellement de son crédit. Elle a accumulé des retards de paiements que ses partenaires ont dû assumer. « ton groupe lui-même t’a exclue. Alors moi, je ne peux rien faire », lui répond l’agent de crédit. Une autres équipe de femmes se présente avec une demi-heure de retard. Nezha, qui est déjà arrivée depuis plusieurs minutes, en fait partie. Lassée d’attendre, elle le fait savoir à ses codébitrices : « il s’agit de la première échéance ;qu’est ce que c sera à la dix-septième ? » »d’une manière générale, le micro crédit a connu succès ces dernières années au maroc. Depuis leur lancement dans le pays dans la seconde moitié des années 1990, les douze associations les plus actives sont distribué plus de 5 milliards de DH à 460 000 clients. Quelque 2,2 millions de prêts ont été accordés en milieu urbain principalement. Et, à lui seul, le micro crédit marocain rassemble la moitié des clients de tout le monde arabe. Alors que le Maroc s’est engagé très tardivement dans cette activité. Les deux établissement leaders au Maroc sont la fondation Zakoura (première en nombre de prêts) et l’agence Alamana (premier portefeuille encours avec 550 millions de DH). Elles sont les seuls au proche et moyen-orient à avoir intégré le classement des vingt meilleurs sociétés de micro finance dans le monde. La filière compte aussi la fondation banque populaire, créée par la banque du même nom, ainsi que la Fondep et la Fondation crédit agricole, de tailles plus réduites. Alamana est né d’un projet américano-marocain lancé par l’ONG volunteers in technical assistance, ce qui lui a permis de bénéficier d’un capital de départ important. La fondation zakoura, elle a commencé son activité en octobre 1995. « ce sont des banque marocaines et européennes qui on vraiment fourni le gros du financement. La société générale, notamment, qui nous a accompagnés depuis le début », explique Azize Benmazzouz, directeur généra de la fondation. sa clientèle est féminines à 96%. « notre but était aussi de rétablire un certain équilibre entre les femmes et les hommes. Le taux d’analphabétisme étant plus élevé chez ces dernières ,elles ont moins facilement accès a l’information et au crédit bancaire. Or on peut plus compter sur elles que sur les hommes pour les remboursements ». d’ailleurs, les organisme incitent souvent les femmes à quitter la maison pour se prendre en main. Grâce à eux, dans le village de Gouerit, Amina, mariée et mère de deux enfants, a ainsi constitué un group avec ses voisines Zineb et Dina (29 et 35 ans, toutes deux célibataires) pour pouvoir emprunter auprès de Zakoura. Depuis, elles peuvent élever des lapins. Un premier don du ministère de l’agriculture leur avait fourni un group composé d’un mâle et quatre femelles, mais les trois prêts qu’elles ont pu obtenir par l’agence (2000 DH, 3000 DH, 2500 DH) par la suite leur on permis de porter la taille de leur élevage à une cinquantaine de bêtes. « c’était très difficille au début, parce que je ne savais pas comment soigné, vacciner ni même nourrire les lapins, explique-t-elle. Heureusement, nous avons reçu une formation. » Les spécificités de la fondation Zakoura sont sa forte présence au milieu rural et l’importance de ses services au particulier : modules de formation, en gestion notamment, accompagnement pour ouvrire un compte épargne et séminaire d’explication, sur les droits des femmes au Maroc par exemple. Du côté des produits financiers, c’est le prêts solidaire qui domine largement l’activité des associations. Mais, depuis quelques années, celles-ci accordent également des prêts individuel à leurs clients les plus fidèles, assortis, certes, des conditions très strictes. En 1999, une loi est venu réguler ce secteur. Elle a été amendée en 2004 pour permettre de développer le tourisme rural et surtout le crédit-logement, destiné à l’achat ou à la réfection d’une maison. L’expérience marocaine n’en est pas moins citée en exemple par les bailleurs de fonds internationaux, et les banquiers commence a s’y intéresser. Mais les défis restent nombreux. La question des taux d’intérêt (28% pour les prêts solidaires en moyenne) semble plus urgente à régler. Le débiteurs souhaiteraient son allègement, mais les agences de micro crédit ne veulent pas en entendre parler, arguant de la lourdeur de l’investissement que constitue le suivi personnalisé de leur clientèle. En revanche, celle-ci verraient d’un bon œil une réforme de la loi marocaine qui encadre leur activité. Ces agences ne peuvent toujours pas collecter d’épargne, une source qui leur serait pourtant bien utile pour se refinancer. D’autres services financiers ne sont, pas ailleurs, toujours pas autorisés, comme l’assurance ou la monétique. « nous envisagent la mise en place de guichets automatiques, affirme cependant Rachid Boumadi, coordinateur régional pour Alamana. Le guichet ça change la perception de votre activité et de votre identité », poursuit-il. Avant de conclure : « avec un costume et une carte de crédit en poche, vous vous sentez différent. Ce serait une avancée très importante sur le plan symbolique. C’est ca aussi, la réduction des inégalités. »

NATHALIE GILLET, envoyée spéciale